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que vous prenez peut trop aisément vous égarer, d'autant plus que vous n'avez pas, comme moi, un fanal que vous puissiez regarder par tous les temps et de toutes les distances. N'y a-t-il pas de la témérité à vouloir comprendre des choses si fort au-dessus de nous ? Les hommes ont toujours été tentés par les idées singulières qui flattent l'orgueil: il est si doux de marcher par des routes extraordinaires que nul pied humain n'a foulées! Mais qu'y gagne-t-on ? l'homme en devient-il meilleur ? car c'est là le grand point. Je dis de plus en devient-il plus savant? Pourquoi accorderions-nous notre confiance à ces belles théories, si elles ne peuvent nous mener ni loin ni droit? Je ne refuse point de voir de fort beaux aperçus dans tout ce que vous venez de nous dire; mais, encore une fois, ne courons-nous pas deux grands dangers, celui de nous égarer d'une manière funeste, et celui de perdre à de vaines spéculations un temps précieux que nous pourrions employer en études, et peut-être même en découvertes utiles?

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comte : il n'y a rien de si utile que ces études qui ont pour objet le monde intellectuel, et c'est précisément la grande route des découvertes. Tout ce qu'on peut savoir dans la philosophie rationnelle se trouve dans un passage de saint Paul, et ce passage, le voici:

CE MONDE EST UN SYSTÈME DE CHOSES INVISIBLES MANIFESTÉES VISIBLEMENT.

L'univers, a dit quelque part Charles Bonnet, ne serait donc qu'un assemblage d'apparences (1)!

Sans doute, du moins dans un certain sens; car il y a un genre d'idéalisme qui est très raisonnable. Difficilement peut-être trouvera-t-on un système de quelque célébrité qui ne renferme rien de vrai.

Si vous considérez que tout a été fait par et pour l'intelligence; que tout mouvement est un effet, de manière que la cause proprement dite d'un mouvement ne peut être un mouvement (2); que ces mots de cause et

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(1) Toute la nature ne serait donc pour nous qu'un grand et magnifique spectacle d'apparences. (Bonnet, Paling., part. XIII, chap. 1.)

(2) Saint Thomas a diť : Omne mobile à principio immobili. ( Adv. gentes I, XLIV, no 2, et xɩví, no 6.) Mallebranche l'a répétée. Dieu seul, dit-il, est tout à la fois moteur et immobile. (Rech. de la vérité,

de matière s'excluent mutuellement comme ceux de cercle et de triangle, et que tout se rapporte dans ce monde que nous voyons à un autre monde que nous ne voyons pas (1), vous sentirez aisément que nous vivons en effet au milieu d'un système de choses invisibles manifestées visiblement.

Parcourez le cercle des sciences, vous verrez qu'elles commencent toutes par un mystère. Le mathématicien tâtonne sur les bases du calcul des quantités imaginaires, quoique ses opérarations soient très justes. Il comprend encore moins le principe du calcul infinitésimal, l'un des instruments les plus puissants que Dieu ait confiés à l'homme. Il s'étonne de tirer des conséquences infaillibles d'un principe qui choque le bon sens, et nous avons vu des académies demander au monde savant l'explication de ces contradictions apparentes. L'astronome attractionnaire dit qu'il ne s'embarrasse nullement de

in-4°, Append. pag. 520.) Mais l'axiome appartient à la philosophie antique.

(2) Tout ce monde visible n'est fait que pour le siècle à venir: tout ce qui passe a ses rapports secrets avec ce siècle éternel où rien ne passera plus : tout ce que nous voyons n'est que la figure et l'attente des choses invisibles.... Dieu n'agit dans le temps que pour l'éternité. (Massillon, Serm, sur les afflictions, III® partie.

savoir ce que c'est que l'attraction, pourvu qu'il soit démontré que cette force existe ; mais, dans sa conscience, il s'en embarrasse beaucoup. Le germinaliste, qui vient de pulvériser les romans de l'épigénégiste, s'arrête tout pensif devant l'oreille du mulet : toute sa science branle et sa vue se trouble. Le physicien, qui a fait l'expérience de Hales, se demande à lui-même ce que c'est qu'une plante, ce que c'est que le bois, enfin ce c'est que la matière, et n'ose plus se moquer des alchimistes. Mais rien n'est plus intéressant que ce qui se passe de nos jours dans l'empire de la chimie. Soyez bien attentifs à la marche des expériences, et vous verrez où les adeptes se trouveront conduits. J'honore sincèrement leurs travaux; mais je crains beaucoup que la postérité n'en profite sans reconnaissance, et ne les regarde eux-mêmes comme des aveugles qui sont arrivés sans le savoir dans un pays dont ils niaient l'exis

tence.

Il n'y a donc aucune loi sensible qui n'ait derrière elle (passez-moi cette expression ridicule) une loi spirituelle dont la première n'est que l'expression visible; et voilà pourquoi toute explication de cause par la matière

ne contentera jamais un bon esprit. Dès qu'on sort du domaine de l'expérience matérielle et palpable pour entrer dans celui de la philosophie rationnelle, il faut sortir de la matière et tout expliquer par la métaphysique. J'entends la vraie métaphysique, et non celle qui a été cultivée avec tant d'ardeur durant le dernier siècle par des hommes qu'on appelait sérieusement métaphysiciens. Plaisants métaphysiciens ! qui ont passé leur vie à prouver qu'il n'y a point de métaphysique ; brutes illustres en qui le génie était animalisé !

Il est donc très certain, mon digne ami, qu'on ne peut arriver que par ces routes extraordinaires que vous craignez tant. Que si je n'arrive pas, ou parce que je manque de forces, ou parce que l'autorité aura élevé des barrières sur mon chemin, n'est-ce pas déjà un point capital de savoir que je suis dans la bonne route? Tous les inventeurs tous les hommes originaux ont été des hommes religieux et même exaltés. L'esprit humain, dénaturé par le scepticisme irréligieux, ressemble à une friche qui ne produit rien ou qui se couvre de plantes spontanées, inutiles à l'homme. Alors même sa fécondité natu

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