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Il ne nous reste donc qu'à choisir, comme je l'ai dit, entre l'intelligence première et l'intelligence créée.

Mais entre ces deux suppositions, il n'y a pas moyen de délibérer longtemps; la raison et les traditions antiques, qu'on néglige infiniment trop dans notre siècle, nous aurons bientôt décidés.

En suivant ces idées, on comprendra comment le Sabéïsme fut la plus ancienne des idolâtries ;

Pourquoi on attribua une divinité à chaque planète, qui la présidait et semblait s'amalgamer avec elle en lui donnant son nom;

Pourquoi la planète, satellite de la terre (chose parfaitement ignorée des hommes qui vécurent depuis les temps primitifs), pourquoi, disJe, cette planète, à la différence des autres, était présidée, suivant eux, par une divinité qui appartenait encore à la terre et aux enfers (1) ;

Pourquoi ils croyaient qu'il y avait autant de métaux que de planètes, chacune d'elles donnait son nom et son signe à l'un des métaux (2);

Pourquoi Job attestait le Seigneur qu'il n'avait jamais approché la main de sa bouche en regardant les astres (3);

Pourquoi les prophètes emploient si souvent l'expression d'armée des cieux (4);

Pourquoi Origène disait que le soleil, la lune et les étoiles offrent des

(1) Tergeminamque Hecaten, tria virginis ora Dianæ.

(Virg. Æn. IV.)

(2) Il y avait jadis sept planètes et sept métaux; il est singulier que, de nos jours, le nombre des uns et des autres ait augmenté en même proportion, car nous connaissons 28 planètes ou satellites, et 28 métaux. (Journ.de phys. Travaux et progrès dans les sciences naturelles pendant l'année 1809, cités dans le Journal de Paris, du 4 avril 1810, pag. 672, 673, n. 4.)

Ce qui n'est pas moins singulier, c'est qu'il y a des demi-planètes comme il y a des demi-métaux, oar les astéroides sont des demi-planètes.

...

Il reste aussi toujours sept planètes à l'usage de l'homme comme sept métaux.

(3) Job. XXXI, 26. 27, 28.

(4) Exercitus cœli te adorat. (Esdras ÎX, 6.) --- Omnis militia cœlorum. (Isaie XXXIV, 4.) Adoraverunt omnem militiam cœli. (Reg. lib. IV

· Militiam cæli. (Jérém. VIII, 2. ) XXVII, 16.)

prières au Dieu suprême par son fils unique....; qu'ils aiment mieux nous voir adresser directement nos prières à Dieu, que si nous les adressions à eux, en divisant ainsi la puissance de la prière humaine (1);

Pourquoi Bossuet se plaignait de l'aveuglement et de la grossièreté de ces hommes qui ne veulent jamais comprendre ces génies patrons des nations et moteurs de toutes les parties de l'univers ?

A cette masse imposante de traditions antiques, il faut ajouter toute la théorie de l'astrologie judiciaire, qui a déshonoré sans doute l'esprit humain comme l'idolâtrie; mais qui sans doute aussi tient comme l'idolâtrie à des vérités du premier ordre, qui nous ont été depuis soustraites comme inutiles ou dangereuses, ou que nous ne savons plus reconnaître sous des formes nouvelles.

Tout nous ramène donc à l'incontestable vérité que le système du monde est inexplicable et impossible par des moyens mécaniques. De savoir ensuite comment cette vérité peut s'accorder avec les théories mathématiques, c'est ce que je ne décide point, craignant par-dessus tout de sortir du cercle des connaissances qui m'appartiennent : mais la vérité que j'ai exposée étant incontestable, et nulle vérité ne pouvant être en contradiction avec une autre, c'est aux théoriciens en titre à se tirer de cette difficulté. Ipsi viderent.

La première fois que l'esprit religieux s'emparera d'un grand mathé maticien, il arrivera très sûrement une révolution dans les théories astronomiques.

Je ne sais si je me trompe, mais cette espèce de despotisme, qui est le caractère distinctif des savants modernes, n'est propre qu'à retarder la science. Elle repose aujourd'hui tout entière sur de profonds calculs à la portée d'un très petit nombre d'hommes. Ils n'ont qu'à

(1) Ὑμῶν τὴν ἐυκτικην δυναμιν. (Orig. adv. Cels. lib. V. --- « Celse suppose que nous comptons pour rien le soleil, la lune et les étoiles, tandis que nous avouons Qu'ils attendent aussi la manifestation des enfants de Dieu, qui sont maintenant assujettis à la vanité des choses matérielles, à cause de celui qui les y a assujettis. (Rom. VIII, 19, seqq.) Si, parmi les innombrables choses que nous disons sur ces astres, Celse avait seulement entendu Louez-le, ô vous, étoiles et lumière ou bien, louez-le, cieux des cieux! (Ps. CXLVIII, 3. ) Il ne nous accuserait pas de compter, pour rien de si grands panégyristes de Dien. »> (Orig., ibid. V.)

s'entendre pour imposer silence à la foule. Leurs théories sont devenues une espèce de religion; le moiudre doute est un sacrilége.

