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Distinction entre le rêve et la mémoire. Bien qu'on ne rêve jamais pendant la veille, et que l'on puisse par conséquent distinguer la mémoire du rève, en disant que l'un se produit pendant le sommeil tandis que l'autre se produit pendant la veille, nous croyons utile néanmoins de caractériser distinctement ces deux activités psychiques.

La mémoire et le rêve présentent un phénomène fondamental qui leur est commun : la représentation des notions acquises dans le centre de perception (couches optiques). Dans le rêve, comme dans la mémoire, nous sentons comme nous avons senti, nous connaissons comme nous avons connu; mais, tandis que pendant l'accomplissement de la mémoire, notre activité sensible et motrice, en rapport avec les causes impressionnantes extérieures, nous donne le sentiment de notre activité réelle, pendant le sommeil notre activité sensible et motrice, en rapport avec les notions acquises, nous procure sans doute le sentiment de notre activité, mais ce sentiment, privé du contrôle de la réalité extérieure, n'est en définitive que le sentiment de l'activité du rêve. La réalité pour le rêveur est dans le milieu et dans le temps où le rêve le place, et le réveil seul peut détruire son erreur relative en le mettant en présence de la véritable réalité.

En conséquence, ce qui distingue la mémoire du rêve c'est que pendant la première nous avons le vrai sentiment de notre activité actuelle, sentiment qui est relatif tout à la fois aux circonstances extérieures et aux notions acquises; tandis que, pendant le second, nous n'avons que le sentiment de notre activité relatif à des circonstances imaginaires ou qui n'existent pas actuellement.

La distinction que nous venons d'établir entre la mémoire et le rêve nous permet de compléter le tableau des éléments psychiques qui entrent dans le mécanisme de la mémoire. Ces éléments sont :

1° L'excitant fonctionnel nécessaire à toutes les acti

vités psychiques. Cet excitant est une perception actuelle ou de souvenir.

2o La réapparition dans le centre de perception d'une notion sensible ou d'une notion intelligente.

3o Le sentiment de notre activité présente relatif aux circonstances extérieures et aux notions acquises.

4o Le sentiment de notre activité passée.

Nous avons indiqué, à propos de chacun de ces éléments, les conditions qui président à leur développement. Il nous paraît donc superflu de nous arrêter de nouveau sur ces conditions qui représentent le mécanisme fonctionnel de la mémoire.

Les longs développements que l'on vient de lire, touchant la mémoire, nous étaient imposés par les difficultés du sujet, et aussi par la nouveauté des explications que nous en avons données.

Nous nous résumerons dans les deux propositions sui

vantes:

1o Le phénomène fondamental de la mémoire est représenté par le sentiment de notre activité passée.

2o Le développement de ce sentiment repose sur deux conditions: l'une, anatomique, qui rend possible la réapparition d'une notion acquise dans le centre de perception; l'autre, psychique, qui permet à l'âme de se reconnaître dans ses œuvres. La possibilité de se souvenir repose, en effet, sur l'invention de la notion sensible et de la notion intelligente. Grâce à cette invention l'âme peut sentir qu'elle a déjà agi, car elle seule peut agir d'une certaine façon, et, en ayant ce sentiment, elle se souvient.

Telles sont, en résumé, les conditions fondamentales de la mémoire.

Ces conditions sont communes à tous les phénomènes de mémoire sans exception, et elles donnent de ces derniers une explication suffisante.

Cependant, nous ne pouvons pas nous dispenser d'examiner certaines particularités qui ont motivé, de la part

de quelques auteurs, l'invention des mémoires spéciales. Dans tout phénomène de mémoire sans exception, nous trouvons les deux conditions que nous avons formulées, à savoir: 1o la représentation d'une perception ancienne; 2o le sentiment de notre activité passée. Cette dernière condition ne saurait varier; elle est toujours identique à elle-même; l'âme, en un mot, n'a pas deux façons de se reconnaître. La première, au contraire, est éminemment variable, et cette variabilité dépend de l'organisation différente des appareils sensitifs. C'est ainsi que nous provoquons dans le centre de perception la réapparition des perceptions de plaisir, de vue, d'odorat, d'ouïe, etc., par des procédés analogues, mais assez différents néanmoins pour justifier, jusqu'à un certain point, l'invention de mémoires spéciales.

Les auteurs, et Gall en particulier, avaient senti la nécessité de cette distinction; mais, incapables d'en déterminer les motifs par l'analyse physiologique, ils n'avaient introduit dans ce sujet, sous prétexte de clarté, qu'un peu plus de confusion.

