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tonnière du bas officier par un ruban de Saint-Georges; et sur le fronton de la serre on lirait : C'est mon bois qui produit mes feuilles. En vérité, cette niaiserie ne serait point bête. La seule chose qui m'embarrasse un peu, c'est que les caporaux...

LE SÉNATEUR.

Mon jeune ami, quelque génie qu'on ait et de quelque pays qu'on soit, il est impossible d'mproviser un Code sans respirer et sans commettre une seule faute, quand il ne s'agirait même que du Code de la baguette; ainsi, pendant que vous y songerez un peu plus mûrement, permettez que je continue.

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Quoique le militaire soit en lui-même dangereux pour le bien-être et les libertés de toute nation, car la devise de cet état sera toujours plus ou moins celle d'Achille : Jura, nego mihi nata; néanmoins les nations les plus jalouses de leurs libertés n'ont jamais pensé autrement que le reste des hommes sur la prééminence de l'état militaire (1);

(1) Partout, dit Xénophon, où les hommes sont religieux, guerriers et obéissants, comment ne serait-on pas à juste droit plein de bonnes espérances? (Hist. græc. III. 4. 8.) En effet ces trois points renfer

ment tout.

et l'antiquité sur ce point n'a pas pensé autrement que nous : c'est un de ceux où les hommes ont été constamment d'accord et le seront toujours. Voici donc le problème que je vous propose: Expliquez pourquoi ce qu'il ya de plus honorable dans le monde, au jugement de tout le genre humain sans exception, est le droit de verser innocemment le sang innocent? Regardez - y de près, et vous verrez qu'il y a quelque chose de mystérieux et d'inexplicable dans le prix extraordinaire que les hommes ont toujours attaché à la gloire militaire; l'autant que, si nous n'écoutions que la théorie et les raisonnements humains, nous serions conduits à des idées directement opposées. Il ne s'agit donc point d'expliquer la possibilité de la guerre par la gloire qui l'environne : il s'agit avant tout d'expliquer cette gloire même ce qui n'est pas aisé. Je veux encore vous faire part d'une autre idée sur le même sujet. Mille et mille fois on nous a dit que les nations, étant les unes à l'égard des autres dans l'état de nature, elles ne peuvent terminer leurs différends que par la guerre. Mais, puisque aujourd'hui j'ai l'humeur interrogante, je demanderai encore: Pourquoi

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toutes les nations sont demeurées respectivement dans l'état de nature, sans avoir fait jamais un seul essai, une seule tentative pour en sortir? Suivant les folles doctrines dont on a bercé notre jeunesse, il fut un temps où les hommes ne vivaient point en société ; et cet état imaginaire, on l'a nommé ridiculement l'état de nature. On ajoute que les hommés, ayant balancé doctement les avantages des deux états, se déterminèrent pour celui que nous voyons...

LE COMTE.

Voulez-vous me permettre de vous interrompre un instant pour vous faire part d'une réflexion qui se présente à mon esprit contre cette doctrine, que vous appelez si justement folle? Le Sauvage tient si fort à ses habitudes les plus brutales que rien ne peut l'en dégoûter. Vous avez vu sans doute, à la tête du Discours sur l'inégalité des conditions l'estampe gravée d'après l'historiette, vraie ou fausse, du Hottentot qui retourne chez ses égaux. Rousseau se doutait peu que ce frontispice était un puissant argument contre le livre. Le Sauvage voit nos arts, nos lois, nos sciences, notre luxe, notre déli

catesse, nos jouissances de toute espèce, et notre supériorité surtout qu'il ne peut se cacher, et qui pourrait cependant exciter quelques désirs dans des cœurs qui en seraient susceptibles; mais tout cela ne le tente seulément pas, et constamment il retourne chez ses égaux. Si donc le Sauvage de nos jours, ayant connaissance des deux états, et pouvant les comparer journellement en certains pays, demeure inébranlable dans le sien cominent veut-on que le Sauvage primitif en soit sorti, par voie de délibération, pour passer dans un autre état dont il n'avait nulle connaissance? Donc la société est aussi ancienne que l'homme, donc le sauvage n'est et ne peut être qu'un homme dégradé et puni. En vérité je ne vois rien d'aussi clair pour le bon sens qui ne veut pas sophistiquer.

LE SÉNATEUR.

Vous préchez un converti, comme dit le proverbé; je vous remercie cependant de votre réflexion: on n'a jamais trop d'armes contre l'erreur. Mais pour en revenir à ce que que je disais tout à l'heure, si l'homme a passé de l'état de nature, dans le sens vulgaire de ce mot, à l'état de civilisation,

ou par délibération ou par hazard ( je parle encore la langue des insensés), pourquoi les nations n'ont-elles pas eu autant d'esprit ou autant de bonheur que les individus; et comment n'ont-elles jamais convenu d'une société générale pour terminer les querelles des nations, comme elles sont convenues d'une souveraineté nationale pour terminer celles des particuliers? On aura beau tourner en ridicule l'impraticable paix de l'abbé de Saint-Pierre (car je conviens qu'elle est impraticable), mais je demande pourquoi? je demande pourquoi les nations n'ont pu s'élever à l'état social comme les particuliers ? comment la raisonnante Europe surtout n'at-elle jamais rien tenté dans ce genre? J'adresse en particulier cette même question aux croyants avec encore plus de confiance: comment Dieu, qui est l'auteur de la société des individus, n'a-t-il pas permis que l'homme, sa créature chérie, qui a reçu le caractère divin de la perfectibilité, n'ait pas seulement essayé de s'élever jusqu'à la société des nations? Toutes les raisons imaginables, pour établir que cette société est impossible, militeront de même contre la société des individus. L'argument qu'on tirerait principa

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