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toute autre. Mais, dès lors, dira-t-on, la perception acquise n'est plus une perception simple? Rien n'est plus vrai. C'est une perception imprégnée de l'activité de l'âme qui l'a distinguée de toute autre perception.

Pour ce motif, nous n'aurions pas dû parler ici des perceptions acquises; nous aurions agi plus judicieusement en classant ces perceptions parmi les notions, c'està-dire parmi les perceptions imprégnées d'activité psychique. Mais il nous a paru utile, tout en faisant nos réserves, d'examiner ici même ce que deviennent les perceptions destinées à constituer les perceptions acquises, c'est-àdire des notions.

Pour faciliter l'exposition anatomique qui va suivre, nous reproduirons ici la figure schématique que nous avons déjà montrée page 36.

D'après la disposition des éléments renfermés dans

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cette figure, il est aisé de comprendre que le mouvement qui réveille l'activité des couches optiques, pour donner

naissance à la perception, ne s'épuise pas dans cette région. Les couches optiques, en effet, sont unies par des fibres aux autres parties de l'encéphale, et, dès qu'elles sont émues par une cause impressionnante, cette émotion se propage de proche en proche et fait vibrer l'instrument dans son entier.

Si l'attention et l'activité psychique ne s'emparent pas de la cause impressionnante, l'instrument cérébral rentre dans le repos, et c'est comme s'il n'avait rien perçu, car il ne reste rien de cette impression fugitive, bien que l'organe ait vibré dans toutes ses parties. Si, au contraire, l'activité psychique se repose sur la cause impressionnante pour l'analyser, la distinguer, les conséquences de la transmission du mouvement aux diverses parties de l'encéphale sont bien autrement importantes.

Voici, dans ce cas, ce qui se passe. En vertu de la loi de propagation de tout mouvement, la cellule A, par exemple, réveillée par une impression visuelle, communique son mouvement à la fibre nerveuse qui l'unit à la cellule A', et le mouvement de la fibre réveille le mouvement propre de la cellule A'. En quoi consiste ce dernier mouvement? Nous l'ignorons, comme nous ignorons tous les mouvements intimes de la matière nerveuse. Mais il nous est permis de supposer que ce mouvement reste un fait acquis sous forme de possibilité. Ce fait acquis, ce mouvement, sous forme de possibilité, ont une importance de premier ordre. Il suffit en effet que, sous l'influence excitatrice des cellules voisines, la cellule A'entre en mouvement, pour que ce mouvement se propage à travers la fibre unissante jusqu'à la cellule A des couches optiques et développe dans cette dernière son mouvement spécial, c'est-à-dire le mouvement propre à l'impression visuelle.

Dans cette circonstance, la perception propre à la cellule A a été développée, non plus sous l'influence d'une cause extérieure au cerveau et transmise à travers les nerfs sensitifs, mais par une cause impressionnante ve

nue du cerveau lui-même, de la substance grise des circonvolutions. Cette provenance spéciale donne à la perception développée un caractère particulier qui nous autorise à la désigner sous le nom de perception acquise.

C'est ainsi que le centre de perception placé entre deux sources de causes impressionnantes, capables de réveiller son activité propre, repose son attention tantôt sur les causes impressionnantes extérieures, tantôt sur les causes impressionnantes intérieures. Lui, reste toujours centre percevant; seules, les causes de son activité, de son réveil, changent et dirigent l'évolution du mor dans toutes les sphères où il peut s'exercer.

Mais, dira-t-on, dans le mécanisme de la transmission des impressions extérieures, la cause impressionnante nous est connue; nous savons que c'est elle qui provoque l'activité des nerfs; quelle est donc la cause qui provoque l'activité des cellules de la substance grise des circonvolutions?

Les cellules de la substance grise des circonvolutions sont unies entre elles par des prolongements, et de telle façon que l'une d'elles peut réveiller l'activité propre de toutes les autres. Dans ces conditions, l'état de veille du centre de perception suffit pour mettre en branle l'activité de toutes les cellules de la périphérie du cerveau. Ce réveil est dans tous les cas successif, et il se fait selon certaines règles, selon certaines lois qui reposent ellesmêmes sur la disposition et l'agencement des éléments cérébraux.

