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Ainsi s'accomplit sans cesse, depuis le ciron jusqu'à l'homme, la grande loi de la destruction violente des êtres vivants. La terre entière, continuellement imbibée de sang n'est qu'un autel immense où tout ce qui vit doit être immolé sans fin, sans mesure, sans relâche, jusqu'à la consommation des choses, jusqu'à l'extinction du mal, jusqu'à la mort de la mort (1).

Mais l'anathème doit frapper plus directement et plus visiblement sur l'homme : l'ange exterminateur tourne comme le soleil autour de ce malheureux globe, et ne laisse respirer une nation que pour en frapper d'autres. Mais lorsque les crimes, et surtout les crimes d'un certain genre, se sont accumulés jusqu'à un point marqué, l'ange presse sans mesure son vol infatigable. Pareil à la torche ardente tournée rapidement, l'immense vitesse de son mouvement le rend présent à la fois sur tous les points de sa redoutable orbite. Il frappe au même instant tous les peuples de la terre ; d'autre fois, ministre d'une vengeance précise et infaillible

(1) Car le dernier ennemi qui doit être détruit, c'est la mort. (S. Paul aux Cor. I, 15, 26.)

il s'acharne sur certaines nations et les baigne dans le sang. N'attendez pas qu'elles fassent aucun effort pour échapper à leur jugement ou pour l'abréger. On croit voir ces grands coupables, éclairés par leur conscience, qui demandent le supplice et l'acceptent pour y trouver l'expiation. Tant qu'il leur restera du sang, elles viendront l'offrir; et bientôt une rare jeunesse se fera raconter ces guerres désolatrices produites par les crimes de ses pères. La guerre est donc divine en elle-même puisque c'est une loi du monde.

La guerre est divine par ses conséquences d'un ordre surnaturel tant générales que particulières; conséquences peu connues parce qu'elles sont peu recherchées, mais qui n'en sont pas moins incontestables. Qui pourrait douter que la mort trouvée dans les combats n'ait de grands priviléges ? et qui pourrait croire que les victimes de cet épouvantable jugement aient versé leur sang en vain? Mais il n'est pas temps d'inŝister sur ces sortes de matières; notre siècle n'est pas mûr encore pour s'en occuper laissons-lui sa physique, et tenons cependant toujours nos yeux fixés sur ce monde invisible qui expliquera tout.

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La guerre est divine dans la gloire mystérieuse qui l'environne, et dans l'attrait non moins inexplicable qui nous y porte.

La guerre est divine dans la protection accordée aux grands capitaines, même aux plus hasardeux, qui sont rarement frappés dans les combats, et seulement lorsque leur renommée ne peut plus s'accroître et que leur mission est remplie.

la guerre est divine par la manière dont elle se déclare. Je ne veux excuser personne mal à propos; mais combien ceux qu'on regarde comme les auteurs immédiats des guerres sont entraînés eux-mêmes par les circonstances! Au moment précis amené par les hommes et prescrit par la justice, Dieu s'avance pour venger l'iniquité que les habitants du monde ont commise contre lui. La terre avide de sang, comme nous l'avons entendu il y a quelques jours (1), ouvre la bouche pour le recevoir et le retenir dans son sein jusqu'au moment où elle devra le rendre. Applaudissons donc autant qu'on voudra au poète estimable qui s'écrie:

« Au moindre intérêt qui divise
« Ces foudroyantes majestés,

(1) Voy. tom. 1,

« Bellonne porte la réponse,
<< Et toujours le salpêtre annonce

<< Leurs meurtrières volontés. »

Mais que ces considérations très inférieures ne nous empêchent point de porter nos regards plus haut.

La guerre est divine dans ses résultats qui échappent absolument aux spéculations de la raison humaine : car ils peuvent être tout différents entre deux nations, quoique l'action de la guerre se soit montrée égale de part et d'autre. Il y a des guerres qui avilissent les nations, et les avilissent pour des siècles; d'autres les exaltent, les perfectionnent de toutes manières, et remplacent même bientôt, ce qui est fort extraordinaire, les pertes momentanées , par un surcroît visible de population. L'histoire nous montre souvent le spectacle d'une population riche et croissante au milieu des combats les plus meurtriers; mais il y a des guerres vicieuses, des guerres de malédictions, que la conscience reconnaît bien mieux que le raisonnement: les nations en sont blessées à mort, et dans leur puissance, et dans leur caractère; alors vous pouvez voir le vainqueur même dégradé, appauvri, et gémissant au milieu de ses

tristes lauriers, tandis que sur les terres du vaincu, vous ne trouverez, après quelques moments, pas un atelier, pas une charrue qui demande un homme.

La guerre est divine par l'indéfinissable force qui en détermine les succès. C'était sûrement sans y réfléchir, mon cher chevalier, que vous répétiez l'autre jour la célèbre maxime, que Dieu est toujours pour les gros bataillons. Je ne croirai jamais qu'elle appartienne réellement au grand homme à qui on l'attribue (1); il peut se faire enfin qu'il ait avancé cette maxime en se jouant, ou sérieusement dans un sens limité et très vrai; car Dieu, dans le gouvernement temporel de sa providence, ne déroge point (le cas de miracle excepté) aux lois générales qu'il a établies pour toujours. Ainsi, comme deux hommes sont plus forts qu'un, cent mille hommes doivent avoir plus de force et d'action que cinquante mille. Lorsque nous demandons à Dieu la victoire, nous ne lui demandons pas de déroger aux lois générales de l'univers; cela serait trop extravagant; mais ces lois se combinent de mille manières,

(1) Turenne.

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