Le traducteur anglais de toutes les œuvres de Bacon, le docteur Schaw, a dit, dans une de ses notes dont il n'est plus en mon pouvoir d'assigner la place, mais dont j'assure l'authenticité : Que le système de Copernic a bien encore ses difficultés.

Certes, il faut être bien intrépide pour énoncer un tel doute. La personne du traducteur m'est absolument inconnue; j'ignore même s'il existe : il est impossible d'apprécier ses raisons qu'il n'a pas jugé à propos de nous faire connaître, mais sous le rapport du courage c'est

un héros.

Malheureusement ce courage n'est pas commun, et je ne puis douter qu'il y ait dans plusieurs têtes (allemandes surtout) des pensées de ce genre qui n'osent se montrer.

Pour moi, je me borne à demander qu'en partant de cette vérité incontestable Que tout mouvement suppose un moteur, et que le poussant est de nécessité absolue ou antérieur au poussé (1), il soit fait une revue philosophique du système astronomique.

La demande me semble modeste, et je ne vois pas que personne ait droit de se fâcher.

On se fâchera encore moins je l'espère, si je donne un exemple des doutes excités dans mon esprit par les théories mécaniques; je le choisirai dans les notions élémentaires sur la figure de la terre.

On nous a dit à tous, en commençant nos instructions sur ce point, que notre planète est applatie sur les pôles, et s'élève au contraire sous l'équateur; en sorte que les deux axes sont inégaux dans une proportion qu'il s'agit d'assigner.

(1) Μῶν ἀρχὴ τὶς ὑῆς ἔσται κινήσεῖος ἀπάσης ἀλλὴ πλὴν ἢ τῆς αυτῆς ἀυτὴν κινήσασης μεταβολή; c'est-à-dire : Le mouvement peut-il avoir un autre principe que cette force qui se meut elle-même ? Cette puissance est l'intelligence, et cette intelligence est Dieu; et il faut nécessairement qu'elle soit antérieure à la nature physique, qui reçoit d'elle le mouvement: car comment le

ne serait-il pas avant le vouμevov? (Plat. de Leg. X, 86, 87.)

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Voyez encore Aristote ( Physicorum, lib. III, 1, 23.) Quòd cœlum moveatur ex aliqua intellectuali substantia.

Pour s'en assurer, nous a-t-on dit il y a deux moyens, l'expérience ou les mesures géodésiques, et la théorie.

Celle-ci repose sur cette vérité physique, que si une sphère tourne sur son axe, elle s'élèvera sur son équateur en vertu de la force centrifuge, et prendra la forme d'un sphéroïde applati.

Et l'on nous montrait dans le cabinet de physique une spère de cuir bouilli, tournant sur un axe au moyen d'une manivelle, et prenant en effet, en vertu de la rotation, la figure indiquée.

Et nous disions tous: Voilà qui est clair!

Mais voyez combien, pour l'âge de raison, s'élèvent d'arguments décisifs contre cette démonstratian décisive.

En premier lieu, la terre n'est point du tout de cuir bouilli : l'intérieur est lettre close; mais quant à l'extérieur et à cette enveloppe de médiocre profondeur que Dieu nous a livrée, nous voyons de l'eau et de la terre, et d'immenses montagnes qui s'enfoncent jusqu'à une profondeur inconnue, et que nous pouvons regarder comme les ossements de la terre. Si cette masse, supposée immobile, venait tout à coup recevoir le mouvement diurne, l'habitation de l'homme et des animaux serait détruite par les eaux qui accourraient sous l'équateur: Ainsi la terre ne pouvait être ce qu'elle est, lorsqu'elle commença à tourner, etc.

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En second lieu, les physiciens que j'ai en vue n'admettent point de creation proprement dite. Ce mot seul les met en colère, et plusieurs ont fait leur profession de foi à cet égard. Or, à partir de cette hypothèse, comment pouvaient-ils dire: Que la terre a été soulevée sous l'équateur par un mouvement qui n'a jamais commence ? Cette supposition sera trouvée impossible, si l'on y pense.

Ce n'est pas tout: supposons en troisième lieu, et laissant même de côté la question de l'éternité de la matière, que le monde au moins ait commencé ; il faut que ces mécaniciens nous disent dans quelle révélation ils ont appris que, lorsque la terre commença de tourner, elle était molle et ronde : deux petites suppositions qui valent la peine d'être examinées. Si la terre devait être ronde (supposons-le un instant) alors elle eût été elliptique avant de tourner, et allongée sur l'axe autant précisément qu'il le fallait pour devenir parfaitement ronde par le mouvement de rotation.

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NOTES DU ONZIÈME ENTRETIEN.

Ainsi tout se réduit aux mesures géodésiques, et la prétendue théorie n'est rien.

Observons, en finissant, que plusieurs parties de la science, notamment celle dont il s'agit dans ce moment, reposent sur des observations infiniment délicates, et que toute observation délicate exige une conscience délicate. La probité la plus rigoureuse est la première qualité de tout observateur.

FIN DES NOTES DU ONZIÈME ENTRETIEN.

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