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à créer une volonté une et régulière à la place de ces myriades de volontés divergentes et coupables. Saint Paul partait donc de cette idée fondamentale, que nous sommes tous l'édifice de Dieu; et que cet édifice que nous devons élever est le corps du Sauveur (1): Il tourne cette idée de plusieurs manières. Il veut qu'on s'édifie les uns les autres; c'està-dire que chaque homme prenne place volontairement comme une pierre de cet édifice spirituel, et qu'il tâche de toutes ses forces d'y appeler les autres, afin que tout homme édifie et soit édifié. Il prononce surtout ce inot célébre: La science enfle, mais la charité édifie (2): mot admirable, et d'une vêrité frappante: car la science réduite à ellemême divise au lieu d'unir, et toutes ses constructions ne sont que des apparences: au lieu que ela vertu édifie réellement, et ne peut même agir sans édifier. Saint Paul avait lu dans le sublime testament de son maître que les hommes sont un et plusieurs comme Dieu (3); de manière que tous sont

(1) Cor. III, 9.

(2) 1. Cor. VIII, 10.

(3) « Qu'ils soint UN comme nous (Jean, XVII, 11.), afin qu'ils « soient un tous ensemble, comme vous êtes en moi et moi en vous,

terminés et consommés dans l'unité (1), car jusque-là l'œuvre n'est pas finie. Et comment n'y aurait-il point entre nous une certaine unité (elle sera ce qu'on voudra: on l'appellera comme on voudra), puisqu'un seul homme nous a perdus par un seul acte? Je ne fais point ici ce qu'on appelle un cercle en prouvant l'unité par l'origine du mal, et l'origine du mal par l'unité : point du tout; le mal n'est que trop prouvé par lui-même; il est partout et surtout dans nous. Or de toutes les suppositions qu'on peut imaginer pour en expliquer l'origine, aucune ne satisfait le bon sens ennemi de l'ergotage autant que cette croyance, qui le présente comme le résultat héréditaire d'une prévarication fondamentale, et qui a pour elle le torrent de toutes les traditions humaines.

La dégradation de l'homme peut donc être mise au nombre des preuves de l'unité humaine, et nous aider à comprendre comment par la loi d'analogie, qui régit toutes les

« qu'ils soient de même un en vous. (Idid., XXI.) Je leur ai donné la << gloire que vous m'avez donnée, afin qu'ils soient un comme nous << sommes UN. (Ibid., XXII.) »

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(1) « Je suis en eux et vous en moi, afin qu'ils soient consommés en UN. (Ibid., XXIII. )»

choses divines, le salut de même est venu par un seul (1).

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Vous disiez l'autre jour, M. le comte, qu'il n'y avait pas de dogme chrétien qui né fut appuyé sur quelque tradition universelle 'et aussi ancienne que l'homme, ou sur quelque sentiment inné qui nous appartient comme notre propré existence. Rien n'est plus vrai. N'avez-vous jamais réfléchi à l'importance que les hommes ont toujours attachée aux repas pris en commun? La table, dit un ancien proverbé grec, est l'entremetteuse de l'amitié. Point de traités, point d'accords, point de fêtes, point de cérémonies d'aucune espècé, même lugubres, sans repas. Pourquoi l'invitation adressée à un homme qui dînera tout aussi bien chez lui, est-elle une politesse? pourquoi est-il plus honorable d'étre assis à la table d'un prince que d'être assis ailleurs à ses côtés ? Descendez depuis le palais du monarque européen jusqu'à la hutte du cacique; passez de la plus haute civilisation aux rudiments de la société; examinez tous les rangs, toutes les conditions, tous les caractères, partout vous trouverez les repas

(1) Rom. V, 17, sep.

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placés comme une espèce de religion, comme une théorie d'égards, de bienveillance, d'étiquette, souvent de politique; théorie qui a ses lois, ses observances, ses délicatesses très remarquables. Les hommes n'ont pas trouvé de signe d'union plus expressif que celui de se rassembler pour prendre, ainsi rapprochés, une nourriture commune. Ce signe a paru exalter l'union jusqu'à l'unité. Ce sentiment étant donc universel, la religion l'a choisi pour en faire la base de son principal mystère; et comme tout repas, suivant l'instinct universel, était une communion à la même coupe (1), elle a voulu à son tour que sa communion fût un repas. Pour la vie spirituelle comme pour la vie corporelle, une nourriture est nécessaire. Le même organe matériel sert à l'une et à l'autre. A ce banquet, tous les hommes deviennent UN en se rassasiant d'une nourriture qui est une, et qui est toute dans tous. Les anciens pères, pour rendre sensible jusqu'à un certain point cette transformation dans l'unité, tirent volontiers

(1) In segno della comunione e participazione a" sagrifizj essendo lá mensa in se stessa sacra, e non essendo altro i conviti che sagrifizj. (Antichità di Ercolano. Napoli, 1779, in-fol., tom. VII, tav. ix, pag. 42.)

leurs comparaisons de l'épi et de la grappe, qui sont les matériaux du mystère. Car tout ainsi que plusieurs grains de blé ou de raisin ne font qu'un pain et une boisson, de même ce pain et ce vin mystiques qui nous sont présentés à la table sainte, brisent le moi, et nous absorbent dans leur inconcevable unité.

Il y a une foule d'exemples de ce sentiment naturel, légitimé et consacré par la religion, et qu'on pourrait regarder comme des traces presque effacées d'un état primitif. En suivant cette route, croyez-vous, M. le comte, qu'il fût absolument impossible de se former une certaine idée de cette solidarité qui existe entre les hommes (vous me permettrez bien ce terme de jurisprudence), d'où résulte la réversibilité des mérites qui explique tout?

LE COMTE.

Il me serait impossible, mon respectable ami, de vous exprimer, même d'une manière bien imparfaite, le plaisir que m'a causé votre discours; mais, je vous l'avoue avec une franchise dont vous êtes bien digne, ce plaisir est mêlé d'un certain effroi. Le vol

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