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mon exil. Quelques-uns n'existent plus, mais leur mémoire m'est sacrée. Souvent je tombe sur des feuilles écrites sous ma dictée par un enfant bien-aimé que la tempête a séparé de moi. Seul dans ce cabinet solitaire, je lui tends les bras, et je crois l'entendre qui m'appelle à son tour. Une certaine date me rappelle ce moment où, sur les bords d'un fleuve étonné de se voir pris par les glaces, je mangeai avec un évêque français un dîner que nous avions préparé nous-mêmes. Ce jour-là j'étais gai, j'avais la force de rire doucement avec l'excellent homme qui m'attend aujourd'hui dans un meilleur monde; mais la nuit précédente, je l'avais passée à l'ancre sur une barque découverte, au milieu d'une nuit profonde, sans feu ni lumière, assis sur des coffres avec toute ma famille, sans pouvoir nous coucher ni même nous appuyer un instant, n'entendant que les cris sinistres de quelques bateliers qui ne cessaient de nous menacer, et ne pouvant étendre sur des têtes chéries qu'une misérable natte pour les préserver d'une neige fondue qui tombait sans relâche.....

Mais, bon Dieu! qu'est-ce donc que je dis, et où vais-je m'égarer ? M. le chevalier,

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vous êtes plus près; voulez-vous bien prendre le volume B de mes recueils, et sans me répondre surtout, lisez d'abord le passage de Jennyngs, comme étant le premier en date vous le trouverez à la page 525. J'ai posé le signet ce matin.

-En effet, le voici tout de suite.

Vue de l'évidence de la religion chrétienne considérée en elle-même, par M. Jennyngs, traduite par M. Le Tourneur. Paris, 1769. in-12. Conclusion, n° 4, p. 517.

« Notre raison ne peut nous assurer que quelques souffrances des individus ne soient « pas nécessaires au bonheur du tout; elle << ne peut nous démontrer que ce ne soit « pas de nécessité que viennent le crime et <<< le châtiment ; qu'ils ne puissent pas pour <<< cette raison être imposés sur nous et levés << comme une taxe sur le bien général, ou << que cette taxe ne puisse pas être payée <<< par un être aussi-bien que par un autre, « et que, par conséquent, si elle est volon<< tairement offerte, elle ne puisse pas être «<< justement acceptée de l'innocent à la place « du coupable....... Dès que nous ne con<<< naissons pas la source du mal, nous ne « pouvons pas juger ce qui est ou n'est pas

« le remède efficace et convenable. Il est à << remarquer que, malgré l'espèce d'absur« dité apparente que présente cette doctrine, << elle a cependant été universellement adoptée « dans tous les âges. Aussi loin que l'histoire

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peut faire rétrograder nos recherches, dans « les temps les plus reculés, nous voyons <<< toutes les nations, tant civilisées que bar<«<< bares, malgré la vaste différence qui les sépare dans toutes leurs opinions religieu»ses, se réunir dans ce point, et croire << à l'avantage du moyen d'apaiser leurs dieux << offensés par des sacrifices; c'est-à-dire « par la substitution des souffrances des << autres hommes et des autres animaux. Ja<<< mais cette notion n'a pu dériver de la rai« son, puisqu'elle la contredit; ni de l'i«<< gnorance, qui n'a jamais pu inventer un expédient aussi inexplicable;... ni de l'ar«tificice des rois et des prêtres, dans la « vue de dominer sur le peuple. Cette doc<<< trine n'a aucun rapport avec cette fin. <<< Nous la trouvons plantée dans l'esprit des Sauvages les plus éloignés qu'on découvre « de nos jours, et qui n'ont ni rois ni prê«tres. Elle doit donc dériver d'un instinct « naturel ou d'une révélation surnaturelle ;

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« et l'une ou l'autre sont également des opé<< rations de la puissance divine.... Le Chris<< tianisme nous a dévoilé plusieurs vérités importantes dont nous n'avions précédem«ment aucune connaissance, et parmi ces « vérités celle-ci que Dieu veut bien « accepter les souffrances du Christ comme « une expiation des péchés du genre hu« main..... Cette vérité n'est pas moins intelligible que celle-ci...... Un homme acquitte les dettes d'un autre homme (1). « Mais.... pourquoi Dieu accepte ces punitions, ou à quelles fins elles peuvent servir, « c'est sur quoi le christianisme garde le « silence; et ce silence est sage. Mille in<< structions n'auraient pu nous mettre en état « de comprendre ces mystères, et conséquemment il n'exige point que nous sa

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(1) Il est difficile dans ces sortes de matières d'apercevoir quelque chose qui ait échappé à Bellarmin. Satisfactio, dit-il, est compensatio pænæ vel solutio debiti: potest autem unus ita pro alio pœnam compensare vel debitum solvere, ut ille satisfacere meritò dici possit. C'està-dire :

La compensation d'une peine ou le paiement d'une dette est ce qu'on nomme satisfaction. Or, un homme peut, ou compenser une peine ou payer une dette pour un autre homme, de manière qu'on puisse dire avec vérité que celui-là a satisfait. ( Rob. Bellarmini controv. christ. fidei de indulgentiis. Lib. I, cap. II, Ingolst., 1601, in-fol., tom. 3, col. 1493.)

«chions ou que nous croyions rien sur la forme de ces mystères.

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Je vais lire maintenant l'autre passage tiré des Considérations sur la France, 2e édition, Londres, 1797, in-8°, chap. 3, pag. 53.

« Je sens bien que, dans toutes ces con« sidérations, nous sommes continuellement <<< assaillis par le tableau si fatigant des in<< nocents qui périssent avec les coupables; << mais sans nous enfoncer dans cette ques«<< tion qui tient à tout ce qu'il y a de plus profond, on peut la considérer seulement « dans son rapport avec le dogme universel « et aussi ancien que le monde, de la réver«sibilité des douleurs de l'innocence au profit des coupables.

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« Ce fut de ce dogme, ce me semble « que les anciens firent dériver l'usage des «<< sacrifices qu'ils pratiquèrent dans tout l'u»nivers, et qu'ils jugeaient utiles non<< seulement aux vivants, mais encore aux « morts (1); usage typique que l'habitude

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(1) lis sacrifiaient au pied de la lettre, pour le repos des âmes. Mais, dit Platon, on dira que nous serons punis dans l'enfer, ou dans notre personne, ou dans celle de nos descendants , pour les crimes que Nous avons commis dans le monde. A ceta on peut répondre qu'il y a

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