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III.

(Page 167. Voltaire..... objecte que Marc-Aurèle et Epiclète parlent CONTINUELLEMENT d'aimer Dieu.)

Voy. les Pensées de Pascal. Paris, Reynouard, 1803, 2 vol. in-8o, tom. II, pag. 328. Il y a dans ce passage de Voltaire autant de bévues que de mots. Car sans parler du continuellement, qui est tout à fait ridicule, parler d'aimer Dieu n'est point du tout demander à Dieu la grâce de l'aimer; et c'est ce que Pascal a dit. Ensuite Marc-Aurèle et Epictete n'étaient pas des religions. Pascal n'a point dit (ce qu'il aurait pu dire cependant) : Aucun homme hors de notre religion n'a demandé, etc. Il a dit, ce qui est fort différent: Aucune autre religion que la notre, etc. Qu'importe que tel ou tel homme ait pu dire quelques mots mal prononcés sur l'amour de Dieu ? Il ne s'agit pas d'en parler, il s'agit de l'avoir; il s'agit même de l'inspirer aux autres et de l'inspirer en vertu d'une institution générale, à portée de tous les esprits. Or, voilà ce qu'a fait le Christianisme, et voilà ce que jamais la philosophie n'a fait, ne fera ni ne peut faire. On ne saurait assez le répéter : elle ne peut rien sur le cœur de l'homme. Circùm præcordia ludit.

Elle se joue autour du cœur ; jamais elle n'entre.

IV.

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(Page 168.... Vous ne douterez guère qu'il (Sénèque) n'ait eu les Chrétiens en vue.)

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«Que sont, dit-il, dans son épître LXXVIII, que sont les maladies «<les plus cruelles comparées aux flammes, aux chevalets, aux lames rougies, à ces plaies faites par un raffinement de cruauté sur des « membres déjà enflammés par des plaies précédentes? Et cependant, << au milieu de ces supplices, un homme a pu ne pas laisser échapper <«< un soupir ; il a pu ne pas supplier : ce n'est pas assez, il a pu ne pas répondre: ce n'est point assez encore; il a pu rire, et même de bon <«< cœur. » Et ailleurs : « Quoi donc, si le fer, après avoir menacé la « tête de l'homme intrépide, creuse, découpe l'une après l'autre << toutes les parties de son corps; si on lui fait contempler ses entrailles <«< dans son propre sein; si, pour aiguiser la douleur, on interrompt « son supplice pour le reprendre bientôt après; si l'on déchire ses

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« plaies cicutrisées pour en faire jaillir de nouveau sang, n'éprouvera-t-il` «< ni la crainte ni la douleur ? Il souffrira sans doute, car nul degré de

«<courage ne peut éteindre le sentiment; mais il n'a peur de rien : il

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regarde d'en haut ses propres souffrances.» (Epit. LXXXV.)

De qui donc voulait parler Sénèque? Y a-t-il avant les martyrs des exemples de tant d'atrocité d'une part et de tant d'intrépidité de l'autre ? Sénèque avait vu les martyrs de Néron; Lactance, qui voyait seul Dioclétien, a décrit leurs souffrances, et l'on a les plus fortes raisons de croire qu'en écrivant, il avait en vue les passages de Sénèque qu'on vient de lire. Ces deux phrases surtout sont remarquables par leur rapprochement.

Si ex intervallo, quò magis tormenta sentiat, repetitur et per siccala viscera recens dimittitur sanguis. (Sen. Ep. LXXXV.)

Nihil aliud devitant quàm ut ne torti moriantur.... curam tortis diligenter adhibent ut ad alios cruciatus membra renoventur et reparetur novus sanguis pœnam. (Lact., liv. Instit., lib. V, cap. 11, de Justitiâ.)

V.

(Page 169.... Et tout de suite il (Plutarque) parle de sabbatismes, de prosternations, de honteux accroupissements, etc.)