Il est donc bien entendu que le phénomène mémoire ne peut varier que dans l'une de ses deux conditions, c'est-à-dire dans le procédé selon lequel la perception. qui constitue l'objet du souvenir est rappelée dans le centre de perception. Mais cette variation dans les procédés est-elle suffisante pour légitimer l'invention de mémoires spéciales? Nous ne le pensons pas. Tout au plus sommes-nous autorisé à dire qu'après avoir étudié la mémoire en général et dans ses conditions fondamentales, nous allons l'étudier en particulier dans les conditions variables de sa production. C'est ce que nous ferons, en restant fidèle au plan logique que nous nous sommes tracé, c'est-à-dire en considérant la mémoire dans chacun des ordres de perceptions qui entrent dans notre classification.

§ IV.

MÉMOIRE DES SENSATIONS DE LA VIE FONCTIONNELLE

DE NUTRITION.

Nous suivrons ici le plan que nous avons adopté pour l'étude de ces sensations (voir p. 45). En conséquence, nous examinerons séparément la mémoire des sensations qui proviennent des besoins de la vie organique, et la mémoire des sensations qui proviennent de l'exercice des fonctions de nutrition.

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1° Mémoire des sensations qui proviennent des impressions de la vie organique. Bien que souvent très-vive, la mémoire de ces sensations n'existe pas pour ainsi dire, et, si l'on ne souvenait en même temps des circonstances qui ont accompagné leur développement, la volonté serait incapable de les reproduire dans le centre de perception. Les motifs de cette particularité sont faciles à comprendre lorsque la sensation de la faim, par exemple, n'est pas provoquée par une abstinence trop prolongée et qu'elle ne s'accompagne d'aucun phénomène douloureux, elle est caractérisée par un sentiment de gêne très-vague dans la région épigastrique; mais l'objet impressionnant reste confus, indéfinissable, et c'est pourquoi le moi éprouve de grandes difficultés à reproduire une sensation dont il ne connaît pas l'objet. Il en est de même de la soif.

Mais, dira-t-on, ces sensations doivent être assez vivement reproduites dans la mémoire pour inspirer aux poëtes la description succulente des bons dîners et du bon vin? Sans doute ces œuvres de l'esprit semblent accuser, chez les êtres sensibles qui les produisent, une connaissance approfondie des sensations subjectives de la faim et de la soif; mais il ne faut pas confondre la sensation de besoin avec la sensation qui résulte du plaisir

qu'on a de le satisfaire. Ce plaisir, en effet, est une sensation très-vive (sentiment fonctionnel) qui laisse de profondes racines dans le centre de perception, puisqu'il devient quelquefois le premier mobile de tous nos désirs; mais cette sensation de satisfaction est une sensation provenant de l'exercice de la vie fonctionnelle de nutrition, dont nous parlerons bientôt. Il ne faut pas oublier non plus, que, dans ces circonstances, la mémoire du sens du goût intervient avec la vivacité particulière à la mémoire de tous les sens spéciaux.

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20 Mémoire des sensations qui proviennent de l'exercice des fonctions de nutrition. Nous avons vu que ces sensations se réduisent à un petit nombre, et qu'elles se résument toutes dans un sentiment de plaisir ou de douleur. Or, le plaisir et la douleur n'étant qu'une modification particulière de notre manière de sentir, sans objet impressionnant bien défini, se reproduisent difficilement dans la mémoire; nous nous rappelons que le moi a été impressionné douloureusement, mais nous ne saurions nous donner de nouveau la sensation de douleur.

Ici, comme dans les sensations qui proviennent des besoins de la vie organique, nous nous souvenons à l'aide des circonstances qui ont accompagné la sensation de douleur ou de plaisir. La vue d'un couteau qui nous a blessés réveille en nous le souvenir de la sensation douloureuse qu'il a provoquée en nous blessant; le souvenir d'une personne réveille une sensation de plaisir ou de peine; le plaisir de manger ou de boire est réveillé par le souvenir de l'objet qui nous a procuré ces sensations; nous voyons. le bon visage, le bon vin, le bon fruit, mais ici encore la sensation fonctionnelle, qui est une sensation de plaisir ou de peine, est réveillée par la mémoire du sens du goût et par celle du sens de la vue.

Toutes les sensations dont nous venons de nous occuper diffèrent, comme nous l'avons dit, de celles qui nous sont fournies par les cinq sens, en ce qu'elles n'ont pas d'objet impressionnant bien déterminé : lorsqu'un objet

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