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dans les phénomènes instinctifs, nous appellerons sensibilité intelligente la sensibilité qui préside à l'accomplissement des actes intelligents. De cette façon, chez l'homme, la sensibilité sera tantôt sensibilité instinctive, tantôt sensibilité intelligente, selon que les phénomènes qu'elle présidera présenteront les caractères des phénomènes instinctifs ou celui des phénomènes intelligents.

Par exemple, lorsque l'homme privé de langage invente les premiers signes, il fait un acte instinctif dans lequel le raisonnement et la volonté sont absents; mais, lorsque, prenant en main plusieurs de ces signes, l'homme les compare, les apprécie et tire un jugement de cette comparaison, oh! alors il fait un acte intelligent. L'homme en créant le signe du langage ouvre la porte qui sépare la sensibilité de l'intelligence; la sensibilité instinctive crée le signe, et la sensibilité intelligente, en s'en servant, lui donne le caractère intelligent. En résumé, l'instinct particulier de l'homme consiste dans l'invention instinctive d'un rapport intelligent, c'est-à-dire dans l'invention d'un acte qui appartient à l'intelligence seule.

Les considérations qui précèdent montrent, de la manière la plus claire, la signification que nous accordons aux expressions instinct et intelligence.

Nous sommes très-sobre à l'endroit des principes immatériels, parce que nous croyons fermement qu'il en existe un, et celui-là nous ne voulons pas le compromettre. Les sensualistes et les matérialistes ont compromis la sensibilité, parce qu'ils n'ont jamais compris son véritable rôle dans la mécanique vivante; en la réhabilitant, nous espérons lui faire prendre, dans l'esprit des hommes savants, la place qu'elle n'aurait jamais dû perdre. Dans tous les cas, la sensibilité instinctive et la sensibilité intelligente représentent des phénomènes réels et distincts, qui consacrent la division nécessaire entre l'homme et les animaux, par les seuls procédés et les seuls caractères capables de donner à cette distinction une base scientifique et vraie.

De l'intelligence. Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent, touchant l'activité psychique, et les idées que nous venons de formuler à l'occasion de l'instinct, nous dispensent de nous étendre beaucoup touchant les. caractères propres à l'intelligence.

L'intelligence est le principe de vie lui-même dans ses rapports avec les éléments cérébraux de l'homme. Nous avons établi que ce principe est sensible dans des circonstances déterminées, puisqu'il acquiert des notions sensibles et qu'il provoque des mouvements corrélatifs à cette notion. Nous disons ici qu'il est intelligent: 1° par ce qu'il est capable de sentir et d'établir entre les causes impressionnantes les rapports qui caractérisent la notion intelligente; 2° parce qu'il provoque des mouvements corrélatifs à la notion intelligente, c'est-à-dire des mouvements intelligents. On ne saurait en dire plus sans s'exposer à des répétitions.

CHAPITRE IV.

TROISIÈME ACTIVITÉ FONDAMENTALE DE L'AME.

La mémoire.

L'activité fondamentale qui va nous occuper ne le cède en rien, comme importance, à celles qui précèdent. Sans la mémoire, en effet, nous pourrions sentir, établir des rapports, et nous mouvoir en vue de la notion sensible et de la notion intelligente; mais tout progrès, tout perfectionnement nous seraient interdits, et ce qu'on est convenu d'appeler l'édifice intellectuel ne s'élèverait jamais au-dessus de ses assises.

Il existe un assez grand nombre de théories de la mémoire; mais ce nombre lui-même prouve que la vraie théorie, celle qui s'impose, n'a pas encore été formulée.

Nous pensons que l'on doit attribuer cet état de choses, d'un côté, à l'impossibilité où l'on était d'établir les conditions organiques de la mémoire, et, de l'autre, à ce qu'on n'avait pas suffisamment déterminé les caractères des acquisitions cérébrales, sous forme de notions sensibles et de notions intelligentes.

Plus favorisé par la possession de ces deux conditions, nous essayerons de donner de la mémoire une idée plus complète et plus vraie.

