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relle est un mal : car ces plantes, en mêlant et entrelaçant leurs racines, endurcissent le sol, et forment une barrière de plus entre le ciel et la terre. Brisez, brisez cette croûte maudite; détruisez ces plantes mortellement vivaces; appelez toutes les forces de l'homme; enfoncez le soc; cherchez profondément les puissances de la terrre pour les mettre en contact avec les puissances du ciel.

Voilà, messieurs, l'image naturelle de l'intelligence humaine ouverte ou fermée aux connaissances divines.

Les sciences naturelles mêmes sont soumises à la loi générale. Le génie ne se traîne guère appuyé sur des syllogismes. Son allure est libre; sa manière tient de l'inspiration: on le voit arriver, et personne ne l'a vu marcher (1). Y a-t-il, par exemple, un homme qu'on puisse comparer à Keppler dans l'astronomie? Newton lui-même est-il autre chose que le sublime commentateur de ce grand homme, qui seul a pu écrire son nom dans

(1) Divina cognitio non est inquisitiva... non per ratiocinationem causata, sed immaterialis cognitio rerum absque discursu. (S. Thomas advers. gentes, I, 92.) En effet, la science en Dieu étant une intuition, plus elle a ce caractère dans l'homme, et plus elle s'approche de son modèle.

les cieux? car les lois du monde sont les lois de Keppler. Il y a surtout dans la troisième quelque chose de si extraordinaire, de si indépendant de toute autre connaissance préliminaire, qu'on ne peut se dispenser d'y reconnaître une véritable inspiration: or, il ne parvint à cette immortelle découverte qu'en suivant je ne sais qu'elles idées mystiques de nombres et d'harmonie céleste, qui s'accordaient fort bien avec son caractère profondément religieux, mais qui ne sont, pour la froide raison, que de purs rêves. Si l'on avait soumis ces idées à l'examen de certains philosophes en garde contre toute espèce de superstition, à celui de Bacon, par exemple, qui aimait l'astronomie et la physique comme les premiers hommes d'Italie aiment les femmes, il n'aurait pas manqué d'y voir des idoles de cavernes ou des idoles de tribus, etc. (1).

Mais ce Bacon, qui avait substitué la méthode d'induction à celle du syllogisme, comme on l'a dit dans un siècle où l'on a épuisé tous les genres de délire, non-seulement était demeuré étranger à la découverte

(1) Ceux qui connaissent la philosophie de Bacon entendent cet argot: il serait trop long de l'expliquer aux autres.

de son immortel contemporain, mais il tenait obstinément au système de Ptolomée, malgré les travaux de Copernic, et il appelait cette obstination une noble constance (1).

Et dans la patrie de Roger Bacon on croyait, même après les découvertes de Galilée, que les verres caustiques devaient être, concaves, et que le mouvement de tâtonnement, qu'on fait en haussant et baissant une lentille pour trouver le vrai point du foyer, augmentait la chaleur des rayons solaires.

Il est impossible que vous ne vous soyez pas quelquefois divertis des explications mécaniques du magnétisme, et surtout des atomes de Descartes formés en tire-bouchons (2); mais vous n'avez sûrement pas lu ce qu'en a dit Gilbert car ces vieux livres ne se lisent plus. Je ne prétends point dire qu'il ait raison; mais j'engagerais sans balancer ma vie, et même mon honneur, que jamais on ne découvrira rien dans ce profond mystère de la nature qu'en suivant les idées de Gilbert,

(1) Itaque tenebimus, quemadmodum cœlestia sonent, NOBILEM CONSTANTIAM. (The works of Fr. Bacon. London, 1803, in-8°. Thema cœli, tom. IX, p. 252.)

(2) Cartesii principia philosophica, Pars IV, no 133, p. 186, Amst., Blaen, 1685, in-4°.

ou d'autres du même genre, comme le mouvement général des eaux dans le monde ne s'expliquera jamais d'une manière satisfaisante (supposé qu'il s'explique) qu'à la manière de Sénèque (1), c'est-à-dire par des méthodes totalement étrangères à nos expériences matérielles et aux lois de la mécanique.

Plus les sciences se rapportent à l'homme, comme la médecine, par exemple, moins elles peuvent se passer de religion lisez, si vous voulez, les médecins irréligieux, comme savants ou comme écrivains, s'ils ont le mérite du style; mais ne les appelez jamais auprès de votre lit. Laissons de côté, si vous le voulez, la raison métaphysique, qui est cependant bien importante; mais n'oublions jamais le précepte de Celse, qui nous recommande quelque part de chercher autant que nous le pouvons le médecin ami (2); cherchons donc avant tout celui qui a juré d'aimer tous les hommes, et fuyons par-dessus tout celui qui, par système, ne doit l'amour à personne.

(1) Sen. Quæst. nat. III, 10, 12, 15. Elzevir, 1639, 4 vol. in-12, tom. II, pag. 578, seqq.

(2) Quùm par scientia sit, utiliorem tamen medicum esse ( scias) amicum quàm extraneum. (Aur. Corn. Celsi de Remed. Præf. lib. I.)

Les mathématiques mêmes sont soumises à cette loi, quoiqu'elles soient un instrument plutôt qu'une science, puisqu'elles n'ont de valeur qu'en nous conduisant à des connaissances d'un autre ordre: comparez les mathématiciens du grand siècle et ceux du suivant. Les nôtres furent de puissants chiffreurs: ils manièrent avec une dextérité merveilleuse et qu'on ne saurait trop admirer les instruments remis entre leurs mains; mais ces instruments furent inventés dans le siècle de la foi et même des factions religieuses, qui ont une vertu admirable pour créer les grands caractères et les grands talents. Ce n'est point la même chose d'avancer dans une route ou de la découvrir.

Le plus original des mathématiciens du XVIIIe siècle, autant qu'il m'est permis d'en juger, le plus fécond, et celui surtout dont les travaux tournèrent le plus au profit de l'homme (ce point ne doit jamais être oublié) par l'application qu'il en fit à l'optique et à l'art nautique, fut Léonard Euler, dont la tendre piétié fut connue de tout le monde, de moi surtout, qui ai pu si longtemps l'admirer de près.

Qu'on ne vienne donc point crier à l'illu

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