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que le phénomène sonore doit réaliser, dans sa constitution, deux conditions essentielles : 1° une certaine rapidité dans son exécution; 2° se prêter facilement à l'expression de toutes les nuances d'idées.

Ces deux conditions, la parole les remplit également bien, car elle est le langage physiologique par excellence. Nous pourrions à la rigueur nous contenter de mentionner le fait. Mais, comme nous aurons bientôt à nous occuper du langage mimique qui ne possède pas ces qualités au même degré, nous pensons qu'il n'est pas inutile de dire ici pourquoi la parole remplit si bien les conditions dont nous parlons.

1° La parole remplit exactement la première condition, c'est-à-dire la rapidité nécessaire à l'évolution de la pensée, parce que les mouvements dont elle est composée s'adressent et sont dirigés par le sens spécial des impressions qui se succèdent avec rapidité. Expliquons-nous.

L'impressionnabilité du sens de l'ouïe n'entre en jeu, d'une manière agréable, que sous l'influence d'une série variée d'impressions rapides: un son continu et toujours le même finirait par irriter le système nerveux; au contraire, on goûterait avec charme, pendant un temps plus ou moins long, une saveur, une odeur, une vue.

Plusieurs sons différents, se succédant avec rapidité, sont parfaitement appréciés par l'ouïe, qui en saisit les nuances les plus délicates, les accidents les plus rapides; au contraire, le sens de la vue n'est plus à son aise dès que les images sont en mouvement, et, si ce dernier est trop rapide, aux images réelles succèdent bieutôt les illusions d'optique.

Nous sommes donc autorisé à dire que le sens de l'ouïe est le sens spécial des impressions mobiles. Lui seul, en effet, exige la succession rapide des objets de ses impressions, pour en être affecté dans le sens de l'utile et de l'agréable.

Eh bien, le motif de la supériorité des signes de la parole réside dans cette spécialité formelle et bien définie

du sens de l'ouïe. Les mouvements de nos organes, qui aboutissent à un son, peuvent être exécutés avec une rapidité excessive, conforme aux exigences de l'évolution de la pensée, sans rien perdre de leur précision et de leur clarté. On ne saurait en dire autant des mouvements qui aboutissent à une image, et qui sont les facteurs du langage mimique.

2o La parole se prête facilement à l'expression de toutes les nuances d'idées, parce qu'elle est constituée par un très-petit nombre d'éléments: les voyelles et les consonnes qui, dans leur association, peuvent se prêter à des milliers de combinaisons rationnelles sans surcharger la mémoire.

L'emploi facile de ces combinaisons permet de représenter largement chacun des éléments d'une pensée et de préciser les points essentiels. A ce point de vue, la parole est un langage analytique, tandis que la mimique est essentiellement synthétique.

Après avoir déterminé le rôle du sens de l'ouïe, celui des actes volontaires et celui des phénomènes sonores, dans la formation de la parole, nous résumerons la théorie physiologique de cette formation dans les propositions suivantes :

1° Éducation des mouvements de la parole par imitation, et avec le secours indispensable de l'ouïe, comme sens initiateur, éducateur et excitateur;

2o Acte de la volonté d'après lequel le sens du mot est attaché aux mouvements qui le produisent. Le sens du mot et les mouvements sont si bien incorporés l'un dans l'autre, qu'on doit les considérer comme une seule et même chose;

3o Transmission de cet acte voulu par l'intellect à l'intellect lui-même, sous une forme sonore, par l'intermédiaire du sens de l'ouie.

§ VIII.

MÉMOIRE DE LA PAROLE.

De même que l'intelligence, sous l'influence de l'excitation cérébrale, peut se donner à elle-même le spectacle des images qu'elle a déjà perçues, de même, au moyen d'une excitation analogue, elle peut produire, dans les nerfs, les mouvements qu'elle a déjà provoqués un certain nombre de fois. En d'autres termes, il y a une sensation subjective de la parole comme il y a une sensation subjective pour les images, les sons, etc.

Le mécanisme général selon lequel cette reproduction est obtenue est le même; c'est toujours une excitation cérébrale de la périphérie corticale vers les centres, qui provoque dans les nerfs un mouvement déjà effectué; mais le mécanisme, ou plutôt le procédé selon lequel ce mouvement est réveillé, est différent.

Nous avons vu, en effet, au chapitre consacré à la mémoire, que les procédés varient selon la nature des sensations. Or, considérée comme élément physiologique, la sensation-signe fait partie des sensations qui résultent de l'activité volontaire de nos organes; par conséquent, la mémoire de la parole s'établit selon le procédé spécial que nous avons fait connaître à propos de ces sensations.

