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« Cette nation ( la française ) était en Europe la première en tout : il «< n'est pas étonnant que la première aussi elle ait été mûre dans tous <«<les sens. Les deux anges moissonneurs commencent par elle, et lors<«< que la moisson sera prête dans toute la chrétienté, alors le Seigneur paraîtra et mettra fin à toute moisson et à tout pressurage sur la terre.»> (Ibid., pag. 431.)

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Je ne saurais dire pourquoi les docteurs protestants ont en général un grand goût pour la fin du monde. Bengel, qui écrivait ily a soixante ans à peu près, en comptant, par les plus doctes calculs, les années de la bête depuis l'an 1130, trouvait qu'elle devait être anéantie précisément en l'année 1796. (Ibid., pag. 433.)

L'anonyme que je cite nous dit d'une manière bien autrement péremptoire : << Il ne s'agit plus de bâtir des palais et d'acheter des terres « pour sa postérité; il ne nous reste plus de temps pour cela. » ( Ibid., pag. 433.)

Toutes les fois qu'on a fait, depuis la naissance de leur secte, un peu trop de bruit dans le monde, ils ont toujours cru qu'il allait finir. Déjà, dans le XVIe siècle, un jurisconsulte allemand réformé, dédiant un livre de jurisprudence à l'électeur de Bavière, s'excusait sérieusement dans la préface, d'avoir entrepris un ouvrage profane dans un temps où l'on touchait visiblement à la fin du monde. Ce morceau mérite d'être cité dans la langue originale; une traduction n'aurait point de grâce.

In hoc imminente rerum humanarum occasu, eircumactáque jam ferme præcipitantis ævi periodo, frustra tantum laboris impenditur in his politicis studiis paulò post desituris..... Quum vel universa mundi machina suis jam fessa fractaque laboribus, et effecta senio, hác hominum flagitiis velut morbis confecta lethalibus ad eamdem árolórpworv, si unquam alias, certe nunc imprimis quadam &ñono padonía feratur et anhelet. Accedit miserrima, quæ præ oculis est Reip. fortuna, et inenarrabiles dives Ecclesiæ hoc in extremo seculorum agone 'durissimis angoribus et sævissimis doloribus laceratæ.

(Matth. Wesembecii præf. in Paratitlas.)

II.

(Page 201,... Son Pollion, qui fut depuis traduit en assez beaux vers grecs, et lu dans cette langue an concile de Nicée. )

Il n'y a rien de plus curieux que ce que le célèbre Heyne a écrit sur le Pollion. Il cite de bonne foi une foule d'auteurs anciens et nouveaux qui ont vu quelque chose d'extraordinaire dans cette pièce, ce qui ne l'empêche pas néanmoins de dire: Je ne vois rien de plus vain et de plus nul que cette opinion (1). Mais quelle opinion? Il s'agit d'un fait. Si quelqu'un a cru que Virgile était immédiatement inspiré, voilà ce qu'on nomme une opinion dont on peut se moquer si l'on veut; mais ce n'est pas de quoi il s'agit: veut-on nier qu'à la naissance du Sauveur l'univers ne fût dans l'attente de quelque grand événement ? Non, sans doute, la chose n'est pas possible, et le docte commentateur convient lui même que jamais la fureur des propheties ne fut plus forte qu'à cette époque (2), et que, parmi ces prophéties, il en était une qu¡ promettait une immense félicité ; il ajoute que Virgile tira bon parti de ces oracles (3). C'est en vain que Heyne, pour changer l'état de la question, nous répète les réflexions banales sur le mépris des Romains pour les superstitions judaïques (4); car, sans lui demander ce qu'il entend par les superstitions judaïques, ceux qui auront lu attentivement ces entretiens auront pu se convaincre que le système religieux des Juifs ne manquait à Rome ni de connaisseurs, ni d'approbateurs, ni de partisans déclarés, même dans les plus hautes classes. Nous tenons en core de Heyne qu'Herode était l'ami particulier et l'hôte de Pollion, ei que Nicolas de Damas, très habile homme, qui avait fait les affaires de ce même Herode et qui était un favori d'Auguste, avait bien pu instruirè ce prince des opinions judaïques. Il ne faut donc pas croire les Romains si étrangers à l'histoire et à la croyance des Hébreux; mais encore une fois ce n'est pas de quoi il s'agit. Croyait-on à l'époque marquée qu'un grand événement allait éclore? que l'Orient l'emporterait? que des hommes partis de la Judée assujettiraient le monde? Parlait-on de tous côtés d'une femme auguste, d'un enfant miraculeux prét á descendre du ciel,

(1) Nihil tamen istá opinione esse potest levius et certis rerum argumentis magis destitutum. (Heyne, sur la IVe églogue, dans son édition de Virgile. Londres, 1793, in 8,

tom. I

, pag. 72.

(2) Nullo tamen tempore vaticiniorum insanius fuit studium. (Ibid., pag. 73.)

(3) Unum fuit aliquod (Sybillinum oraculum) quod magnam aliquam futuram feli ̧ citatem promitteret. (Ibid., pag. 74.) Hoc itaque oraculo et vaticinio seu commento ingenioso commode usus est Virgilius. (Ibid., pag. 74.)

(4) Ibid., pag. 73.)

pour ramener l'âge d'or sur la terre, etc.? Oui, il n'y a pas moyen de contester ces faits : Tacite, Suétone, leur rendent témoignage. Toute la terre croyait toucher au moment d'une révolution heureuse; la prédiction d'un conquérant qui devait asservir l'univers à sa puissance, embellie par l'imagination des poètes, échauffait les esprits¦jusqu'à l'enthousiasme ; avertis par les oracles du Paganisme, tous les yeux étaient tournés vers l'Orient d'où l'on attendait ce libérateur. Jérusalem s'éveillait à des bruits si flatteurs, etc. (1).