§ I.

CONDITIONS ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES DE LA MÉMOIRE.

De tous les organes de la vie, le cerveau seul est en état de se souvenir, et il doit cette prérogative à la nature

TROISIÈME ACTIVITÉ FONDAMENTALE DE L'AME. 241 de l'élément fondamental de sa vie organique. Lui seul, en effet, est capable de percevoir toutes les impressions, et s'il se souvient, c'est-à-dire s'il perçoit le passé, c'est qu'il a perçu ce dernier en tant que présent.

Mais, pour percevoir présentement ce qu'il a perçu dans le passé, le cerveau doit tenir quelque part en réserve les causes impressionnantes qui l'ont déjà affecté, car, pour se souvenir, il ne va pas chercher au loin les objets mêmes du souvenir; il trouve tout cela en lui, et dès qu'il le veut.

Comment concilier ce fait avec le mouvement de composition et de décomposition qui modifie incessamment la constitution matérielle des organes de la vie? Comment expliquer l'existence d'une réserve nécessaire dans le cerveau, alors que les éléments matériels changent

sans cesse?

Telle est la première difficulté qui se présente à nous dans l'étude de la mémoire.

Le fait de la décomposition et de la recomposition des éléments organiques est indiscutable. Il est certain que si l'on cherche dans le cerveau les éléments matériels qui composaient sa substance il y a dix ans, on ne les y trouvera pas; mais on y trouvera néanmoins les mêmes appareils organiques, les mêmes cellules, les mêmes fibres qui sont le siége du mouvement vital.

La matière qui a concouru aux actes cérébraux a pu changer; mais l'élément organique caractéristique, ce petit appareil qui, dans chaque organe, fait la vie, là de la bile, ici des fibres contractiles, là des cellules capables de percevoir; ce petit appareil, dis-je, ne change pas; il reste toujours identique à lui-même; sa matière change, mais ses propriétés spéciales restent invariables.

Il suit de là que nous trouvons dans le cerveau, sinon la même matière, du moins les mêmes éléments qui ont été le siége d'un phénomène vital déterminé dans le temps passé. La cellule cérébrale qui, il y a vingt ans, fut affectée par une image, conserve en puissance la mo

dification vitale dont elle fut le siége en percevant cette image, et nous avons la certitude que, si les nerfs de la transmettent aujourd'hui l'impression de cette image au cerveau, ce sera la même cellule qui présidera au développement de la perception.

vue

Le fait que nous venons d'établir a une importance trèsgrande du moment que les cellules cérébrales conservent l'aptitude à effectuer de nouveau le mouvement qui est la condition organique d'une perception déterminée, on entrevoit la possibilité de provoquer ce mouvement par une cause excitatrice quelconque, et on aurait ainsi, en l'absence de tout objet impressionnant, une perception qu'on pourrait désigner sous le nom de perception de souvenir, pour la distinguer des perceptions qui résultent de l'action des nerfs sensitifs sur les couches optiques.

Cette supposition est l'expression réelle de ce qui se passe.

Vers le centre du cerveau se trouve un organe, composé de cellules (couches optiques), dans lequel se développent toutes les perceptions. Ces cellules sont munies de prolongements, de filaments qui, accolés les uns aux autres, forment la substance blanche du cerveau, et vont aboutir à d'autres cellules disséminées à la surface extérieure du cerveau. Ces cellules revêtent l'encéphale d'une couche qui ne mesure pas plus de trois millimètres d'épaisseur (couche corticale ou substance grise des circonvolutions).

Grâce à ces fibres unissantes, le mouvement qui provoque la perception dans une cellule des couches optiques se propage jusqu'à une cellule de la couche corticale et la modifie d'une certaine façon. En quoi consiste cette modification? Nous l'ignorons; mais elle est réelle.

Cette modification reste un fait acquis, sous forme de modalité dynamique in posse, et l'on conçoit dès lors que, la cellule de la couche corticale venant à être réveillée par une cause excitatrice, son mouvement se propage de la périphérie vers le centre, et provoque le mouvement

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