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en ait d'autre exemple dans l'antiquité. Le temple de Jérusalem était environné d'un portique destiné aux étrangers qui venaient y prier librement. Une foule de ces Gentils avaient confiance en ce Dieu (quel qu'il fût) qu'on adorait sur le mont de Sion. Personne ne les gênait ni ne leur demandait compte de leurs croyances nationales, et nous les voyons encore, dans l'Evangile, venir, au jour solennel de Pâque, adorer à Jérusalem, sans la moindre marque de désapprobation ni de surprise de la part de l'historien sacré.

L'esprit humain ayant été suffisamment préparé ou averti par ce noble culte, le Christianisme parut; et, presque au moment de sa naissance, il fut connu et prêché à Rome. C'en est assez pour que je sois en droit d'flirmer que la supériorité de Sénèque sur ses devanciers, par parenthèse j'en dirais autant de Plutarque, dans toutes les questions qui intéressent réellement l'homme, ne peut être attribuée qu'à la connaissance plus ou moins parfaite qu'il avait des dogmes mosaïques et chrétiens. La vérité est faite pour notre intelligence comme la lumière pour notre œil; l'une et l'autre s'insinuent sans effort de leur part et sans instruction de la nôtre, toutes

les fois qu'elles sont à portée d'agir. Du moment où le Christianisme parut dans le monde, il se fit un changement sensible dans les écrits des philosophes, ennemis même ou indifférents. Tous ces écrits ont, si je puis m'exprimer ainsi, une couleur que n'avaient pas les ouvrages antérieurs à cette grande époque. Si donc la raison humaine veut nous montrer ses forces, qu'elle cherche ses preuves avant notre ère; qu'elle ne vienne point battre sa nourrice; et, comme elle l'a fait si souvent, nous citer ce qu'elle tient de la révélation, pour nous prouver qu'elle n'en a pas besoin. Laissez-moi, de grâce, vous rappeler un trait ineffable de ce fou du grand genre (comme l'appelle Buffon), qui a tant influé sur un siècle bien digne de l'écouter. Rousseau nous dit fièrement dans son Émile : Qu'on lui soutient vainement la nécessité d'une révélation, puisque Dieu a tout dit à nos yeux, à notre conscience et à notre jugement que Dieu veut être adoré EN ESPRIT ET EN VÉRITÉ, et que tout le reste n'est qu'une affaire de police (1). Voilà, messieurs, ce qui s'appelle raisonner! Adorer Dieu en esprit et en vérité ! C'est

(1) Emile. La Haie, 1762, in-8°, tom. III, p. 135.

une bagatelle sans doute! il n'a fallu QUE Dieu pour nous l'enseigner.

Lorsqu'une bonne nous demandait jadis : Pourquoi Dieu nous a-t-il mis au monde? Nous répondions: Pour le connaître, l'aimer, le servir dans cette vie, et mériter ainsi ses récompenses dans l'autre. Voyez comment cette réponse, qui est à la portée de la première enfance, est cependant si admirable, si étourdissante, si incontestablement audessus de tout ce que la science humaine réunie a jamais pu imagiuer; que le sceau divin est aussi visible sur cette ligne du Catéchisme élémentaire que sur le Cantique de Marie, ou sur les oracles les plus pénétrants du SERMON DE LA MONTAGNE.

Ne soyons donc nullement surpris si cette doctrine divine, plus ou moins connue de Sénèque, a produit dans ses écrits une foule de traits qu'on ne saurait trop remarquer. J'espère que cette petite discussion, que nous avons pour ainsi dire trouvée sur notre route, ne vous aura point ennuyés.

Quant à La Harpe, que j'avais tout à fait perdu de vue, que voulez-vous que je vous dise? En faveur de ses talents, de sa noble résolution, de son repentir sincère, de son

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invariable persévérance, faisons grâce à tout ce qu'il a dit sur des choses qu'il n'entendait pas, ou qui réveillaient dans lui quelque passion mal assoupie. Qu'il repose en paix! Et nous aussi, messieurs, allons reposer en paix; nous avons fait un excès aujourd'hui, car il est deux heures cependant il ne faut pas nous en repentir. Toutes les soirées de cette grande ville n'auront pas été aussi innocentes, ni par conséquent aussi heureuses que la nôtre. Reposons donc en paix! et puisse ce sommeil tranquille, précédé et produit par des travaux utiles et d'innocents plaisirs, être l'image et le gage de ce repos sans fin qui n'est accordé de même qu'à une suite de jours passés comme les heures qui viennent de s'écouler pour nous!

FIN DU NEUVIÈME ENTRETIEN.

NOTES DU NEUVIÈME ENTRETIEN.

1

No I.

(Page 140. Examen de l'evidence intrinsèque du Christianisme.) Ce livre fut traduit en français sous ce titre Vue de l'évidence de la Religion chrétienne, considérée en elle-même, par M. Jennings. Paris', 1764, in-12. Le traducteur, M. Le Tourneur, se permit de mutiler et d'altérer l'ouvrage sans en avertir, ce qu'il ne faut, je crois, jamais faire. On lira avec plus de fruit la traduction de l'abbé de Feller avec des notes. Liége, 1779, in-12. Elle est inférieure du côté du style', mais ce n'est pas de quoi il s'agit. Celle de Le Tourneur est remarquáble par cette épigraphe, faite pour le siècle : Vous me persuaderiez PRESQUE d'étre Chretien. (Act. XXVI, 29.)

II.

(Page 162. Il n'y eut jamais rien de plus légal et de plus libre que l'introduction du Christianisme au Japon.)

Rien n'est si vrai : il suffit de citer les lettres de saint François Xavier. Il écrivait de Malaca, le 20 juin 1549 : « Je pars (pour le

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Japon) moi troisième, avec Cosme, Turiani et Jean Fernand: nous «< sommes accompagnés de trois Chrétiens japonais, sujets d'une rare « probité.... Les Japonnais viennent fort à propos d'envoyer des am<<bassadeurs au vice-roi des Indes, pour en obtenir des prêtres qui << puissent les instruire dans la religion chrétienne. » Et le 3 novembre de la même année, il écrivait de Congoximo au Japon, où il était arrivé le 5 août : « Deux bonzes et d'autres Japonnais, en grand nombre, << s'en vont à Goa pour s'y instruire dans la foi. » ( S. Francisci Xaverii, Ind. ap. Epistolæ. Wratislaviæ, 1734, in-12, page 160 et 208.)

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