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fait un choix parmi eux, en sorte que, pour les énumérer, nous ne saurions mieux faire que d'observer et de signaler ses propres déterminations.

La première observation qui nous frappe, c'est que l'intelligence emprunte aux mouvements expressifs les mouvements-signes qui doivent représenter sa propre manière de sentir, tandis qu'elle emprunte aux mouvements imitatifs les mouvements-signes destinés à représenter les objets de ses impressions. Nous donnerons. quelques développements à cette pensée.

Quand l'intelligence veut exprimer par un mouvementsigne sa manière de sentir, elle trouve dans l'appareil extérieur des sens, dans le geste, dans l'attitude, dans la voix, des mouvements naturels qui sont affectés à l'expression; elle utilise ces mouvements, mais avec une certaine parcimonie chez les hommes qui parlent; le motif en est évident : les mouvements expressifs sont la forme tangible des modifications de la sensibilité, mais ils n'en sont pas moins difficiles à manier quand l'intelligence veut s'en servir dans les opérations de la pensée. Leur expression représente une modification générale et nullement les mille nuances de détail, que nous pouvons rendre si bien avec l'aide des mouvements-signes de la parole.

Les mouvements expressifs ont enfin le tort de ne pouvoir s'adresser qu'à la sensibilité et non à l'intelligence il serait fort ennuyeux de pleurer pour dire qu'on est triste et non moins fastidieux de rire pour dire qu'on est gai. Sans compter que le rire ne signifie pas qu'on soit gai, content, heureux, pas plus que les pleurs ne signifient qu'on soit triste, mécontent, malheureux; ces mouvements expriment un peu de tout cela, mais ne signifient pas grand'chose.

A défaut d'autres signes, le langage mimique primitif des sourds-muets emploie les mouvements expressifs à profusion; mais le langage oral ne les emploie guère qu'à titre de mouvements expressifs, pour appuyer et don

ner plus d'expression aux mouvements-signes de la parole.

A propos des mouvements-signes empruntés aux mouvements expressifs, nous devons signaler une confusion. regrettable qui conduit certains auteurs à accorder un langage aux bêtes et à confondre le vrai langage, formé de mouvements-signes, avec ce qui n'est pas lui. Il est donc utile de ne pas oublier ici les caractères distinctifs que nous avons établis entre ces divers mouve

ments.

Quand l'intelligence veut représenter par un mouvement-signe, non plus sa manière de sentir, mais les objets impressionnants eux-mêmes, elle emprunte, de préférence aux mouvements expressifs, les mouvements imitatifs et les mouvements représentatifs : les mouvements imitatifs, si le mouvement a pour but d'imiter un acte, un mouvement, un geste, une attitude, un son; les mouvements représentatifs, si le mouvement a pour but de reproduire avec nos organes une forme extérieure. Toutes les onomatopées de nos langues parlées ont cette origine frisson, frissonner, vient du radical frr, qui accompagne le frisson; hennissement vient de vos qui évidemment est l'imitation du cri particulier au cheval; coq, grigri, sont des onomatopées. En cherchant, on pourrait trouver des exemples très-nombreux; ce soin nous paraît superflu.

Nous nous empressons d'ailleurs d'ajouter qu'il n'entre pas dans le génie de notre langue parlée d'utiliser largement, comme signes, les mouvements imitatifs.

Quant aux mouvements représentatifs, elle n'en emploie aucun, croyons-nous, parce qu'il n'entre pas dans la nature du son de se prêter à la représentation d'objets qui sont destinés à impressionner le sens de la vue.

Si le langage oral est pauvre en signes imitatifs et en signes représentatifs, il n'en est plus de même du langage. mimique, qui est en grande partie formé par ces mouvements, transformés en mouvements-signes.

En effet, le langage consiste, pour le sourd-muet, à reproduire ses propres actes et ce qu'il a vu en dehors de lui.

Tous les actes que le corps a accomplis dans un but déterminé, il peut les reproduire pour signifier ce but luimême. C'est ainsi qu'il imite l'acte d'un homine qui mange pour faire comprendre qu'il a faim; c'est ainsi qu'il reproduit le mouvement des doigts courant sur le papier, s'il veut écrire.

Les mouvements représentatifs fournissent au langage mimique primitif des signes plus nombreux encore. Pour désigner une maison, le sourd-muet en figure la forme générale avec ses mains disposées en forme de toit. Pour désigner une église, il ajoute au signe de maison celui de prière. Pour signaler un oiseau il indique le bec et les ailes. L'homme, la femme, leur profession, les couleurs, sont indiqués par des procédés analogues.

