Page images
PDF
EPUB

formation du mouvement impressionneur en perception. Dans les deux cas, c'est la vie, c'est le principe agissant sur des éléments différents et, par suite, donnant lieu à des manifestations différentes ici c'est un produit de sécrétion, là un résultat dynamique incomparable.

Bornons-nous donc à constater que la perception est un phénomène vital classé, ayant son analogue dans tous les organes, et ne cherchons pas à l'expliquer parce que, dans aucun organe, ce phénomène n'est explicable: c'est la vie.

L'analyse qui précède renferme les motifs qui nous permettent d'affirmer que le moi ne se perçoit pas directement la vie ne se perçoit pas elle-même; elle ne se sent pas faire de la bile dans le foie, de la salive dans les glandes salivaires, des fibres contractiles dans les mus cles, des choses senties dans le cerveau. Le cerveau ne sent pas sa propre vie; il ne se sent ni percevoir ni agir directement. Qu'est-ce donc que la conscience? Évidemment c'est autre chose que la perception directe des choses qui nous impressionnent. Serait-ce alors un principe dégagé de la matière, un principe conscient, le moi psychique enfin? C'est l'avis de la plupart des philosophes; mais, si l'on veut bien suspendre tout jugement, on verra bientôt qu'il n'est pas nécessaire de faire intervenir ici un principe autre que le principe de vie.

Le cerveau, comme nous l'avons démontré page 75, est le seul organe de la vie qui ait le sentiment de son activité. Nous avons désigné cette manière de sentir sous le nom de sentiment de l'activité cérébrale. Nous avons montré aussi que ce sentiment ne se développe pas directement comme s'il faisait partie de l'essence même de la sensibilité et que, bien au contraire, il prend naissance dans un mécanisme physiologique que nous devons encore mieux préciser ici.

Supposons, par la pensée, un homme incapable de faire aucun mouvement et n'ayant qu'un seul sens, le sens de la vue; supposons encore qu'une image permanente

et toujours la même, l'image d'une bougie, réveille dans les couches optiques l'activité des cellules, et, par conséquent, le phénomène-perception.

Cet homme percevra incontestablement l'image de la bougie; mais aura-t-il conscience de cette perception? aura-t-il conscience qu'il est modifié d'une certaine façon? Non, certes; dans ces conditions, il sera tout sensation de lumière, comme aurait dit Condillac (il ne faut pas confondre cependant nos idées fondamentales avec celles de ce grand penseur, car elles ne se ressemblent pas); il vivra, cérébralement parlant, de cette perception, mais sans en avoir conscience, car la vie ne se perçoit pas elle-même directement; pour parvenir à se percevoir, elle emploie un procédé, et ce procédé réclame des conditions nouvelles.

Or ces conditions sont une perception nouvelle, une autre modification de la cellule sensitive et en même temps le souvenir de la modification première. Expliquons-nous.

Si, à la place d'une bougie, nous mettons une poire, les cellules des couches optiques seront de nouveau réveillées, et le phénomène-perception se produira de nouveau. Pas plus dans ce dernier cas que dans le premier, l'homme n'aura conscience de la manière dont il est modifié; il sera actuellement tout sensation de poire; mais la perception de la bougie a laissé des traces dans son esprit, et en même temps qu'il est perception de poire, il se souvient qu'il a été perception-bougie. En d'autres termes, il se souvient qu'il peut être modifié d'une autre façon. Or, est-ce un principe conscient, psychique, qui se souvient et qui constate cette modification ancienne?

Non certainement, et voici comment les choses se passent en pareil cas.

Pendant que la bougie impressionnait le centre optique B et donnait naissance au phénomène-perception, le mouvement impressionneur transformé ne s'arrêtait pas dans les couches optiques; il continuait sa route à travers

les fibres du noyau blanc de l'encéphale et arrivait à une cellule de la périphérie corticale C, qu'il modifiait d'une certaine façon corrélative à la notion-bougie; or cette cellule, ainsi modifiée, est susceptible d'être réveillée plus tard dans son mode d'activité, acquis sous une influence indirecte et à la faveur des prolongements cellulaires; elle peut donc, à son tour, transmettre son activité aux fibres du noyau blanc jusqu'au centre optique, et déterminer, dans ce dernier, le même phénomène-perception qui

[graphic][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][merged small]

jadis la modifia. C'est ce réveil qui constitue un des éléments du souvenir. Cela posé, revenons à la perception de la poire.