La préoccupation, l'idée fixe, sont des exagérations de l'état normal qui montrent dans toute son évidence le mécanisme dont nous parlons. Ces deux états, en effet, sont caractérisés par l'action permanente ou prédominante de certaines cellules de la couche corticale sur le centre de perception, et cette activité anormale est ellemême entretenue par l'état d'irritation qui accompagne une impression trop vive, trop vivement sentie.

L'état hallucinatoire n'a jamais été bien déterminé

physiologiquement avant nos travaux. Cet état s'explique très-bien d'après la théorie que nous venons de formuler, et, à son tour, l'hallucination elle-même, bien comprise, apporte un témoignage de plus en faveur de la théorie. L'halluciné, en effet, est celui chez lequel la couche corticale, lésée en un de ses points, provoque dans le centre de perception non plus une perception normale de souvenir, mais une perception réelle par suite de l'extension de l'excitation morbide aux nerfs qui, d'habitude, provoquent la perception réelle. L'hallucination est souvent intermittente; elle n'est alors que l'exagération simple de l'état normal sur un point spécial, avec conservation des conditions de l'état normal sur les autres points. Mais souvent aussi elle est continue et elle caractérise alors la démence (1).

D'après les explications qu'on vient de lire, il est possible de se faire une idée de la représentation matérielle de toutes nos connaissances dans le cerveau. On peut, avec quelque apparence de raison, considérer que cette représentation a lieu sous la forme d'une cellule dont l'activité mise en jeu serait capable de réveiller, dans le centre de perception, la notion qu'elle représente.

Le mécanisme selon lequel les perceptions actuelles se transforment en acquisitions cérébrales, en perceptions acquises, nous permet de jeter quelque lumière sur la plupart des phénomènes de l'âme qui jusqu'à présent étaient restés inexplicables.

1o Il était impossible, avec les idées reçues, de s'expliquer comment l'âme, séparée du corps, n'est pas continuellement présente dans le passé comme dans le présent, car un esprit pur ne peut pas se cacher une partie de lui-même. Avec notre théorie tout s'explique : l'âme est toujours présente; mais elle est liée à certaines con

(1) Voir pour plus de développements sur ce sujet notre Physiologie de la voix et de la parole, p. 801, et notre Physiologie du système nerveux, p. 809.

ditions matérielles d'existence, et, grâce à ces conditions, elle peut appliquer séparément son activité: soit aux notions qui représentent le passé, soit aux notions qui représentent le présent. Grâce à ces conditions, elle reste une, indivisible, tout en jouissant des prérogatives attachées à la divisibilité de la matière. Elle emprunte, en effet, à la division de la matière la possibilité d'être affectée de toutes les façons possibles et de la façon la plus claire, la plus distincte, sans cesser d'être une.

2o Avec la théorie de l'âme spirituelle, séparée du corps, il est impossible d'expliquer comment un esprit pur peut tenir en réserve, définitivement ou temporairement, toutes les notions qui représentent l'intelligence de l'homme. Avec notre théorie, l'explication s'impose d'ellemême à la raison. Du moment, en effet, que chaque perception distincte se donne une certaine forme dans la vie spéciale des cellules de la substance grise, toute notion reste un fait acquis, car nous pouvons, à volonté, nous donner la perception de chaque notion en provoquant l'activité de la cellule à laquelle cette notion correspond, A ce point de vue, le cerveau peut être considéré comme un appareil de réduction comparable à un appareil photographique de réduction microscopique. Il résume dans un simple mouvement moléculaire des phénomènes qui exigeraient, pour être représentés par l'industrie humaine ou même par les signes du langage, des éléments nombreux et des formules très-compliquées.

3o Avec la théorie de l'àme distincte du corps, comment expliquer ces mystérieuses incitations qui nous font rechercher les plaisirs de l'âme avec la même vivacité qui nous pousse vers les satisfactions nécessaires?

Comment expliquer encore ces impulsions instinctives ou intelligentes qui nous font aimer ou détester le mal, fuir ou rechercher le bien, le vrai, le beau? Un esprit pur peut-il être une belle âme ou une âme horrible? Et, dans l'affirmative, que deviendraient la justice divine et le mérite des actes humains?

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