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quelque sorte, que nous réfléchissons, et que le temps passe vite dans ce doux exercice, libre de toute contrainte! Non, réfléchir n'est pas vouloir; réfléchir, c'est penser, et la réflexion ne devient volontaire que lorsque la pensée s'applique volontairement à un objet déterminé.

En résumé, l'examen critique qu'on vient de lire nous a permis de passer en revue les points les plus importants de la psychologie, car la volonté, de l'avis de tous les philosophes, est la faculté maîtresse entre toutes les facultés; les uns lui accordent un peu plus, les autres un peu moins, mais tous la considèrent comme la première des facultés immatérielles de l'âme. Aux uns, nous avons démontré que la volonté ne peut pas être l'âme tout entière, parce que l'âme, en tant qu'elle perçoit des notions. ou des idées, peut être active, mais sans volonté. Ces deux expressions représentent deux choses essentiellement distinctes, et doivent être conservées.

Aux autres, nous avons prouvé que la volonté n'est pas une faculté immatérielle faisant tout par elle-même et spontanément. L'intervention nécessaire de l'excitant fonctionnel, dans l'exercice de toute faculté, nous a servi à contester la spontanéité des facultés, et, en montrant que la fonction-langage reproduite subjectivement accompagne forcément toute opération de la volonté, même la plus intime, c'est-à-dire celle qui consiste à se dire qu'on peut vouloir, nous avons prouvé que l'immatérialité pure est une simple vue de l'esprit que l'expérimentation physiologique condamne.

Nous avons fait ressortir la confusion profonde qui règne encore sur ce point important de la psychologie, et nous avons démontré qu'il ne faut pas confondre l'attention et la réflexion avec la volonté.

Toutes ces critiques reposent, en définitive, sur la connaissance des rapports physiologiques de la parole avec la pensée, et complètent tout ce que nous avions à dire sur la notion volonté.

§ III.

des notions: PENSÉE, IMAGINATION, RAISON.

Pensée. Lorsque, après avoir fermé la porte de nos sens au monde extérieur, nous laissons notre esprit s'exercer sur un sujet qui le captive, nous agissons en dedans, nous vivons d'une sorte de vie intérieure. C'est cet acte, cette vie qu'on est convenu de désigner habituellement sous le nom de pensée.

Nous la désignons sous le nom de notion pensée parce que le mot pensée ne saurait exprimer autre chose que l'idée que nous nous faisons d'un certain mode de l'activité psychique.

La pensée est donc un acte intime, percevable par le sens intime comme tous les actes conscients. Mais un acte suppose un sujet et un objet, un moteur et une chose mue. Quel est donc le moteur dans la pensée ? Le moteur ne peut être que le principe de vie lui-même présent dans tous les centres de perception et se présentant avec ses deux attributs d'activité sensible et d'activité motrice.

Et la chose mue, quelle est-elle ? Il n'y a dans le cerveau que ce que nous y avons mis: des notions sensibles et des notions intelligentes.

Cependant, si l'homme, pour penser, n'avait d'autre ressource que d'évoquer une à une dans le champ de la mémoire les perceptions distinctes et classées à la péréphérie corticale, la pensée serait peu de chose; elle serait réduite à une sorte d'imagination sensible, véritable lanterne magique incapable de se prêter aux opérations habituelles de l'esprit humain; il lui manquerait, en un mot, le mouvement et la rapidité nécessaires à son évolution.

Quels sont donc les autres matériaux de la pensée?

On a déjà répondu : l'idée. Oui, sans doute; mais ici encore on est loin de s'entendre. Qu'est-ce que l'idée ? Si nous voulions passer en revue les significations diverses qui ont été données au mot idée depuis Platon jusqu'à Descartes et jusqu'à nous, nous ferions preuve d'érudition, car cette signification est le fondement ou la conséquence des systèmes innombrables de philosophie Platon, Aristote, Descartes, Leibnitz, Locke, Malebranche, Port-Royal, Kant, Condillac ont eu leur système et aussi une opinion particulière sur la nature et l'origine de l'idée. « La plupart des philosophes modernes, dit Garnier, donnent le nom d'idée à tous les actes intellectuels, c'est-à-dire aux perceptions aussi bien qu'aux conceptions et aux croyances. C'est suivant cette acception générale qu'ils divisent les faits intellectuels : 1° en idées simples ou complexes; 2° en idées particulières, singulières ou générales (1). »

Nous ne pouvons pas nous livrer à une critique générale qui nous entraînerait beaucoup trop loin, et, disonsle, sans profit pour le sujet qui nous occupe. Bornonsnous à dire que le mot idée est pris habituellement dans un sens très-vague, mal défini, quant à sa nature philosophique, mais qu'en général on s'entend pour le considérer comme un acte intellectuel ou comme un élément de la pensée. Nous devons indiquer ici d'une manière précise la nature essentielle, physiologique, de cet élément.