Chez les Hébreux, et sans doute aussi chez d'autres nations orientales, l'homme, qui déplorait la perte d'un objet chéri ou quelque autre grand malheur, se tenait assis; et voilà pourquoi siéger et pleurer sont si souvent synonymes dans l'Ecriture-Sainte. Ce passage des Psaumes, par exemple (totalement dénaturé dans nos malheureuses traductions): Surgite postquàm sederitis, qui manducatis panem doloris. (Ps. CXXVI, 6,) signifie : « Consolez-vous, après avoir pleuré, ô vous qui mangez le pain de la douleur ! » Une foule d'autres textes attestent la même coutume, qui n'était point étrangère aux Romains. Mais lorsque Ovide dit, en parlant de Lucrèce :

Passis SEDET illa capillis,

Ut solet ad nati mater itura rogum.

(Fast. II, 813-814.)

Il n'entend sûrement pas décrire l'attitude ordinaire d'une femme assise; et lorsque les enfants d'Israel venaient s'asseoir dans le temple pour y pleurer leurs crimes ou leurs malheurs, (Jud. XX, 26, etc.,)

ils n'étaient pas sûrement assis commodément sur des siéges. I paraît certain que, dans ces circonstances, on était assis à terre et accroupi; et c'est à cette attitude d'un homme assis sur ses jambes que Plutarque fait allusion par l'expression qu'il emploie et qui ne peut être rendue facilement dans notre langue. Assise ignoble serait l'expression propre, si le mot d'assise n'avait pas perdu, comme celui de session, sa signification primitive.

Il faut cependant observer, pour l'exactitude, qu'une différence de ponctuation peut altérer la phrase de Plutarque, de manière que l'épithète d'ignoble tomberait sur le mot de prosternation, au lieu d'affecter celui d'accroupissement. Le traducteur latin s'est déterminé pour le sens adopté de mémoire par l'interlocuteur. L'observation principale demeure au reste dans toute sa force.

VI.

(Note de l'éditeur.)

(Page 169. Il Rutilius) en veut à Pompée et à Titus pour avoir conquis cette malheureuse Judée qui empoisonnait le monde.) Je crois qu'on ne sera pas fâché de lire ici les vers de Rutilius :

Atque utinam nunquam Judea subacta fuisset

Pompei bellis imperioque Titi!

Latiùs excisa pestis contagia serpunt,

Victoresque suos natio victa premit,

C'est-à-dire : « Plût aux dieux que la Judée n'eût jamais succombé « sous les armes de Pompée et de Titus! Les venins qu'elle communi<«< que s'étendent plus au loin par la conquête, et la nation vaincue avi«lit ses vainqueurs.» Il semble en effet que ces paroles, dites surtout dans le Ve siècle, ne sauraient désigner que les Chrétiens, et c'est ainsi que les a entendues le docte Huet dans sa Demonstration évangélique. (Prop. III, § 21.) Cependant un très habile interprète de l'EcritureSainte et qui nous l'a expliquée avec un luxe d'érudition qui s'approche quelquefois de l'ostentation, embrasse le sentiment contraire, et croit que, dans le passage de Rutilius, il s'agit uniquement des Juifs. (Dissertazioni e lezioni di S. Scrittura del P. Nicolaï di della compagnia di Gesù. Firenze, 1756, in-4°, tom. I, Dissert. prim. Voy. pag. 138.) Tant il est difficile de voir clair sur ce point, et de discerner exactement les deux religions dans les écrits des auteurs païens!

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VII.

