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plus grande des révolutions. Il n'y a peutêtre pas un homme véritablement religieux en Europe (je parle de la classe instruite) qui n'attende dans ce moment quelque chose d'extraordinaire : Or, dites-moi, messieurs, croyez-vous que cet accord de tous les hommes puisse être méprisé ? N'est-ce rien que ce cri général qui annonce de grandes choses? Remontez aux siècles passés, transportezvous à la naissance du Sauveur : à cette époque, une voix haute et mystérieuse, partie des régions orientales, ne s'écriait-elle pas : L'orient est sur le point de triompher; le vainqueur partira de la Judée; un enfant divin nous est donné, il va paraître, il descend du plus haut des cieux, il ramènera lage d'or sur la terre....? Vous savez le reste. Ces idées étaient universellement répandues; et comme elles prêtaient infiniment à la poésie, le plus grand poète latin s'en empara et les revêtit des couleurs les plus * brillantes dans son Pollion, qui fut depuis traduit en assez beaux vers grecs, et lu dans cette langue au concile de Nicée par l'ordre de l'empereur Constantin. Certes, il était bien digne de la providence d'ordonner que ce cri du genre humain retentit à jamais dans les

vers immortels de Virgile. Mais l'incurable incrédulité de notre siècle, au lieu de voir dans cette pièce ce qu'elle renferme réellement, c'est-à-dire un monument ineffable de l'esprit prophétique qui s'agitait alors dans l'univers, s'amuse à nous prouver doctement que Virgile n'était pas prophète, c'est-à-dire qu'une flûte ne sait pas la musique, et qu'il n'y a rien d'extraordinaire dans la onzième églogue de ce poète; et vous ne trouverez pas de nouvelle édition ou traduction de Virgile qui ne contienne quelque noble effort de raisonnement et d'érudition pour embrouiller la chose du monde la plus claire. Le matérialisme, qui souille la philosophie de notre siècle, l'empêche de voir que la doctrine des esprits, et en particulier celle de l'esprit prophétique, est tout à fait plausible en ellemême, et de plus la mieux soutenue par tradition la plus universelle et la plus imposante qui fut jamais. Pensez-vous que les anciens se soient tous accordés à croire que la puissance divinatrice ou prophétique était un apanage inné de l'homme(1)? Cela n'est pas

(1) Veteres....vim μavrxjy ( divinatricem ) in naturâ quandoque homini inesse contendunt... nec desunt inter recentiores nostri seculi scriptores qui veteribus hac in re assensum præbeant, çtc.

la

possible. Jamais un être et, à plus forte raison, jamais une classe entière d'êtres ne saurait manifester généralement et invariablement une inclination contraire à sa nature. Or, comme l'éternelle maladie de l'homme est de pénétrer l'avenir, c'est une preuve certaine qu'il a des droits sur cet avenir et qu'il a des moyens de l'atteindre, au moins dans de certaines circonstances.

:

Les oracles antiques tenaient à ce mouvement intérieur de l'homme qui l'avertit de sa nature et de ses droits. La pesante érudition de Van-Dale et les jolies phrases de Fontenelle furent employées vainement dans le siècle passé pour établir la nullité générale de ces oracles. Mais, quoi qu'il en soit, jamais l'homme n'aurait recouru aux oracles, jamais il n'aurait pu les imaginer, s'il n'était parti d'une idée primitive en vertu de laquelle ils les regardait comme possibles, et même comme existants. L'homme est assujetti au temps; et néanmoins il est par nature étranger au temps; il l'est au point que l'idée même

Voy. Sam. Bochart, Epist. ad dom. de Segrais, Blondel, Reinesius Fabricius et d'autres encore cités dans la dissestation de Mar. Barth Christ. Richard, De Romá ante Romulum conditá ( in Thess. dissert. M. Joh. Christoph. Martini, tom. II, part. 1; in-8°, pag. 241.)

du bonheur éternel, jointe à celle du temps, le fatigue et l'effraie. Que chacun se consulte, il se sentira écrasé par l'idée d'une félicité successive et sans terme je dirais qu'il a peur de s'ennuyer, si cette expression n'était pas déplacée dans un sujet aussi grave; mais ceci me conduit à une observation qui vous paraîtra peut-être de quelque valeur.

Le prophète jouissant du privilége de sortir du temps, ses idées, n'étant plus distribuées dans la durée, se touchent en vertu de la simple analogie et se confondent, ce qui répand nécessairement une grande confusion dans ses discours. Le Sauveur lui-même se soumit à cet état lorsque, livré volontairement à l'esprit prophétique, les idées analogues de grands désastres, séparées du temps, le conduisirent à mêler la destruction de JéJúsalem à celle du monde. C'est encore ainsi que David, conduit par ses propres souffrances à méditer sur le juste persécuté, sort tout à coup du temps et s'écrie, présent à l'avenir: Ils ont percé mes mains et mes pieds; ils ont compté mes os; ils se sont partagé mes habits; ils ont jeté le sort sur mon vêtement. (Ps. XXI, 17.) Un autre exemple non moins remarquable de cette marche

prophétique se trouve dans le magnifique Ps. LXXI (1); David, en prenant la plume, ne pensait qu'à Salomon; mais bientôt l'idée du type se confondant dans son esprit avec celle du modèle, à peine est-il arrivé au cinquième verset que déjà il s'écrie: il durera autant que les astres; et l'enthousiasme croissant d'un instant à l'autre, il enfante un morceau superbe, unique en chaleur, en rapidité, en en mouvement poétique. On pourrait ajouter d'autres réflexions tirées de l'astrologie judiciaire, des oracles, des divinations de tous les genres, dont l'abus a sans doute déshonoré l'esprit humain, mais qui avait cependant une racine vraie comme toutes les croyances générales. L'esprit prophétique est naturel à l'homme et ne cessera de s'agiter dans le monde. L'homme, en essayant, à toutes les époques et dans tous

(1) Le dernier verset de ce psaume porte dans la Vulgate: Defecerunt laudes David filii Jesse. Le Gros a traduit : Ici finissent les louanges de David.

La traduction protestante française dit : Ici se terminent les rèquétès de David; et la traduction anglaise : Les prières de David sont finies. M. Genoude se tire de ses platitudes avec une aisance merveilleuse en disant Ici finit le premier recueil que David avait fait de ses Psaumes. Pour moi, je serais tenté d'écrire intrépidement : Ici David, oppresse par l'inspiration, jeta la plume, et ce verset ne serait plus qu'une note qui appartiendrait aux éditeurs de David, ou peut-être à lui-même.

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