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corce avait toute raison, jusqu'à l'événément, de croire au règne temporel du Messie; il se trompait néanmoins, comme on le vit depuis mais savons-nous ce qui nous attend nous-mêmes ? Dieu sera avec nous jusqu'à la fin des siècles; les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre l'Eglise, etc. Fort bien ! en résulte-t-il, je vous prie, que Dieu s'est interdit toute manifestation nouvelle, et qu'il ne nous est plus permis de nous apprendre rien au delà de ce que nous savons ? ce serait, il faut l'avouer, un étrange raisonnement.

Je veux, avant de finir, arrêter vos regards sur deux circonstances remarquables de notre époque. Je veux parler d'abord de l'état actuel du Protestantisme qui, de toutes parts, se déclare socinien: c'est ce qu'on pourrait appeler son ultimatum, tant prédit à leurs pères. C'est le mahométisme européen, inévitable conséquence de la réforme. Ce mot de mahométisme pourra sans doute vous surprendre au premier aspect; cependant rien n'est plus simple. Abbadie, l'un des premiers docteurs de l'église protestante, a consacré, comme vous le savez, un volume entier de son admirable ouvrage sur la vérité de la religion chrétienne, à la preuve de la

il

divinité du Sauveur. Or, dans ce volume avance avec grande connaissance de cause, que si Jésus-Christ n'est pas Dieu, Mahomet doit être incontestablement considéré comme l'apôtre et le bienfaiteur du genre humain, puisqu'il l'aurait arraché à la plus coupable idolâtrie. Le chevalier Jones a remarqué quelque part que le mahométisme est une secte chrétienne, ce qui est incontestable et pas assez connu. La même idée avait été saisie par Leibnitz, et, avant ce dernier, par le ministre Jurieu (1). L'Islamisme admettant l'unité de Dieu et la mission divine de JésusChrist, dans lequel cependant il ne voit qu'une excellente créature, pourquoi n'appartiendrait-il pas au Christianisme autant que l'Arianisme, qui professe la même doctrine? It y a plus on pourrait, je crois, tirer de l'Al

(1) « Les Mahométans, quoi qu'on puisse dire au contraire, sont «< certainement une secte de Chretiens, si cependant des hommes qui sui<< vent l'hérésie impie d'Arius méritent le nom de Chrétiens.»> (Wm Jone's a description of Asia. Works, in-4°, tom. V, p. 588.) Il faut avouer que les Sociniens approchent fort des Mahometans. (Leibnitz, dans ses œuvres in-4o, tom. V, pag. 481. Esprit et pensées du même, in-8°, tom. II, pag. 84.)

Les Mahometans sont, comme le dit M. Jurieu, une secte dy Christianisme. (Nicole, dans le traité de l'unité de l'Eglise, in-12; liv. III, ch. 2, pag. 341.) On peut donc ajouter le témoignage de Nicole aux trois autres déjà cités.

coran une profession de foi qui embarasserait fort la conscience délicate des ministres protestants, s'ils devaient la signer. Le Protestantisme ayant donc, partout où il régnait, établi presque généralement le Socinianisme, il est censé avoir anéanti le Christianisme dans la même proportion.

Vous semble-t-il qu'un tel état de choses puisse durer, et que cette vaste apostasie ne soit pas à la fois et la cause et le présage d'un mémorable jugement?

L'autre circonstance que je veux vous faire remarquer, et qui est bien plus importante qu'elle ne paraît l'être au premier coup d'œil, c'est la société biblique. Sur ce point, M. le comte, je pourrais vous dire en style de Cicéron: novi tuos sonitus (1). Vous en voulez beaucoup à cette société biblique, et je vous avouerai franchement que vous dites d'assez bonnes raisons contre cette inconcevable institution; si vous le voulez même, j'ajouterai que, malgré ma qualité de Russe, je défère beaucoup à votre église sur cette matière : car, puisque, de l'aveu de tout le monde vous êtes, en fait de prosélytisme, de si puis

(1) Nosti meos sonitus. (Cic. ad Att.)

sants ouvriers, qu'en plus d'un lieu vous avez pu effrayer la politique, je ne vois pas pourquoi on ne se fierait pas á vous, sur la propagation du Christianisme que vous entendez si bien. Je ne dispute donc point sur tout ce

la

, pourvu que vous me permettiez de révérer, autant que je le dois, certains membres et surtout certains protecteurs de la société, dont il n'est pas même permis de soupçonner les nobles et saintes intentions.

Cependant je crois avoir trouvé à cette institution une face qui n'a pas été observée et dont je vous fais les juges. Ecoutez-moi, je vous prie.

Lorsqu'un roi d'Egypte (on ne sait lequel ni dans quel temps) fit traduire la Bible en grec, il croyait satisfaire ou sa curiosité, ou sa bienfaisance, ou sa politique; et, sans contredit, les véritables Israélites ne virent pas, sans un extrême déplaisir, cette loi vénérable jetée pour ainsi dire aux nations, et cessant de parler exclusivement l'idiôme sacré qui l'avait transmise dans toute son intégrité de Moïse à Eléazar.

pour

lui en

Mais le Christianisme s'avançait, et les traducteurs de la Bible travaillaient faisant les saintes écritures dans la

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langue universelle; en sorte que les apôtres et leurs premiers successeurs trouvèrent l'ouvrage fait. La version des Septante monta subitement dans toutes les chaires et fut traduite dans toutes les langues alors vivantes, qui la prirent pour texte.

Il se passe dans ce moment quelque chose de semblable sous une forme différente. Je sais que Rome ne peut souffrir la société biblique, qu'elle regarde comme une des machines les plus puissantes qu'on ait jamais fait jouer contre le Christianisme. Cependant qu'elle ne s'alarme pas trop : quand même la société biblique ne saurait ce qu'elle fait, elle n'en serait pas moins pour l'époque future précisément ce que furent jadis les Septante, qui certes se doutaient fort peu du Christianisme et de la fortune que devait faire leur traduction. Une nouvelle effusion de l'Esprit saint étant désormais au rang des choses les plus raisonnablement attendues, il faut que les prédicateurs de ce don nouveau puissent citer l'Ecriture sainte à tous les peuples. Les apôtres ne sont pas des traducteurs; ils ont bien d'autres occupations; mais la société biblique, instrument aveugle de la providence, prépare ces différentes

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