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vant la doctrine de leur maître, par les véritables principes, entreprennent de traverser les flots à la nage, je dormirai en paix dans cette barque qui cingle heureusement à travers les écueils et les tempêtes depuis mille huit cent neuf ans..

J'espère, mon cher sénateur, que vous ne m'accuserez pas de parler des illuminés sans les connaître. Je les ai beaucoup vus; j'ai copié leurs écrits de ma propre main. Ces hommes, parmi lesquels j'ai eu des amis, m'ont souvent édifié; souvent ils m'ont amusé, et souvent aussi.... mais je ne veux point me rappeler certaines choses. Je cherche au contraire à ne voir que les côtés favorables. Je vous ai dit plus d'une fois que cette seçte peut être utile dans les pays séparés de l'Eglise, parce qu'elle maintient le sentiment religieux, accoutume l'esprit au dogme, le soustrait à l'action délétère de la réforme, qui n'a plus de bornes, et le prépare pour la réunion. Je me rappelle même souvent avec la plus profonde satisfaction que, parmi les illuminés protestants que j'ai connus en assez grand nombre, je n'ai jamais rencontré une certaine aigreur qui devait être exprimée par un nom particulier, parce qu'elle ne ressem

ble à aucun autre sentiment de cet ordre : au contraire, je n'ai trouvé chez eux que bonté, douceur et piété même, j'entends à leur manière. Ce n'est pas en vain, je l'espère, qu'ils s'abreuvent de l'esprit de saint François de Sales, de Fénélon, de sainte Thérèse : madame Guyon même, qu'ils savent par cœur ne leur sera pas inutile. Néanmoins, malgré ces avantages, ou pour mieux dire, malgré ces compensations, l'illuminisme n'est pas moins mortel sous l'empire de notre Eglise et de la vôtre même, en ce qu'il anéantit fondamentalement l'autorité qui est cependant la base de notre système.

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Je vous l'avoue, messieurs, je ne comprends rien à un système qui ne veut croire qu'aux miracles et qui exige absolument prêtres en opèrent, sous peine d'être déclarés nuls. Blair a fait un beau discours sur ces paroles si connues de saint Paul : « Nous ne <<< voyons maintenant les choses que comme « dans un miroir et sous des images obscures (1). » Il prouve à merveille que si nous avions connaissance de ce qui se passe dans l'autre monde, l'ordre de celui-ci serait trou

(1) Videmus nunc per speculum in ænigmate. (Epist. ad Cor. cap. XIII, 12.)

blé et bientôt anéanti; car l'homme, instruit de ce qui l'attend, n'aurait plus le désir ni la force d'agir. Songez seulement à la brièveté de notre vie. Moins de trente ans nous sont accordés en commun: qui peut croire qu'un tel être soit destiné pour converser avec les anges ? Si les prêtres sont faits pour les communications, les révélations, les manifestations, etc., l'extraordinaire deviendra donc notre état ordinaire. Ceci serait un grand prodige; mais ceux qui veulent des miracles sont les maîtres d'en opérer tous les jours. Les véritables miracles sont les bonnes actions faites en dépit de notre caractère et de nos passions. Le jeune homme qui commande à ses regards et à ses désirs en présence de la beauté est un plus grand thaumaturge que Moïse, et quel prêtre ne recommande pas ces sortes de prodiges? La simplicité de l'Evangile en cache souvent la profondeur: on y lit : S'ils voyaient des miracles, ils ne croiraient pas; rien n'est plus profondément vrai. Les clartés de l'intelligence n'ont rien de commun avec la rectitude de la volonté. Vous savez bien, mon vieil ami, que certains hommes, s'ils venaient à trouver ce qu'ils cherchent, pourraient fort

bien devenir coupables au lieu de se perfectionner. Que nous manque-t-il donc aujourd'hui, puisque nous sommes les maîtres de bien faire? et que manque-t-il aux prêtres, puisqu'ils ont reçu la puissance d'intimer la loi et de pardonner les transgressions?

Qu'il y ait des mystères dans la Bible, c'est ce qui n'est pas douteux; mais à vous dire la vérité, peu m'importe. Je me soucie fort peu de savoir ce que c'est qu'un habit de peau. Le savez-vous mieux que moi, vous, qui travaillez à le savoir? et serions-nous meilleurs si nous le savions? Encore une fois, cherchez tant qu'il vous plaira : prenez garde cependant de ne pas aller trop loin, et de ne pas vous tromper en vous livrant à votre imagination. Il a bien été dit, comme vous le rappelez Scrutez les Ecritures; mais comment et pourquoi ? Lisez le texte : Scrutez les Ecritures, et vous y verrez qu'elles rendent témoignage de moi. ( Jean. V, 39.) Il ne s'agit donc que de ce fait déjà certain, et non de recherches interminables pour l'avenir qui ne nous appartient pas. Et quant à cet autre texte, les étoiles tomberont, ou pour mieux dire, seront tombantes ou défaillantes, l'évangéliste ajoute immédiatement, que les

vertus du ciel sont ébranlées, expressions qui ne sont que la traduction rigoureuse des précédentes. Les étoiles tombantes que vous voyez dans les belles nuits d'été n'embarassent, je vous l'avoue, guère plus mon intelligence. Revenons maintenant....

LE CHEVALIER.

Non pas, s'il vous plaît, avant que j'aie fait une petite querelle à notre bon ami sur une proposition qui lui est échappée. Il nous a dit en propres termes : Vous n'avez plus de héros; c'est ce que je ne puis passer. Que les autres nations se défendent comme elles l'entendront; moi je ne cède point sur l'honneur de la mienne. Le prêtre et le chevalier français sont parents, et l'un est comme l'autre sans peur et sans reproche. Il faut être juste, messieurs : je crois que, pour la gloire de l'intrépidité sacerdotale, la révolution a présenté des scènes qui ne le cèdent en rien à tout ce que l'histoire ecclésiastique offre de plus brillant dans ce genre. Le massacre des Carmes, celui de Quiberon, cent autres faits particuliers retentiront à jamais dans l'uni

vers.

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