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de nos jours, puisque nons le voyons marcher de front avec celui des nations modernes, sans erreurs ni embarras d'aucune espèce. On peut voir, par l'exemple de Daniel, combien les hommes habiles de cette nation étaient considérés à Babylone, qui renfermait certainement de grandes connaissances. Le fameux rabbin Moïse Maimonide, dont j'ai parcouru quelques ouvrages traduits, nous apprend qu'à la fin de la grande captivité, un très grand nombre de Juifs ne voulurent point retourner chez eux; qu'ils se fixèrent à Babylone; qu'ils y jouirent de la plus grande liberté, de la plus grande considération, et que la garde des archives les plus secrètes à Ecbatane était confiée à des hommes choisis dans cette nation.

En feuilletant l'autre jour mes petits Elzévirs que vous voyez là rangés en cercle sur ce plateau tournant, je tombai par hasard sur la république hébraïque de Pierre Cunæus. Il me rappela cette anecdote si curieuse d'Aristote, qui s'entretint en Asie avec un Juif auprès duquel les savants les plus distingués de la Grèce lui parurent des espèces de barbares.

La traduction des livres sacrés dans une

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langue devenue celle de l'univers, la dispersion des Juifs dans les différentes parties du monde, et la curiosité naturelle à l'homme pour tout ce qu'il y a de nouveau et d'extraordinaire, avaient fait connaître de tout côté la loi mosaïque, qui devenait ainsi une introduction au Christianisme. Depuis longtemps, les Juifs servaient dans les armées de plusieurs princes qui les employaient volontiers à cause de leur valeur reconnue et de leur fidélité sans égale. Alexandre surtout en tira grand parti et leur montra des égards recherchés. Ses successeurs au trône d'Egypte l'imitèrent'sur ce point, et donnèrent constamment aux Juifs de très grandes marques de confiance. Lagus mit sous leur garde les plus fortes places de l'Egypte, et, pour conserver les villes qu'il avait conquises dans la Lybie, il ne trouva rien de mieux que d'y envoyer des colonies juives. L'un des Ptolomées, ses successeurs, voulut se procurer une traduction solennelle des livres sacrés. Evergètes, après avoir conquis la Syrie, vint rendre ses actions de grâces à Jérusalem : il offrit à DŒU un grand nombre de victimes et fit de riches présents au temple. Philométor et Cléopâtre confièrent à deux hommes de cette nation le

gouvernement du royaume et le commandement de l'armée (1). Tout en un mot justifiait le discours de Tobie à ses frères: Dieu vous a dispersés parmi les nations qui ne le connaissent pas, afin que vous leur fassiez connaître ses merveilles; afin que vous leur appreniez qu'il est le seul Dieu et le seul tout-puissant (2).

Suivant les idées anciennes, qui admettaient une foule de divinités et surtout de dieux nationaux, le Dieu d'Israël n'était, pour les Grecs, pour les Romains et même pour toutes les autres nations, qu'une nouvelle divinité ajoutée aux autres; ce qui n'avait rien de choquant. Mais comme il y a toujours dans la vérité une action secrète plus forte que tous les préjugés, le nouveau Dieu, partout où il se montrait, devait nécessairement faire une grande impression sur une foule d'esprits. Je vous en ai cité rapidement quelques exemples, et je puis encore vous en citer d'autres. La cour des empereurs romains avait un grand respect pour le temple de Jérusalem.

(1) Josephe contre Appion. Liv. II, chap. II.

(2) Ideo dispersit vos inter gentes quæ ignorant eum, ut vos enarretis omnia mirabilia ejus, et faciatis scire eos quia non est alius Deus omnipotens præter illum. (Tob. XIII, 4.)

Carus Agrippa ayant traversé la Judée sans y faire ses dévotions, (voulez-vous me pardonner cette expression?) son aïeul, l'empereur Auguste, en fut extrêmement irrité; et ce qu'il y a de bien singulier, c'est qu'une disette terrible qui affligea Rome à cette époque fut regardée par l'opinion publique comme un châtiment de cette faute. Par une espèce de réparation, ou par un mouvement spontané encore plus honorable pour lui, Auguste, quoiqu'il fût en général grand et constant ennemi des religions étrangères, ordonna qu'on sacrifierait chaque jour à ses frais sur l'autel de Jérusalem. Livie, sa femme, y fit présenter des dons considérables. C'était la mode à la cour, et la chose en était venue au point que toutes les nations, même les moins amies de la juive, craignaient de l'offenser, de peur de déplaire au maître ; et que tout homme qui aurait osé toucher au livre sacré des Juifs, ou à l'argent qu'ils envoyaient à Jérusalem, aurait été considéré et puni comme un sacrilége. Le bon sens d'Auguste devait sans doute être frappé de la manière dont les Juifs concevaient la Divinité. Tacite, par un aveuglement singulier, a porté cette doctrine aux nues en croyant la blâmer dans

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un texte célèbre; mais rien ne m'a fait autant d'impression que l'étonnante sagacité de Tibère au sujet des Juifs. Séjan, qui les détestait, avait voulu jeter sur eux le soupçon d'une conjuration qui devait les perdre Tibère n'y fit nulle attention, car, disait ce prince pénétrant, cette nation, par principe, ne portera jamais la main sur un souverain. Ces Juifs, qu'on se représente comme un peuple farouche et intolérant, étaient cependant, à certains égards, le plus tolérant de tous, au point qu'on a peine quelquefois à comprendre comment les professeurs exclusifs de la vérité se montraient si accommodants avec les religions étrangères. On connaît la manière tout à fait libérale dont Elisée résolut le cas de conscience proposé par un capitaine de la garde syrienne (1). Si le prophète avait été jésuite, nul doute que Pascal, pour cette décision, ne l'eût mis, quoiqu'à tort, dans ses Lettres provinciales. Philon, si je ne me trompe, observe quelque part que le grand-prêtre des Juifs, seul dans l'univers, priait pour les nations et les puissances étrangères (2). En effet, je ne crois pas qu'il y

(1) Reg. IV, 5, 19.

(1) Baruch, liv. XI.

(Jerem. XXIV, 7.)

Ils obéissaient en cela à un précepte divin.

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