D'après ce procédé, nous devons donc chercher le premier phénomène de la mémoire de la parole dans le sens de l'ouïe, et le second, dans les actes volontaires; dans le premier, nous trouvons la mémoire des mots; dans le second, la mémoire du sens des mots et des idées.

Mémoire des mots. Le sens de l'ouïe peut reproduire subjectivement les impressions sonores dont il a été affecté; mais cette reproduction isolée ne constitue pas la mémoire de la parole, car elle ne renferme pas l'idée. L'ouïe rappelle un son, non pas autre chose. C'est

à cette mémoire isolée que nous devons, étant très-jeunes, de pouvoir réciter des centaines de vers grecs, latins, français, sans en comprendre le sens. Ce qui, soit dit en passant, vient très-bien à l'appui de la distinction physiologique que nous avons établie entre le phénomène sonore et l'idée qu'il renferme.

La mémoire des mots se forme exactement par le même procédé que nous avons indiqué en parlant de la mémoire du sens de l'ouïe. Cependant la mémoire spéciale de la tonalité joue un rôle très-restreint. Il n'en est pas de même de la mémoire du rhythme, surtout quand il s'agit de réciter des vers ou des phrases musicales.

La mémoire du timbre est celle qui joue le plus grand rôle dans la mémoire du son-parole. Bien souvent on cherche à se rappeler un mot en se disant, il se termine en a, en eu, en ou, c'est-à-dire par un son-voyelle, par un timbre particulier.

Comme il arrive dans la mémoire des sens spéciaux, plusieurs circonstances concourent à la reproduction subjective des sons. En première ligne, nous devons signaler la grande habitude que nous avons de prononcer les mots; cette habitude fait que nous reproduisons subjectivement le son-parole avec la plus grande facilité.

Mémoire du sens des mots ou des idées. L'enfant qui récite, sans y rien comprendre, un discours latin, possède la mémoire des mots; mais il n'a pas la mémoire des idées, parce que l'idée ne peut être que là où notre entendement l'a mise. L'idée se donne une forme sensible dans un mouvement déterminé par l'intelligence; elle est naturellement constituée par un mouvement de nos organes, et nous ne pouvons la percevoir, en avoir conscience, qu'autant que ce mouvement est exécuté. Par conséquent, se rappeler l'idée, c'est reproduire subjectivement les mouvements qui la constituent, et rechercher les circonstances dans lesquelles ces mouvements sont provoqués subjectivement, c'est dire comment nous vient la mémoire des idées. Or l'idée ne peut être provoquée

en nous que de trois manières différentes: 1° par la perception d'une impression quelconque intérieure ou extérieure; 2o par le cours naturel des opérations de notre esprit; 3° par le souvenir ou la représentation subjective du mot qui la représente.

Pour développer d'une manière complète ces trois propositions, il faudrait faire l'histoire de l'origine des idées, ce qui nous entraînerait un peu trop loin. Nous devons nous borner ici à tracer les lignes principales de cette histoire.

L'acquisition de toutes nos connaissances se fait d'après un classement méthodique qui est, en quelque sorte, indépendant de notre volonté.

Cette harmonie établie dans le système pensant a été voulue et mise en nous par l'intelligence suprême qui a tout créé; nous voudrions qu'elle ne fût pas que nous ne le pourrions pas. Elle existe par le même principe qui a voulu que les fonctions de la vie organique se fissent d'une certaine manière, et, de même que nous ne pouvons pas modifier le mécanisme de ces dernières, de même nous ne pouvons pas modifier l'exercice de la pensée. En poursuivant toujours notre parallèle entre les fonctions organiques et la pensée, nous constatons encore que nous sommes libres de changer, non pas le mécanisme de la fonction, mais les produits de cette fonction en modifiant les agents qui lui servent d'aliment.

Nous pouvons altérer la composition du sang, mais non pas empêcher qu'il se forme de la même manière. Il en est de même pour la pensée, dont nous ne pouvons pas changer le mécanisme physiologique; mais ce que nous pouvons changer, ce sont les perceptions qui lui servent d'aliment, et nous arrivons ainsi à donner à notre esprit une tournure d'idées spéciales. Le secret de toute bonne éducation est dans cette dernière considération.

Il résulte de l'harmonie préétablie qui préside au mécanisme de la pensée, que certaines perceptions réveillent une série d'idées de la même manière que la production.

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