De l'idée. -Peut-on dire que les perceptions simples, provenant du mouvement sensitif, transmis au cerveau par les différents ordres de nerfs, soient des idées? Non une perception simple est une modification passagère du principe de vie et pas autre chose.

Peut-on dire que les perceptions simples, distinctes, et classées à la périphérie corticale du cerveau sous les

(1) Ad. Garnier, Traité des facultés de l'âme, t. I, p. 365.

noms de notions sensibles et intelligentes, sont des idées? Oui et non.

Oui, parce que les notions ne sont pas la réalité impressionnante, mais une représentation sous forme de modalité cellulaire de ce que notre esprit attentif (l'intelligence) a saisi de particulier dans les causes impressionnantes. La notion représente, non une image de la réalité, mais ce que notre esprit a pu en saisir d'une manière distincte. C'est ce tout, distinct, limité, défini, qu'on peut, à la rigueur, désigner sous le nom d'idée, car, en vérité, il représente une acquisition durable de notre esprit à l'occasion des sources impressionnantes: distinguer une cause impressionnante de toute autre, c'est avoir une idée de cette cause.

Non, parce que réveiller une notion sensible ou intelligente dans le souvenir n'est pas penser. L'homme qui penserait ainsi serait assimilable au machiniste qui fait passer successivement devant nos yeux une série d'images; penser ainsi, c'est tout simplement se souvenir et se souvenir n'est pas penser.

Cependant les notions qui nous occupent font partie de la pensée; il faut bien que la sensibilité exerce son activité sur quelque chose, et ce quelque chose ne peut être que les notions acquises. Rien n'est plus juste.

Les notions sont une partie de l'idée, elles en sont le fond, si je puis ainsi dire, mais pour être réellement un élément de la pensée, elles doivent être quelque chose de plus que des phénomènes de mémoire. La pensée est un acte soumis, dans son accomplissement, à une certaine durée physiologique; il faut donc que les éléments dont elle se sert soient mobiles, maniables et nullement une chose stable comme le sont les images que nous pouvons successivement évoquer dans le champ de la mémoire. Ce qui manque aux notions, pour être des idées complètes, c'est précisément cette mobilité nécessaire à l'évolution. de la pensée. Comment l'acquièrent-elles?

Lorsqu'une perception a été distinguée de toute autre,

et qu'elle a été classée sous forme de modalité à la périphérie corticale du cerveau, l'homme, obéissant à son instinct, provoque certains mouvements dont il associe l'exécution au souvenir de la notion acquise; ces mouvements aboutissent à un résultat sensible, son ou image, de façon que la notion acquise qui représentait une partie définie des causes impressionnantes extérieures, redevient, grâce au mouvement provoqué qui la réprésente, cause impressionnante extérieure, capable par conséquent d'impressionner de nouveau le centre de perception. Mais, dans les deux cas, la cause impressionnante n'est pas la même dans le premier, cette cause se présentait directement à l'esprit qui en prenait et en retenait ce qu'il pouvait; dans le second, cette même cause impressionnante est représentée par ce quelque chose l'esprit a saisi en elle, et, de plus, par ce quelque chose que l'esprit lui a ajouté de son propre fonds à lui, c'est-à-dire la distinction qu'il a établie entre cette cause et d'autres causes.

Ainsi donc le résultat sensible du mouvement de nos organes, destiné à représenter une notion acquise, représente un peu plus que les causes impressionnantes qui ont donné naissance à la notion: il représente, en même temps, une certaine activité de notre esprit à l'occasion d'une perception. C'est ainsi qu'à propos d'une notion l'esprit extériorise ses propres actes en représentant la notion par le signe-langage.

Le signe-langage, associé à toutes les notions déjà classées, donne à ces dernières le mouvement et la vie. En effet, l'exécution du mouvement-signe est si bien liée à la notion, que, peu à peu, le mouvement et la notion s'appellent l'un l'autre et finissent bientôt par se confondre en une seule et même réalité; dès lors, la notion n'est plus un phénomène possible de mémoire, c'est un mouvement et c'est l'accomplissement tacite de ce mouvement, dans les opérations de la pensée, qui nous donne le sentiment de l'activité psychique.

Dans ces conditions seulement, la notion est une idée

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