Ce qui se passe pour la bougie a également lieu à la suite de la perception de la poire; le mouvement-perception ne s'épuise pas dans les couches optiques, il continue son chemin vers la périphérie corticale, et là, il trouve une cellule E qu'il modifie d'une certaine façon corrélative à la notion poire. L'activité du cerveau étant réveillée par une impression, cette activité se généralise, et de E le même mouvement va réveiller l'activité de la cellule C.

Cette cellule, nous le savons, représente la notion bougie; par conséquent, son activité s'exerçant de proche en proche, jusqu'au centre optique, peut réveiller de nouveau dans ce dernier le phénomène -perception bougie; il se produit alors un phénomène tout à fait involontaire, mais conscient, et qui consiste en ce que la poire impressionne le centre optique en même temps que ce même centre est vaguement impressionné par le mouvement-perception bougie.

C'est grâce à cette simultanéité d'impressions, l'une réelle, l'autre de souvenir, que nous avons conscience que nous sommes modifiés d'une certaine façon par une impression quelconque.

En d'autres termes, avoir conscience qu'on est impressionné d'une certaine façon, c'est se souvenir qu'on peut l'être d'une autre; sans ce souvenir, la perception est un phénomène vital inconscient, et pas autre chose.

Si à présent l'on rend à cet homme, que nous avons supposé n'avoir que le sens de la vue, tous les autres sens, et si l'on fait sur chacun d'eux le même raisonnement que nous venons de faire sur le sens de la vue, on pourra considérer ensuite l'ensemble des perceptions (couches optiques) dans leurs rapports, d'un côté avec une perception actuelle, de l'autre avec les notions classées et représentées par les cellules de la périphérie corticale, et l'on aura ainsi une idée complète de ce qu'est la conscience chez l'être sensible.

La conscience, chez l'être sensible, est le résultat d'une perception ou d'un acte quelconque réveillant en même temps, par le souvenir, le sentiment de la possibilité d'avoir été ou d'être impressionné d'une autre façon.

En posant les conditions dans lesquelles se tenait l'homme qui a servi à notre démonstration, nous avons supposé à dessein qu'il était privé de tout mouvement. C'est que le mouvement est l'origine d'une notion de conscience toute particulière que nous ne devons pas négliger de mentionner.

L'homme privé de mouvement, et recevant des impressions variées, peut avoir conscience de ses diverses modifications dans sa manière de sentir; mais cette conscience n'est pas réellement complète si le mouvement des organes, en modifiant les rapports du corps avec le monde extérieur, ne vient pas lui donner le sentiment de sa propre activité, et aussi le sentiment que la perception. des impressions provenant de l'extérieur est bien en lui et non en dehors de lui.

Le sentiment de sa propre activité, résultant des rapports variables du corps avec les sources impressionnantes, n'est pas toute la conscience, mais il en est une partie et la condition indispensable de son développement complet. Pour sentir qu'elle agit, la sensibilité extériorise son activité dans un acte qui fournit à un des sens la représentation sensible de son activité; par ce moyen, elle ne se sent pas elle-même, mais elle sent quelque chose qui vient d'elle et qui est en dehors d'elle. Cet acte est le commencement de la conscience. Pour avoir complétement conscience que nous agissons, nous devons encore avoir souvenance que nous avons agi d'une autre façon. Il s'établit alors une association entre ces deux manières de sentir, et c'est la notion de cette association qui constitue la conscience de notre activité. Que l'activité soit sensible ou motrice, cette association. est nécessaire, et elle représente, non une faculté, mais une notion déterminée. Cette notion est inséparable de l'activité fonctionnelle du cerveau; elle en est le résultat et la condition indispensable; elle représente, en un mot, un certain mode d'activité et non une faculté.

La conscience qui se rapporte aux perceptions et celles qui se rapportent aux actes forment la conscience complète de l'être sensible; il est aisé de voir que l'une correspond à l'activité sensible, et l'autre à l'activité motrice. En conséquence, on peut dire que la conscience de l'être sensible n'est point le fait d'un principe conscient psychique indépendant de la matière; c'est un mécanisme

« PreviousContinue »