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cipe diametralemnt contraire à celui qui les aurait constituées. Soyez bien sûr que des légions d'athées ne tiendraient pas contre des légions fulminantes.

Enfin, messieurs, les fonctions du soldat sont terribles; mais il faut qu'elles tiennent à une grande loi du monde spirituel, et l'on ne doit pas s'étonner que toutes les nations de l'univers se soient accordées à voir dans ce fléau quelque chose encore de plus particutièrement divin que dans les autres; croyez que ce n'est pas sans une grande et profonde raison que le titre de DIEU DES ARMÉES brille à toutes les pages de l'Ecriture sainte. Coupables mortels, et malheureux, parce que nous sommes coupables ! c'est nous qui rendons nécessaires tous les maux physiques, mais surtout la guerre; les hommes s'en prennent ordinairement aux souverains, et rien n'est plus naturel: Horace disait en se jouant: « Du délire des rois les peuples sont punis.

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Mais J. B. Rousseau a dit avec plus de gravité et de véritable philosophie :

« C'est le courroux des rois qui fait armer la terre, « C'est le courroux du Ciel qui fait armer les rois. »

Observez de plus que cette loi déjà si terrible de la guerre n'est cependant qu'un cha

pitre de la loi générale qui pèse sur l'univers.

Dans le vaste domaine de la nature vivante, il règne une violence manifeste, une espèce de rage prescrite qui arme tous les êtres in mutua funera: dès que vous sortez du règne insensible, vous trouvez le décret de la mort violente écrit sur les frontières mêmes de la vie. Déjà, dans le règne végétal, on commence à sentir la loi : depuis l'immense catalpa jusqu'au plus humble graminée, combien de plantes meurent, et combien sont tuées! mais, dès que vous entrez dans le règne animal, la loi prend tout à coup une épouvantable évidence. Une force, à la fois cachée et palpable, se montre continuellement occupée à mettre à découvert le principe de la vie par des moyens violents. Dans chaque grande division de l'espèce animale, elle a choisi un certain nombre d'animaux qu'elle a chargés de dévorer les autres: ainsi, il y a des insectes de proie, des reptiles de proie, des oiseaux de proie, des poissons de proie, et des quadrupèdes de proie. Il n'y a pas un instant de la durée où l'être vivant ne soit dévoré par un autre. Au-dessus de ces nombreuses races d'animaux est placé l'homme, dont la

main destructrice n'épargne rien de ce qui vit; il tue pour se nourrir, il tue pour se vêtir, il tue pour se parer, il tue pour attaquer il tue pour se défendre, il tue pour s'instruire, il tue pour s'amuser, il tue pour tuer : roi superbe et terrible, il a besoin de tout, et rien ne lui résiste. Il sait combien la tête du requin ou du cachalot lui fournira de barriques d'huile; son épingle déliée pique sur le carton des musées l'élégant papillon qu'il a saisi au vol sur le sommet du MontBlanc ou du Chimboraço; il empaille le crocodile, il embaume le colibri; à son ordre, le serpent à sonnettes vient mourir dans la liqueur conservatrice qui doit le montrer intact aux yeux d'une longue suite d'observateurs. Le cheval qui porte son maître à la chasse du tigre se pavane sous la peau de ce même animal; l'homme demande tout à la fois, à l'agneau ses entrailles pour faire résonner une harpe ; à la baleine ses fanons pour soutenir le corset de la jeune vierge; au loup, sa dent la plus meurtrière pour polir les ouvrages légers de l'art; à l'éléphant ses défenses pour façonner le jouet d'un enfant ses tables sont couvertes de cadavres. Le philosophe peut même découvir comment

le carnage permanent est prévu et ordonné dans le grand tout. Mais cette loi s'arrêterat-elle à l'homme ? non sans doute. Cependant quel être exterminera celui qui les exterminera tous? Lui. C'est l'homme qui est chargé d'égorger l'homme. Mais comment pourra-t-il accomplir la loi, lui qui est un être moral et miséricordieux : lui qui est né pour aimer; lui qui pleure sur les autres comme sur lui-même ; qui trouve du plaisir à pleurer, et qui finit par inventer des fictions pour se faire pleurer; lui enfin à qui il a été déclaré qu'on redemandera jusqu'à la dernière goutte du sang qu'il aura versé injustement (1)? C'est la guerre qui accomplira le décret. N'entendez-vous pas la terre qui crie et demande du sang? Le sang des animaux ne lui suffit pas, ni même celui des coupables versé par le glaive des lois. Si la justice humaine les frappait tous, il n'y aurait point de guerre; mais elle ne saurait en atteindre qu'un petit nombre, et souvent même elle les épargne, sans se douter que sa féroce humanité contribue à nécessiter la guerre, si, dans le même temps surtout, un

(1) Gen. IX, 5.

autre aveuglement, non moins stupide et non moins funeste, travaillait à éteindre l'expiation dans le monde. La terre n'a pas crié en vain la guerre s'allume. L'homme, saisi tout à coup d'une fureur divine, étrangère à la haine et à la colère, s'avance sur le champ de bataille sans savoir ce qu'il veut ni même ce qu'il fait. Qu'est-ce donc que cette terrible énigme ? Rien n'est plus contraire à sa nature: et rien ne lui répugne moins: il fait avec enthousiasme ce qu'il a en horreur. N'avezvous jamais remarqué que, sur le champ de mort, l'homme ne désobéit jamais ? il pourra bien massacrer Nerva ou Henri IV; mais le plus abominable tyran, le plus insolent boucher de chair humaine n'entendra jamais là: Nous ne voulons plus vous servir. Une révolte sur le champ de bataille, un accord pour s'embrasser en reniant un tyran, est un phénomène qui ne se présente pas à ma mémoire. Rien ne résiste, rien ne peut résister à la force qui traîne l'homme au combat ; innocent meurtrier, instrument passif d'une main redoutable, il se plonge tête baissée dans l'abime qu'il a creusé lui-même; ilreçoit la mort sans se douter que c'est luiqui a fait la mort(1).

(1) Et infixæ sunt gentes in interitum quem fecerunt. (Ps. IX, 16.)

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