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Il paraît que cette fatale induction explique parfaitement l'universalité d'une pratique aussi détestable; qu'elle l'explique, dis-je, fort bien humainement car je n'entends nullement nier (et comment le bon sens, légèrement éclairé, pourrait-il le nier?) l'action du mal qui avait tout corrompu.

Cette action n'aurait point de force sur l'homme, si elle lui présentait l'erreur isolée. La chose n'est pas même possible, puisque l'erreur n'est rien. En faisant abstraction de toute idée antécédente, l'homme qui aurait proposé d'en immoler un autre, pour se rendre les dieux propices, eût été mis à mort pour toute réponse, ou enfermé comme fou: il faut donc toujours partir d'une vérité pour enseigner une erreur. On s'en appercevra surtout en méditant sur le Paganisme qui étincelle de vérités, mais toutes altérées et déplacées, de manière que je suis entièrement de l'avis de ce theosophe qui a dit de nos jours que l'idolatrie était une putréfaction. Qu'on y regarde de près: on y verra que, parmi les opinions les plus folles, les les plus indécentes, les plus atroces; parmi les pratiques les plus monstrueuses et qui ont le plus déshonoré le genre humain, il n'en est

pas une que nous ne puissions délivrer du mal (depuis qu'il nous a été donné de savoir demander cette grâce), pour montrer ensuite le résidu vrai, qui est divin.

Ce fut donc de ces vérités incontestables de la dégradation de l'homme et de sa réité originelle, de la nécessité d'une satisfaction, de la réversibilité des mérites et de la substitution des souffrances expiatoires, que les hommes furent conduits à cette épouvantable erreur des sacrifices humains.

France! dans tes forêts elle habita longtemps.

<<< Tout Gaulois attaqué d'une maladie grave, ce ou soumis aux dangers de la guerre (1), << immolait des hommes ou promettait d'en <<< immoler, ne croyant pas que les dieux <<< pussent être apaisés, ni que la vie d'un <<< homme pût être rachetée autrement que << par celle d'un autre. Ces sacrifices, exé«< cutés par la main des Druides, s'étaient « tournés en institutions publiques et légales; <<< et lorsque les coupables manquaient, on << en venait au supplice des innocents. Quel

(1) Mais l'état de guerre était l'état naturel de ce pays. Ante Cæsaris adventum ferè quotannis (bellum) occidere solebat ; uti, aut ipsi injurias inferrent, aut illas propulsarent. (De Bello gallico, vi, 15.)

« ques-uns remplissaient d'hommes vivants << certaines statues colossales de leurs dieux: « ils les couvraient de branches' flexibles:

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cc ils y mettaient le feu, et les hommes pé«<< rissaient ainsi environnés de flammes (1). » Ces sacrifices subsistèrent dans les Gaules comme ailleurs, jusqu'au moment où le Christianisme ́s'y établit : car nulle part ils ne cessèrent sans lui, et jamais ils ne tinrent devant lui.

On en était venu au point de croire qu'on ne pouvait supplier pour une tête qu'au prix d'une tête (2). Ce n'est pas tout; comme toute vérité se trouve et doit se trouver dans le Paganisme, mais comme je le disais tout à l'heure, dans un état de putréfaction, la théorie également consolante et incontestable du suffrage catholique se montre au milieu des ténèbres antiques sous la forme d'une superstition sanguinaire ; et comme tout sacrifice réel, toute action méritoire, toute macération, toute souffrance volontaire peut être véritablement cédée aux

(1) De Bello gallico, vi, 16.

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(2) Præceptum est ut pro capitibus capitibus supplicarentur; idque aliquandiu observatum ut pro familiarium sospitate pueri mactarentur Maniæ deæ, matri Larum. ( Macrob. Sat. I, 7.)

· II.

morts, le Polythéisme, brutalement égaré par quelque réminiscences vagues et corrompues, versait le sang humain humain pour apaiser les morts. On égorgeait des prisonniers autour des tombeaux. Si les prisonniers manquaient, des gladiateurs venaient répandre leur sang, et cette cruelle extravagance devint un métier, en sorte que ces gladiateurs eurent un nom (Bustiarii) qu'on pourrait représenter par celui de Buchériens, parce quils étaient destinés à verser leur sang autour des bûchers. Enfin, si le sang de ces malheureux et celui des prisonniers manquaient également, des femmes venaient, en dépit des XII tables (1), se déchirer les joues, afin de rendre aux bûchers, au moins une image des sacrifices, et de satisfaire les dieux infernaux, comme disait Varron, en leur montrant du sang (2).

Est-il nécessaire de citer les Tyriens, les Phéniciens, les Carthaginois, les Chananéens? Faut-il rappeler qu'Athènes, dans ses

(1) Mulieres genas ne radunto. XII Tab.

(2) Ut rogis illa imago restitueretur; vel, quemadmodum Varro loquitur, ut sanguine ostenso inferis satisfiat. (Joh. Ros. Rom. Antiquit. corp. absolutiss. cum notis Th. Demsteri à Murreck. Amst., Blaen, 1685; in-4°. V. 39, p. 442.)

pas

plus beaux jours, pratiquait ces sacrifices tous les ans ? que Rome, dans les dangers pressants, immolait des Gaulois (1)? Qui donc pourrait ignorer ces choses? il ne serait moins inutile de rappeler l'usage d'immoler des ennemis, et même des officiers et des domestiques sur la tombe des rois et des grands capitaines.

Lorsque nous arrivâmes en Amérique, à la fin du XVe siècle, nous y trouvâmes cette même croyance, mais bien autrement féroce. Il fallait amener aux prêtres mexicains jusqu'à vingt mille victimes humaines par ans; et, pour se les procurer, il fallait déclarer la guerre à quelque peuple : mais au besoin les Mexicains sacrifiaient leurs propres enfants. Le sacrificateur ouvrait la poitrine des victimes, et se hâtait d'en arracher le cœur tout vivant. Le grand prêtre en exprimait le sang qu'il faisait couler sur la bouche de l'idole, et tous les prêtres mangeaient la chair des victimes.

Unde nefas tantum ?

ô Pater orbis !

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(1) Car le Gaulois était pour le Romain l'HOSTIs, et par conséquent l'HOSTIE naturelle. Avec les autres peuples, dit Cicéron, nous combattons pour la gloire, avec le Gaulois pour le salut. - Dès qu'il menace Rome

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