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versions que les véritables envoyés expliqueront un jour en vertu d'une mission légitime (nouvelle ou primitive, n'importe) qui chassera le doute de la cité de Dieu (1); et c'est ainsi que les terribles ennemis de l'unité travaillent à l'établir.

LE COMTE.

Je suis ravi, mon excellent ami, que vos brillantes explications me conduisent moimême à m'expliquer à mon tour d'une manière à vous convaincre que je n'ai pas au moins le très grand malheur de parler de ce que je ne sais pas.

Vous voudriez donc qu'on eût d'abord l'extrême bonté de vous expliquer ce que c'est qu'un illuminé. Je ne nie point qu'on n'abuse souvent de ce nom et qu'on ne lui fasse dire ce qu'on veut: mais si, d'un côté, on doit mépriser certaines décisions légères trop communes dans le monde, il ne faut pas non plus, d'autre part, compter pour rien je ne sais quelle désapprobation vague, mais générale, attachée à certains noms. Si celui

(1) Fides dubitationem eliminat è civitate Dei. (Huet, de imbecill. mentis humanæ, lib. III, no 15.)

d'illuminé ne tenait à rien de condamnable, on ne conçoit pas aisément comment l'opinion, constamment trompée, ne pourrait l'entendre prononcer sans y joindre l'idée d'une exaltation ridicule ou de quelque chose de pire. Mais puisque vous m'interpellez formellement de vous dire ce que c'est qu'un illuminé, peu d'hommes peut-être sont plus que moi en état de vous satisfaire.

En premier lieu, je ne dis pas que tout illuminé soit franc-maçon : je dis seulement que tous ceux que j'ai connus, en France surtout, l'étaient; leur dogme fondamental est que le Christianisme, tel que nous le connaissons aujourd'hui, n'est qu'une véritable loge bleue faite pour le vulgaire; mais qu'il dépend de l'homme de désir de s'élever de grade en grade jusqu'aux connaissances sublimes, telles que les possédaient les premiers Chrétiens qui étaient de véritables initiés. C'est ce que certains Allemands ont appelé le Christianisme transcendental. Cette doctrine est un mélange de platonisme, d'origénianisme et de philosophie hermétique, sur une base chrétienne.

Les connaissances surnaturelles sont le grand but de leurs travaux et de leurs espé

rances; ils ne doutent point qu'il ne soit possible à l'homme de se mettre en communication avec le monde spirituel, d'avoir un commerce avec les esprits et de découvrir ainsi les plus rares mystères.

Leur coutume invariable est de donner des noms extraordinaires aux choses les plus connues sous des noms consacrés: ainsi un homme pour eux est un mineur, et sa naissance, émancipation. Le péché originel s'appelle le crime primitif; les actes de la puissance divine ou de ses agents dans l'univers s'appellent des bénédictions, et les peines infligées aux coupables, des pâtiments. Souvent je les ai tenus moi-même en pâtiment, lorsqu'il m'arrivait de leur soutenir que tout ce qu'ils disaient de vrai n'était que le catéchisme couvert de mots étranges.

J'ai eu l'occasion de me convaincre, il y a plus de trente ans, dans une grande ville France, qu'une certaine classe de ces illuminés avait des grades supérieurs inconnus aux initiés admis à leurs assemblées ordinaires; qu'ils avaient même un culte et des prêtres qu'ils nommaient du nom hébreu cohen.

Ce n'est pas au reste qu'il ne puisse y avoir et qu'il n'y ait réellement dans leurs ouvrages

des choses vraies, raisonnables et touchantes, mais qui sont trop rachetées par ce qu'ils y ont mêlé de faux et de dangereux, surtout à cause de leur aversion pour toute autorité et hiérarchie sacerdotales. Ce caractère est général parmi eux : jamais je n'y ai rencontré d'exception parfaite parmi les nombreux adeptes que j'ai connus.

Le plus instruit, le plus sage et le plus élégant des théosophes modernes, Saint-Martin, dont les ouvrages furent le code des hommes dont je parle, participait cependant à ce caractère général. Il est mort sans avoir voulu recevoir un prêtre; et ses ouvrages présentent la preuve la plus claire qu'il ne croyait point à la légitimité du sacerdoce chrétien (1).

En protestant qu'il n'avait jamais douté de la sincérité de La Harpe dans sa conversion (et quel honnête homme pourrait en douter!), il ajoutait cependant que ce littérateur célèbre ne lui paraissait pas s'être dirigé les véritables principes (2).

par

(1) Saint-Martin mourut en effet le 13 octobre 1804, sans avoir voulu recevoir un prêtre. (Mercure de France, 18 mars 1809. No408, pag. 499 et suiv.)

(2) Le journal que l'interlocuteur vient de citer ne s'explique pas tout à fait dans les mêmes termes. Il est moins laconique et rend

Mais il faut lire surtout la préface qu'il a placée à la tête de sa traduction du livre des Trois Principes, écrit en allemand par Jacob Bohme c'est là qu'après avoir justifié jusqu'à un certain point les injures vomies par ce fanatique contre les prêtres catholiques, il accuse notre sacerdoce en corps d'avoir trompé sa destination (1), c'est-à-dire, en d'autres termes, que Dieu n'a pas su établir dans sa religion un sacerdoce tel qu'il aurait dû être pour remplir ses vues divines. Certes c'est grand dommage, car cet essai ayant manqué, il reste bien peu d'espérance. J'irai cependant mon train, messieurs, comme si le Tout-Puissant avait réussi, et tandis que les pieux disciples de Saint-Martin, dirigés, sui

mieux les idées de Saint-Martin. « En protestant, dit le journaliste, de <«< la sincérité de la conversion de La Harpe, il ajoutait cependant qu'il «ne la croyait point dirigée par les véritables voies lumineuses. » Ibid. (Note de l'éditeur.)

(1) Dans la préface de la traduction citée, Saint-Martin s'exprime de la manière suivante :

« C'est à ce sacerdoce qu'aurait di appartenir la manifestation de << toutes les merveilles et de toutes les lumières dont le cœur et l'esprit de l'homme auraient un si pressant besoin. » (Paris, 1802, in-8°, préface, pag. 3.)

Ce passage, en effet, n'a pas besoin de commentaire. Il en résulte à l'évidence qu'il n'y a point de sacerdoce, et que l'Evangile ne suffit pas au cœur et à l'esprit de l'homme.

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