(Page 170... Sénéque, qui connaissait parfaitement cette religion.) Il la connaissait si bien, qu'il en a marqué le principal caractère dans un ouvrage que nous n'avons plus, mais dont saint Augustin nous a conservé ce fragment. « Il y a, dit Sénèque, parmi les Juifs, des <«< hommes qui savent les raisons de leurs mystères, mais la foule ignore pourquoi elle fait ce qu'elle fait.» (Sen. apud St. Aug. Civ. Dei, VII, п.) Et saint Augustin n'a-t-il pas dit lui-même : Que peu de gens comprenaient ces mystères, quoique plusieurs les célébrassent! (Ibid. X, 16.) Origène est plus détaillé et plus exprès. Y a-t-il rien de plus beau, dit-il, que de voir les Juifs instruits dès le berceau de l'im mortalité de l'âme et des peines et des récompenses de l'autre vie? Les choses n'étaient cependant représentées que sous une enveloppe mythologique aux enfants et aux HOMMES-ENFANTS. Mais pour ceux qui cherchaient la parole et qui voulaient en pénétrer les mystères, cette mythologie était, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, métamorphosée en verité. (Orig. adv. Cels. lib. V, no 42, pag. 610, col. 2, Litt. D.) Ce qu'il dit ailleurs n'est pas moins remarquable : La doctrine des Chrétiens sur la résurrection des morts, sur le jugement de Dieu, sur les peines et les récompenses de l'autre vie, n'est point nouvelle : ce sont les anciens dogmes du Judaïsme. (Id. ibid., lib. II, nos 1, 4.)

Eusèbe, cité par le célèbre Huet, tient absolument le même langage. Il dit en propres termes : « Que la multitude avait été assujettie «< chez les Hébreux à la lettre de la loi et aux pratiques minutieuses, << dépourvues de toute explication; mais que les esprits élevés, affran<< chis de cette servitude, avaient été dirigés vers l'étude d'une certaine philosophie divine, fort au-dessus du vulgaire, et vers l'interpréta«<tion des sens allégoriques.» ( Huet, Démonstr. evangel., tom. II, Prop. Ix, chap. 171, no 8.)

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Cette tradition (ou réception) est la véritable et respectable Cabale, dont la moderne n'est qu'une fille illégitime et contrefaite.

VIII.

(Page 171. Newton, dans sa chronológie, n'a pas dédaigné de lui rendre pleine justice.)

188

NOTES DU NEUVJÈME ENTRETIEN.

dans un dialogue dont la mémoire fait tous les frais. Philon, parlant à un prince tel que Caligula, et lui citant les actes et les opinions de la famille impériale, n'était surement pas tenté de mentir ni même d'exagérer.

«Agrippa, dit-il, votre aïeul maternel, étant allé à Jérusalem' << sous le règne d'Hérode, fut enchanté de la religion des Juifs, et ne << pouvait plus s'en taire............. L'empereur Auguste ordonna que, de ses << propres revenus et selon les formes légitimes, on offrirait chaque jour, << AU DIEU TRÈS-HAUT, sur l'autel de Jérusalem, un taureau et deux << agneaux en holocauste, queiqu'il sût très bien que le temple ne ren<«< fermait aucun simulacre, ni public ni caché; mais ce grand prince, <«< que personne ne surpassait en esprit philosophique, sentait bien la « nécessité qu'il existât dans ce monde un autel dédié au Dieu invisible, <«< et qu'à ce Dieu tous les hommes pussent adresser leurs vœux pour << en obtenir la communication d'un heureux espoir et la jouissance des « biens parfaits.....

«Julie, votre bisaïeule, fit de magnifiques présents au temple en «vases et en coupes d'or, et quoique l'esprit de la femme se détache «< difficilement des images, et ne puisse concevoir des choses absolu<«<ment étrangères aux sens, Julie cependant, aussi supérieure à son << sexe par l'instruction que par les autres avantages de la nature, ar<< riva au point de contempler les choses intelligibles préférablement <«< aux sensibles, et de savoir que celle-ci ne sont que les ombres des « premières.» N. B. Par ce nom de Julie, il faut entendre Livie, femme d'Auguste, qui avait passé, par l'adoption, dans la famille des Jules, et qui était en effet bisaïeule de Caligula.

Ailleurs, et dans le même discours à ce terrible Caligula, Philon lui dit expressément Que l'empereur Auguste n'admirait pas seulement, mais qu'il ADORAIT cette coutume de n'employer aucune image pour repre senter matériellement une nature invisible.

Εθαύμαζε καὶ προσεκυνεῖ. κ. τ. λ.

(Philonis leg. ad Caium inter Opp. colon. Allobrog., 1613, in-fol., pag. 799 et 803.)

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