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Quelquefois l'esprit gourmande l'âme, et la veut faire rougir de sa faiblesse : courage, lui dit-il, mon dme! tu as supporté de plus grands malheurs (1).

Et un autre poète a fait de ce combat le sujet d'une conversation, en forme tout à fait plaisante. Je ne puis, dit-il, 6 mon âme ! t'accorder tout ce que tu désires : songes que tu n'es pas la seule à vouloir ce que tu aimes (2).

Que veut-on dire, demande Platon, lorsqu'on dit qu'un homme s'est vaincu lui-même, qu'il s'est montré plus fort que lui-même, etc? On affirme évidemment qu'il est, tout à la fois, plus fort et plus faible que lui-même; car si c'est lui qui est le plus faible, c'est aussi lui qui est le plus fort; puisqu'on affirme l'un et l'autre du même sujet. La volonté supposée une ne saurait pas plus être en contradiction avec ellemême, qu'un corps ne peut être animé à la fois

(1) Τέτλαθι δὴ κραδίη, καὶ κύντερον ἄλλο πότ' έτλης. (Odyss. XX, 18.)

Platon a cité ce vers dans le Phédon, (Opp. tom. I, p. 215, D.) et il y voit une puissance qui parle à une autre. ἄλλῳ πράγματι διαλεγουμένη.

Ως ἄλλη ούσα (Ibid. 261, B.)

(2) Οὐ δύναμαι σοί, Θυμέ, παρασχεῖν ἄσμενα πάντα, Τέτλαθι, Τῶν δέ καλῶν οὔτι σύ μούνος ἐραῖς.

(Theogn. inter vers. gnom. ex edit. Brunckii, v. 72-73.)

par deux mouvements actuels et opposés (1); car nul sujet ne peut réunir deux contraires simultanés (2). Si l'homme était un, a dit excellemment Hypocrate, jamais il ne serait malade (3); et la raison en est simple: car, ajoute-t-il, on ne peut concevoir une cause de maladie dans ce qui est un (4).

Cicéron écrivant donc que, lorsqu'on nous ordonne de nous commander à nous-mêmes, cela signifie que la raison doit commander à la passion (5), ou il entendait que la sion est une personne, ou il ne s'entendait pas lui-même.

pas

Pascal avait en vue sans doute les idées de Platon, lorsqu'il disait : Cette duplicité de l'homme est si visible, qu'il y en a qui ont pensé que nous avons deux ames; un sujet

(1) Plat., de Rep. opp. tom. V, p. 349. E. A.; et p. 360, C. (2) Ουδέ (τῶν ὄντων) οὐδέν ἅμα τὰ εναντία επιδέχεται. (Arist. catheg. de quantitate. Opp. tom. 1.)

Εγώ δὲ φεμὶ εἰ ἐνήν ὁ ἄνθρωπος ποτ' ἂν ἤλγεεν. (Hypp. de Nat. hum. Rom. 1, cit. edit., cap. 2, p. 265.) (4) Οὐωὲ γὰρ ἂν ἦν ὑπὸ τὸν ἀλγεσιν ΕΝ ΕΟΝ

Cette maxime lumineuse n'a pas moins de valeur dans le monde moral.

(5) Quùm igitur præcipitur ut nobismetipsis imperemus, hoc præcipitur, ut ratio coerceat temeritatem. (Tusc. quæst. II, 21. ) Partout où il faut résister, il y a action; partout où il y'a action, il y a substance; et jamais on ne comprendra comment une tenaille peut se saisir elle

même.

simple leur paraissant incapable de telles et si soudaines variétés (1)

Mais avec tous les égards dus à un tel écrivain, on peut cependant convenir qu'il ne semble pas avoir vu la chose tout à fait à fond, car il ne s'agit pas seulement de savoir comment un sujet simple est capable de telles et si soudaines variétés, mais bien d'expliquer comment un sujet simple peut réunir des oppositions simultanées; comment il peut aimer à la fois le bien et le mal; aimer et haïr le même objet ; vouloir et ne vouloir pas, etc.; comment un corps peut se mouvoir actuellement vers deux points opposés; en un mot, pour tout dire, comment un sujet simple peut n'être pas simple.

L'idée de deux puissances distinctes est bien ancienne, même dans l'Eglise. « Ceux « qui l'ont adoptée, disait Origène, ne pen<< sent pas que ces mots de l'apôtre : La chair «a des désirs contraires à ceux de l'esprit

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(1) Pensées, III, 13. On peut voir à l'endroit de Platon qu'on vient de citer la singulière histoire d'un certain Léontius, qui voulait absolument voir des cadavres qu'absolument il ne voulait pas voir; ce qui se passa dans cette occasion entre son âme et lui, et les injures qu'il crut devoir adresser à ses yeux. (Loc. cit., p. 360, A.)

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(Galat. V, 17.) doivent s'entendre de la « chair proprement dite; mais de cette âme,

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qui est réellement l'âme de la chair: car, disent-ils, nous en avons deux, l'une bonne <<< et céleste, l'autre inférieure et terrestre : <<< c'est de celle-ci qu'il a été dit que ses œu«vres sont évidentes (Ibid., 19.), et nous << croyons que cette âme de la chair réside « dans le sang (1). »

Au reste, Origène, qui était à la fois le plus hardi et le plus modeste des hommes dans ses opinions, ne s'obstine point sur cette question. Le lecteur, dit-il, en pensera ce qu'il voudra. On voit cependant assez qu'il ne savait pas expliquer autrement ces deux mouvements diamétralement opposés dans un sujet simple.

Qu'est-ce en effet que cette puissance qui contrarie l'homme, ou, pour mieux dire, sa conscience! Qu'est-ce que cette puissance qui n'est pas lui, ou tout lui? Est-elle matérielle comme la pierre ou le bois? dans ce cas, elle ne pense ni ne sent, et, par conséquent, elle ne peut avoir la puissance de troubler l'esprit dans ses opérations. J'écoute

(1) Orig. de Princ. III. 4. Opp., edit. Ruæi. Faris, 1733, in-fol., tom. I, p. 145. seqq.

avec respect et terreur toutes les menaces faites à la chair; mais je demande ce que

c'est.

Descartes, qui ne doutait de rien, n'est nullement embarrassé de cette duplicité de l'homme. Il n'y a point, selon lui, dans nous de partie supérieure et inférieure, de puissance raisonnable et sensitive, comme on le croit vulgairement. L'âme de l'homme est une, et la même substance est tout à la fois, raisonnable et sensitive. Ce qui trompe à cet égard, dit-il, c'est que les volitions produites par l'âme et par les esprits vitaux envoyés par le corps, excitent des mouvements contraires dans la glande pinéale (1).

Antoine Arnaud est bien moins amusant : il nous propose comme un mystère inconcevable, et cependant incontestable: «Que ce « corps, qui, n'étant qu'une matière, n'est point un sujet capable de péché, peut cependant communiquer à l'âme ce qu'il n'a

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(1) Čartesii opp. Amst., Blaen, 1785, in-4°; de Passionibus, art. XLVII, p. 22. Je ne dis rien de cette explication: les hommes tels que Descartes méritent autant d'égards qu'on en doit peu aux funestes usurpateurs de la renommée. Je prie seulement qu'on fasse attention au fond de la pensée, qui se réduit très clairement à ceci : Ce qui fait croire communément qu'il y a une contradiction dans l'homme, c'est qu'il y a une contradiction dans l'homme.

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