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reux siècle, avec l'horrible perversité que nous leur avons connue, et qui s'obstinent encore malgré les avertissements qu'ils ont reçus, avaient possédé de plus quelques-unes de ces connaissances qui ont dû nécessairement appartenir aux premiers hommes, malheur à l'univers! ils auraient amené sur le genre humain quelque calamité d'un ordre surnaturel. Voyez ce qu'ils ont fait et ce qu'ils nous ont attiré, malgré leur profonde stupidité dans les sciences spirituelles.

Je m'oppose donc, autant qu'il est en moi, à toute recherche curieuse qui sort de la sphère temporelle de l'homme. La religion est l'aromate qui empêche la science de se corrompre : c'est un excellent mot de Bacon, et, pour cette fois, je n'ai pas envie de le critiquer. Je serais seulement un peu tenté de croire qu'il n'a pas lui-même assez réfléchi sur sa propre maxime, puisqu'il a travaillé formellement à séparer l'aromate de la science.

Observez encore que la religion est le plus grand véhicule de la science. Elle ne peut, sans doute, créer le talent qui n'existe pas: mais elle l'exalte sans mesure partout où elle le trouve, surtout le talent des décou

vertes, tandis que l'irréligion le comprime toujours et l'étouffe souvent. Que voulonsnous de plus? Il n'est pas permis de pénétrer l'instrument qui nous a été donné pour pénétrer. Il est trop aisé de le briser, ou, ce qui est pire peut-être, de le fausser. Je remercie Dieu de mon ignorance encore plus que de ma science; car ma science est moi, du moins en partie, et par conséquent je ne puis être sûr qu'elle est bonne : mon ignorance au contraire, du moins celle dont je parle, est de lui; partant, j'ai toute la confiance possible en elle. Je n'irai point tenter follement d'escalader l'enceinte salutaire dont la sagesse divine nous a environnés; je suis sûr d'être de ce côté sur les terres de la vérité : qui m'assure qu'au delà (pour ne point faire de supposition plus triste) je ne me trouverai pas sur les domaines de la superstition?

LE CHEVALIER.

Entre deux puissances supérieures qui se battent, une troisième, quoique très faible, peut bien se proposer pour médiatrice pourvu qu'elle leur soit agreable et qu'elle ait de la bonne foi.

Il me semble d'abord, M. le sénateur, que vous avez donné un peu trop de latitude à vos idées religieuses. Vous dites que l'explication des causes doit toujours être cherchée hors du monde matériel, et vous citez Keppler, qui arriva à ses fameuses découvertes par je ne sais quel système d'harmonie céleste à laquelle je ne compends rien; mais dans tout cela je ne vois pas l'ombre de religion. On peut bien être musicien et calculer des accords sans avoir de la piété. Il me semble que Kleppler aurait fort bien pu décou

vrir ses lois sans croire en Dieu.

LE SÉNATEUR.

Vous vous êtes répondu à vous-même, M. le chevalier, en prononçant ces mots hors du monde matériel. Je n'ai point dit que chaque découverte doive sortir immédiatement d'un dogme comme le poulet sort de l'œuf j'ai dit qu'il n'y a point de causes dans la matière, et que par conséquent elles ne doivent point être cherchées dans la matière. Or, mon cher ami, il n'y a que les hommes religieux qui puissent et qui veuillent en sortir. Les autres ne croient qu'à la matière, et se courroucent même lorsqu'on leur

parle d'un autre ordre de chose. Il faut à notre siècle une astronomie mécanique, une chimie mécanique, une pesanteur mécanique, une morale mécanique, une parole mécanique, des remèdes mécaniques pour guérir des maladies mécaniques: que sais-je enfin? tout n'est-il pas mécanique ? Or, il n'y a que l'esprit religieux qui puisse guérir cette maladie. Nous parlions de Keppler; mais jamais Keppler n'aurait pris la route qui le conduisit si bien, s'il n'avait pas été éminemment religieux. Je ne voudrais pas d'autre preuve de son caractère que le titre qu'il donna à son ouvrage sur la véritable époque de la naissance de J. C. (1). Je doute que de nos jours un astronome de Londres ou de Paris en choisît un pareil.

Ainsi vous voyez, mon cher chevalier que je n'ai pas confondu les objets, comme vous l'avez cru d'abord.

LE CHEVALIER.

Soit je ne suis point assez fort pour dis

(1) On connaît un ouvrage de ce fameux astronome intitulé: De vero anno quo Dei Filius humanam naturam assumpsit Joh. Keppleri commentatiuncula, in-4°. Peut-être qu'en effet un érudit protestant ne s'exprimerait point ainsi de nos jours.

puter avec vous; mais voici un point sur lequel j'aurais encore envie de vous quereller : notre ami avait dit que votre goût pour les explications d'un genre extraordinaire pouvait vous conduire et en conduire d'autres peutêtre à de très grands dangers, et qu'elles avaient de plus l'extrême inconvénient de nuire aux études utiles. A cela vous avez répondu que c'était précisément le contraire, et que rien ne favorisait l'avancement des sciences et des découvertes en tout genre, comme cette tournure d'esprit qui nous porte toujours hors du monde matériel. C'est encore un point sur lequel je ne me crois pas assez fort pour disputer avec vous; mais ce qui me paraît évident, c'est que vous avez passé l'autre objection sous silence, et cependant elle est grave. J'accorde que lės idées mystiques et extraordinaires puissent quelquefois mener à d'importantes découvertes : il faut aussi mettre dans l'autre bassin de la balance les inconvénients qui peuvent en résulter. Accordons, par exemple, qu'elles puissent illuminer un Keppler: si elles doivent encore produire dix mille fous qui troublent le monde et le corrompent même, je me sens très disposé à sacrifier le grand homme.

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