Soit que l'intelligence emploie dans le langage les mouvements expressifs, soit qu'elle emploie les mouvements imitatifs ou représentatifs, elle utilise ces mouvements, non à titre de mouvements instinctifs perfectionnés, mais à titre de mouvements-signes, et à cet effet elle leur imprime les caractères distinctifs que nous avons attribués à ces mouvements.

L'intelligence ne se borne pas à vouloir représenter sa manière de sentir ou les objets de ses impressions; son activité ne s'exerce pas exclusivement sur le monde des phénomènes; sa fonction la plus élevée consiste précisément à s'exercer sur ce qui n'est pas sensible. C'est dans cette activité que nous allons trouver la source la plus noble et la plus féconde en mouvements-signes.

Quand l'intelligence compare des propriétés, des qualités, quand elle mesure des espaces, quand elle raisonne et juge enfin, elle ne peut emprunter ses mouvements-signes aux mouvements instinctifs perfectionnés, parce qu'elle ne trouve dans aucune action corporelle rien de comparable, et qui puisse signifier imitativement les divers modes de

son activité; elle doit dès lors créer de nouveaux mouvements-signes.

Ces signes, créés librement, dégagés de tout lien avec l'être sensible, sont les vrais signes du langage, car, à l'opposé des mouvements-signes, provenant des mouvements expressifs, imitatifs ou représentatifs, ils ne disent absolument que ce que l'intelligence a voulu leur faire signifier, et ne rappellent aucun caractère sensible à nos sens telles sont les idées générales, les propositions, les adverbes, etc., etc. On désigne habituellement ces signes sous le nom de signes-arbitraires.

C'est en grande partie à ces signes que la parole doit sa supériorité sur le langage mimique, comme instrument de la pensée; cependant rien ne s'oppose à ce que le langage des sourds-muets ne s'enrichisse de ces mêmes signes en suivant les lois de développement que nous avons déjà indiquées.

§ VII.

DU LANGAGE PHONÉTIQUE.

Parole.

Il n'y a qu'une seule fonction-langage: c'est celle que nous venons de décrire; mais cette fonction, selon qu'elle emploie, comme mouvements fonctionnels, des mouvements qui s'adressent au sens de la vue ou au sens de l'ouïe, est désignée fort judicieusement par des noms différents langage mimique dans le premier cas; langage phonétique dans le second.

La mimique et la phonétique ne représentent pas des fonctions-langage particulières. Ce sont des formes distinctes de la seule et unique fonction-langage. Cela dit, nous allons définir séparément la parole et la mimique, car, là encore, nous avons beaucoup à faire connaître et beaucoup à appliquer.

Souvent on désigne la parole sous le nom de langage articulé, articulation. Ces dénominations n'ont aucune raison d'être, et, de plus, elles donnent une idée fausse du phénomène qu'elles représentent. A la rigueur, on peut dire articuler un son; mais parler est autre chose qu'articuler des sons. Il serait donc à désirer qu'on se bornât à dire : la parole ou le langage phonétique.

La parole est la fonction-langage employant des mouvements fonctionnels dont le résultat est un phénomène

sonore.

Le mécanisme fonctionnel de la parole est absolument le même que celui que nous avons exposé à propos de la fonction-langage:

L'intelligence établit un rapport significatif entre une cause impressionnante quelconque et des mouvements qu'elle provoque dans l'appareil vocal; ces mouvements donnent pour résultat un son déterminé qui, d'un côté, fait connaître aux autres hommes la nature du rapport significatif, et de l'autre impressionne, par le sens de l'ouïe, l'intelligence même qui l'a provoqué pour devenir ainsi une notion acquise, classée dans le souvenir.

Pour ne laisser dans l'ombre aucun côté de cette analyse délicate, nous nous empressons d'ajouter que, dans les conditions actuelles des langues parlées, la parole, telle qu'elle est employée habituellement, n'est que la reproduction des sensations-signes classées dans le souvenir, et la reproduction des actes qui donnent naissance à ces sensations. En d'autres termes, lorsque nous parlons, nous n'établissons pas, en général, de nouveaux rapports significatifs qui, formulés par les mouvements fonctionnels, constituent seuls la fonction-langage. Nous nous bornons, le plus souvent, à reproduire des rapports et des formules qui font partie depuis longtemps de notre mécanique intellectuelle.

La parole ne représente réellement une fonction-langage en acte, que dans deux circonstances:

1° Lorsque l'intelligence découvre une notion sensible

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