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culier il est écrit dans les astres, sur la terre; dans l'intelligence de l'homme, dans son corps; dans la vérité, dans la fable; dans l'Evangile, dans le Talmud; dans les Védas; dans toutes les cérémonies religieuses, antiques ou modernes, légitimes ou illégitimes, aspersions, ablutions, invocations, exorcismes, charmes, sortiléges, magie noire ou blanche; dans les mystères de la cabale, de la théurgie, de l'alchimie, de toutes les sociétés secrètes; dans la théologie, dans la géométrie, dans la politique, dans la grammaire, dans une infinité de formules oratoires ou poétiques qui échappent à l'attention inavertie; en un mot dans tout ce qui existe. On dira peut-être, c'est le hasard : allons donc ! Des fous désespérés s'y prennent d'une autre manière : ils disent (je l'ai entendu ) que c'est une loi de la nature. Mais qu'est-ce qu'une loi? est-ce la volonté d'un législateur? Dans ce cas ils disent ce que nous disons. Est-ce le résultat purement mécanique de certains éléments mis en action d'une certaine manière? Alors, comme il faut que ces éléments, pour produire un ordre général et invariable, soient arrangés et agissent eux-mêmes d'une certaine manière in

variable, la question recommence, et il se trouve qu'au lieu d'une preuve de l'ordre et de l'intelligence qui l'a produit, il y en a deux; comme si plusieurs dés jetés un grand nombre de fois amènent toujours rafle de six, l'intelligence sera prouvée par l'invariabilité du nombre qui est l'effet, et par le travail intérieur de l'artiste qui est la cause.

Dans une ville tout échauffée par le ferment philosophique, j'ai eu lieu de faire une singulière observation : c'est que l'aspect de l'ordre, de la symétrie, et par conséquent du nombre et de l'intelligence, pressant trop vivement certains hommes que je me rappelle fort bien, pour échapper à cette torture de la conscience, ils ont inventé un subterfuge ingénieux et dont ils tirent le plus grand parti. Ils se sont mis à soutenir qu'il est impossible de reconnaître l'intention à moins de connaître l'objet de l'intention: vous ne sauriez croire combien ils tiennent à cette idée qui les enchante, parce qu'elle les dispense du sens commun qui les tourmente. Ils ont fait de la recherche des intentions une affaire majeure, une espèce d'arcane qui compose, suivant suivant eux, une profonde science et d'immenses travaux. Je les

ai entendus dire, en parlant d'un grand physicien qui avait prononcé quelque chose dans ce genre I ose s'élever jusqu'aux causes finales (c'est ainsi qu'ils appellent les intentions). Voyez le grand effort! Une autre fois ils avertissaient de se donner bien garde de prendre un effet pour une intention; ce qui serait fort dangereux, comme vous sentez car si l'on venait à croire que Dieu se mêle d'une chose qui va toute seule, ou qu'il a eu une telle intention tandis qu'il en avait une autre, quelles suites funestes n'aurait pas une telle erreur! Pour donner à l'idée dont je vous parle toute la force qu'elle peut avoir, j'ai toujours remarqué qu'ils affectent de resserrer autant qu'ils le peuvent la recherche des intentions dans le cercle du troisième régne. Ils se retranchent pour ainsi dire dans la minéralogie et dans ce qu'ils appellent la géologie, où les intentions sont moins visibles, du moins pour eux, et qui leur présentent d'ailleurs le plus vaste champ pour disputer et pour nier (c'est le paradis de l'orgueil); mais quant au régne de la vie, dont il part une voix un peu trop claire qui se fait entendre aux yeux, ils n'aiment pas trop en discourir. Souvent je leur parlais de l'animal

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par pure malice, toujours ils me ramenaient aux molécules, aux atomes, à la gravité, aux couches terrestres, etc. Que savons-nous me disaient-ils toujours avec la plus comique modestie, que savons-nous sur les animaux? le germinaliste sait-il ce que c'est qu'un germe? entendons-nous quelque chose à l'essence de l'organisation? a-t-on fait un seul pas dans la connaissance de la génération? la production des êtres organisés est lettre close pour nous. Or, le résultat de ce grand mystère, le voici c'est que l'animal étant lettre close, on ne peut y lire aucune intention.

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Vous croirez difficilement peut-être qu'il soit possible de raisonner aussi mal; mais vous leur ferez trop d'honneur. C'est ce qu'ils pensent; ou du moins c'est ce qu'ils veulent faire entendre (ce qui n'est pas beaucoup près la même chose). Sur des points. où il n'est pas possible de bien raisonner, l'esprit de secte fait ce qu'il peut; il divague, il donne le change, et surtout il s'étudie à laisser les choses dans un certain demi-jour favorable à l'erreur. Je vous répète que lorsque ces philosophes dissertent sur les intentions, ou, comme ils disent, sur les causes finales

(mais je n'aime pas ce mot), toujours ils parlent de la nature morte quand ils sont les maîtres du discours, évitant avec soin d'être conduits dans le champ des deux premiers régnes où ils sentent fort bien que le terrein résiste à leur tactique; mais, de près ou de loin, tout tient à leur grande maxime, que l'intention ne saurait être prouvée tant qu'on n'a pas prouvé l'objet de l'intention; or je n'imagine pas de sophisme plus grossier : comment ne voit-on pas (1) qu'il ne peut y avoir de symétrie sans fin, puisque la symétrie seule est une fin du symétriseur? Un garde-temps, perdu dans les forêts d'Amérique et trouvé par un Sauvage, lui démontre la main et l'intelligence d'un ouvrier aussi. certainement qu'il les démontre à M. Schubbert (2). N'ayant donc besoin que d'une fin

(1) On voit très bien; mais l'on est fâché de voir, et l'on voudrait ne pas voir. On a honte d'ailleurs de ne voir que ce que les autres voient, et de recevoir une démonstration ex ore infantium et lactentium. L'orgueil se révolte contre la vérité, qui laisse approcher les enfants. Bientôt les ténèbres du cœur s'élèvent jusqu'à l'esprit, et la cataracte est for mée. Quant à ceux qui nient par pur orgueil et sans conviction (le nombre en est immense), ils sont peut-être plus coupables que les premiers.

(2) Savant astronome de l'académie des sciences de Saint- Pétersbourg, distingué par une foule de connaissances que sa politesse tient constamment aux ordres de tout amateur qui veut en profiter.

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