C'est en vain que l'irréligion obstinée interroge toutes les généalogies romaines pour leur demander en grâce de vouloir bien nommer l'enfant célébré dans le Pollion. Quand cet enfant se trouverait, il en résulterait seulement que Virgile, pour faire sa cour à quelque grand personnage de son temps, appliquait à un nouveau-né les prophéties de l'Orient; mais cet enfant n'existe pas, et quelques efforts qu'aient fait les commentateurs, jamais ils n'ont pu en nommer un auquel les vers de Virgile s'adaptent sans violence. Le docteur Lowth surtout (De sacrá poesi Hebræorum) ne laisse rien à désirer sur ce point inté

ressant.'

De quoi s'agit-il donc, et sur quoi dispute-t-on ? Heyne a eu des successeurs qui ont beaucoup renchéri sur lui. Plaignons des hommes (je n'en nomme aucun) furieux contre la vérité, qui, sans foi et sans conscience, changent l'état d'une question toute claire pour chercher des difficultés où il n'y en a point, et s'amusent à réfuter doctement ce que nous ne disons pas, pour se consoler de ne pouvoir réfuter ce que nous disons.

III.

(Page 273. Jamais l'homme n'aurait recouru aux oracles, jamais il n'aurait pu les imaginer s'il n'était parti d'une idée primitive, etc.)

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Il n'y a rien de si connu que le traité de Plutarque De la cessation des oracles. Il y a des vers de Lucain qui ne paraissent pas aussi connus, et qui méritent cependant de l'être. Ce sont de ces choses qu'il faut abandonner aux réflexions du lecteur accoutumé à faire le départ des vérités.

(1) Sermons du P. Elisée.

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(Page 277. Machiavel est le premier homme de ma connaissance qui ait avancé cette proposition.)

Le morceau de Machiavel sur les prophéties mérite en effet grande attention : «< D'onde ei si nasca io non sò, etc., c'est-à-dire :

« Je ne saurais en donner la raison; mais c'est un fait attesté par << toute l'histoire ancienne et moderne, que jamais il n'est arrivé de grand malheur dans une ville ou dans une province qui n'ait été prédit par quelques devins ou annoncé par des révélations, des pro

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«<< diges ou autres signes célestes. Il serait fort à désirer que la cause << en fût discutée par des hommes instruits dans les choses naturelles, et «<< surnaturelles, avantage que je n'ai point. Il peut se faire que notre atmosphère étant, comme l'ont cru certains philosophes (1), habitée par << une foule d'esprits qui prévoient les choses futures par les lois mêmes « de leur nature, ces intelligences, qui ont pitié des hommes, les avertis

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(1) C'était un dogme pythagoricien, siva avtá τον αέρα ψύχων Eμπdiwy (Laert, in Pyth.) Il y a en l'air, dit Plutarque, des natures grandes et puissantes, au demeurant malignes et mal accointables. (Plut. de Iside et Osieide, cap. XXIV, trad. d'Amyot.) Saint Paul, avant Plutarque, avait consacré cette antique croyance. (Ephes. II, 2.)

K

«sent par ces sortes de signes, afin qu'ils puissent se tenir sur leurs gardes. Quoi qu'il en soit, le fait est certain, et toujours après ces «< annonces, on voit arriver des choses nouvelles et extraordinaires. >> (Mach. Disc. sur Tite-Live, I, 56.)

Entre mille preuves de cette vérité, l'histoire d'Amérique en présente une remarquable : « Si l'on en croit les premiers historiens espagnols et les plus estimés, il y avait parmi les Américains une opiК nion presque universelle que quelque grande calamité les mena<«<çait et leur serait apportée par une race de conquérants redouta«bles, venant des régions de l'Est pour dévaster leur contrée, etc. » (Roberston, Hist. de l'Amérique, tom. III, in-12; liv. V. pag. 39.)

Ailleurs, le même historien rapporte le discours de Montézuma aux grands de son empire: « Il leur rappelle les traditions et les prophé<< ties qui annonçaient depuis longtemps l'arrivée d'un peuple de la « même race qu'eux, et qui devait prendre possession du pouvoir su« prême. » (Ibid. p. 123, sur l'année 1520.)

On peut voir à la page 103, A., l'opinion de Montézuma sur les Espagnols. La lecture du célèbre Solis ne laisse aucun doute sur ce fait.

Les traditions chinoises tiennent absolument le même langage. On lit dans le Chouking ces paroles remarquables : Quand une famille s'approche du trône par ses vertus, et qu'une autre est prête à en descendre en punition de ses crimes, l'homme parfait en est instruit par des signes avant-coureurs. ( Mémoires sur les Chinois, in-4°, tom. 1, p. 482.) Les missionnaires ont placé sous ce texte la note suivante.

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L'opinion que les prodiges et les phénomènes annoncent les grandes << catastrophes, le changement des dynasties, les révolutions dans le «< gouvernement, est générale parmi nos lettrés. Le Tien, disent-ils, d'après le Chouking et autres anciens livres, ne frappe jamais de grands coups sur une nation entière sans l'inviter à la pénitence par << des signes sensibles de sa colère. » Ibid.

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Nous avons vu que le plus grand événement du monde était universellement attendu. De nos jours, la révolution française a fourni un exemple des plus frappants de cet esprit prophétique qui annonce constamment les grandes catastrophes. Depuis l'épître dédicatoire de Nostradamus au roi de France (qui appartient au XVIe siècle), jusqu'au fameux sermon du père Beauregard ; depuis les vers d'un anonyme, destinés au fronton de Sainte-Geneviève, jusqu'à la chanson de M. Delisle,

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