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taire cependant, pourquoi pas, puisque la bénédiction l'est de même? Et prenez garde que ces idées n'appartiennent pas seulement à la Bible, comme on l'imagine souvent. Cette hérédité heureuse ou malheureuse est aussi de tous les temps et de tous les pays : elle appartient au Paganisme comme au Ju daïsme ou au Christianisme; à l'enfance du monde, comme aux vieilles nations; on la trouve chez les théologiens, chez les philo. sophes, chez les poètes, au théâtre et à l'Église.

Les arguments que la raison fournit contre cette théorie ressemblent à celui de Zénon contre la possibilité du mouvement. On ne sait que répondre, mais on marche. La famille est sans doute composée d'individus qui n'ont rien de commun suivant la raison; mais, suivant l'instinct et la persuasion universelle, toute famille est une.

C'est surtout dans les familles souveraines que brille cette unité : le souverain change de nom et de visage; mais il est toujours, comme dit l'Espagne, MOI LE ROI. Vos Français, M. le chevalier, ont deux belles maximes plus vraies peut-être qu'ils ne pensent : l'une de droit civil, le mort saisit le vif;

et l'autre de droit public, le roi ne meurt pas. Il ne faut donc jamais le diviser par la pensée lorsqu'il s'agit de le juger.

On s'étonne quelquefois de voir un monarque innocent périr misérablement dans l'une de ces catastrophes politiques si fréquentes dans le monde. Vous ne croyez pas sans doute que je veuille étouffer la compassion dans les cœurs; et vous savez ce que les crimes récents ont fait souffrir au mien: néanmoins, à s'en tenir à la rigoureuse raison, que veut-on dire? tout coupable peut être innocent et même saint le jour de son supplice. Il est des crimes qui ne sont consommés et caractérisés qu'au bout d'un assez long espace de temps : il en est d'atitres qui se composent d'une foule d'actes plus ou moins excusables, pris à part, mais dont la répétition devient à la fin très criminelle. Dans ces sortes de cas, il est évident que la peine ne saurait précéder le complément du crime.

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Et même dans les crimes instantanés, les supplices sont toujours suspendus et doivent l'être. C'est encore une de ces occasions si fréquentes où la justice humaine sert d'interprète à celle dont la nôtre n'est qu'une image et une dérivation.

Une étourderie, une légèreté, une contravention à quelque réglement de police, peuvent être réprimées sur-le-champ ; mais dès qu'il s'agit d'un crime proprement dit jamais le coupable n'est puni au moment où il le devient. Sous l'empire de la loi mahométane, l'autorité punit et même de mort l'homme qu'elle en juge digne au moment et sur le lieu même où elle le saisit; et ces exécutions brusques, qui n'ont pas manqué d'aveugles admirateurs, sont néanmoins une des nombreuses preuves de l'abrutissement et de la réprobation de ces peuples. Parmi l'ordre est tout différent: il faut que le coupable soit arrêté; il faut qu'il soit accusé ; il faut qu'il se défende; il faut surtout qu'il pense à sa conscience et à ses affaires; il faut des préparatifs matériels pour son supplice; il faut enfin, pour tenir compte de tout, un certain temps pour le conduire au lieu du châtiment, qui est fixe. L'échafaud est un autel: il ne peut donc être placé ni déplacé que par l'autorité; et ces retards, respectables jusque dans leurs excès, et qui de même ne manquent pas d'aveugles détracteurs, ne sont pas moins une preuve de notre supériorité.

nous,

Si donc il arrive que, pendant la suspension indispensable qui doit avoir lieu entre le crime et le châtiment, la souveraineté vienne à changer de nom, qu'importe à la justice? il faut qu'elle ait son cours ordinaire. En faisant même abstraction de cette unité que je contemple dans ce moment, rien n'est plus juste humainement; car nulle part l'héritier naturel ne peut se dispenser de payer les dettes de la succession, à moins qu'il ne s'abstienne. La souveraineté répond de tous les actes de la souveraineté. Toutes les dettes, tous les traités, tous les crimes l'obligent. Si, par quelque acte désordonné, elle organise aujourd'hui un germe mauvais dont le développement naturel doit opérer une catastrophe dans cent ans, ce coup frappera justement la couronne dans cent ans. Pour s'y soustraire il fallait la refuser. Ce n'est jamais ce roi, c'est LE,roi qui est innocent ou coupable. Platon, je ne sais plus où, dans le Gorgias, peut-être, nous a dit une chose épouvantable à laquelle j'ose à peine penser (1); mais si l'on entend sa proposi

(1) Προστάτης πόλεως οὐδ ̓ ἂν εἰς ποτε ἀδίκως ἀπόλοιτο ὑπ' αὐτῆς τῆς πόλεως ής προστατεί (Plat. Gorgias. Opp.,t. VI, édit. Bipont., pag. 156.)

tion dans le sens que je vous présente maintenant, il pourrait bien avoir raison. Des siècles peuvent s'écouler justement entre Facte méritoire et la récompense, comme entre le crime et le châtiment. Le roi ne peut naître, il ne peut mourir qu'une fois : il dure autant que la royauté. S'il devient coupable, il est traité avec poids et mesure: il est, suivant les circonstances, averti, menacé, et humilié, suspendu, emprisonné, jugé ou sacrifié.

Après avoir examiné l'homme, examinons ce qu'il y a de plus merveilleux en lui, la parole; nous trouverons encore le même. mystère, c'est-à-dire, division inexplicable et tendance vers une certaine unité tout aussi inexplicable. Les deux plus grandes époques du monde spirituel sont sans doute celle de Babel, où les langues se divisèrent, et celle de la Pentecôte, où elles firent un merveilleux effort pour se réunir: on peut même observer là-dessus, en passant, que les deux prodiges les plus extraordinaires dont il soit fait mention dans l'histoire de l'homme sont, en même temps, les faits plus certains dont nous ayons connaissance. Pour les contester il faut manquer à la fois de raison et de probité.

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