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impressionnant, ou autrement dit association involontaire de deux sensations. L'animal ne comprend pas, il est impressionné et il se souvient.

Probablement ceux qui accordent un langage aux animaux ont été trompés par l'observation superficielle de ce qui se passe journellement entre l'homme et les espèces domestiques. Rien, en effet, ne ressemble plus à des mouvements intelligents que certains actes du chien. La manière vive, expressive dont il manifeste ses désirs, et la manière dont il est impressionné, présentent beaucoup d'analogie avec le vrai langage; une analyse plus attentive ne permet pas de faire cette confusion.

Dans ces circonstances, l'homme traduit avec son langage à lui des mouvements expressifs qu'il sait, par expérience, être attachés à la manifestation de certains besoins, de certains désirs de l'animal; mais, entre les mouvements expressifs traducteurs et les mouvements expressifs traduits, il y a un abîme : les premiers sont convenus, voulus, inventés; les autres sont des mouvements de la bête qui ne pourraient pas ne pas être, qui existent matériellement dans l'organisation même, qui se manifestent toujours de la même façon, dans les mêmes cir

constances.

Ainsi, un chien a soif; il a l'habitude d'aller satisfaire ce besoin dans un coin de l'appartement; guidé par le souvenir, il se dirige vers ce lieu, mais il ne trouve pas l'objet désiré. Que fait-il alors? I flaire, il tâte, il gémit en regardant son maître; celui-ci, intelligent et connaissant les besoins de son chien, devine qu'il a soif; mais il ne faut pas prétendre que l'animal, par ses gémissements, lui ait demandé à boire. Non, le chien gémit parce qu'il désire beaucoup, et il regarde son maître parce que ce dernier résume en sa personne la satisfaction de tous ses besoins par l'habitude qu'il a prise d'être servi par lui, et par le souvenir des circonstances qui ont accompagné la satisfaction de ses désirs. Judicieusement analysés, tous les actes des animaux

peuvent être ramenés à des phénomènes de sensibilité. et de mémoire, mais nous ne saurions jamais leur accorder le plus petit rayon d'intelligence.

Toujours dominés par le préjugé que nous venons de signaler, les partisans de l'intelligence et du langage des bêtes ont accordé aux animaux les passions de l'homme, et naturellement à ces passions correspondent, toujours d'après eux, des mouvements expressifs corrélatifs. Nous admettons volontiers que les animaux ont un semblant de colère, un semblant de jalousie, etc.; mais pour nous ces expressions colère, jalousie, représentent des choses bien différentes, selon qu'on les applique à l'homme ou aux animaux. L'irritation instinctive ou provoquée, qui pousse un animal à se jeter sur un homme et à le dévorer, n'est pas de la colère; dans la vraie colère, il y a plus qu'un vif désir de mordre, il y a une opération préalable de l'esprit, des sentiments très-variés de nuances, expressément formulés dans un langage, il y a enfin une intelligence en état d'activité fonctionnelle et se montrant avec des aptitudes qu'on ne retrouve dans aucun animal.

Le même raisonnement est applicable aux autres prétendues passions des animaux, de telle façon que l'on est autorisé à conclure que le mot passion doit être exclusivement réservé pour l'ètre à la fois sensible et intelligent, c'est-à-dire pour l'homme.

L'animal n'a que des désirs plus ou moins satisfaits, plus ou moins contrariés et auxquels correspondent des mouvements expressifs involontaires qui ont, il est vrai, une certaine ressemblance avec les mouvements expressifs de l'homme; mais chez ce dernier le mouvement expressif n'est pas simplement le résultat de désirs contrariés ou satisfaits, il succède à des actes intelligents et à des sentiments résultant de ces actes mêmes. Si l'analogie est possible dans les mouvements, elle ne l'est plus dans la cause immédiate qui les produit, et dès lors ces mouvements sont aussi dissemblables que peuvent l'être un

animal exclusivement sensible et un homme à la fois sensible et intelligent.

En résumé, l'animal ne peut exprimer que ce qui est en lui, et toutes les fois qu'on voudra lui accorder le langage et les sublimités affectives ou passionnelles de l'être humain, on n'arrivera qu'à produire une caricature informe, incapable par elle-même de protester contre cette générosité. C'est bien le cas ou jamais de dire suum cuique.

Les quelques exemples que nous venons de donner à l'occasion de la classification des mouvements de l'être sensible complètent et confirment ce que nous avons déjà dit touchant les éléments psychiques qui entrent dans le mécanisme des mouvements de l'animal. Avant de conclure, nous nous occuperons des mouvements de l'être intelligent.

§ III.

MOUVEMENTS INTELLIGENTS.

Le principe de vie chez l'homme, ou autrement dit, l'âme, possède comme attributs la sensibilité et l'intelligence. Ces deux attributs ne constituent pas deux puissances distinctes, ils sont les deux modes fondamentaux de l'âme humaine.

Il suit de là que l'homme peut exécuter les mêmes mouvements et dans les mêmes conditions que l'être exclusivement sensible. Nous nous bornons à constater le fait pour nous occuper exclusivement des mouvements intelligents, c'est-à-dire des mouvements dirigés par la sensibilité intelligente.

Le mécanisme physiologique de ces mouvements est absolument le même que celui qui accompagne l'exécution des mouvements de l'être sensible.

La nature et la valeur des éléments psychiques qui en

trent dans ce mécanisme diffèrent seules dans les deux cas. Occupons-nous donc de préciser la nature et la valeur de ces éléments chez l'être intelligent, comme nous l'avons fait pour les éléments de l'être exclusivement sensible.

Premier élément. - Le premier élément psychique qui se présente dans l'exécution de tout mouvement intelligent est une impression sentie, actuelle ou de souvenir. Cette perception chez l'homme peut n'être que sensible, c'est-à-dire constituéc exclusivement par des caractères physiques, impressionnant un de nos sens; mais, le plus souvent, elle est intelligente, c'est-à-dire constituée par une vue particulière de certains caractères qui se développent à l'occasion des caractères physiques. C'est cette vue particulière, caractéristique de l'intelligence, qui permet l'établissement d'un rapport entre deux perceptions distinctes. Ce rapport, nous le savons, constitue la notion intelligente. Par conséquent, la perception qui précède l'exécution de tout mouvement intelligent est une notion intelligente capable d'imprimer au mouvement exécuté une direction intelligente. On ne fait pas de mouvement intelligent par hasard. Si le mouvement est tel, c'est qu'il a été provoqué par une notion intelligente. Il faut remarquer ici que nous ne disons pas raisonnable, mais simplement notion intelligente.

Deuxième élément. A la suite de l'excitation de la cause impressionnante et de la perception qu'elle provoque, nous trouvons le second élément qui est constitué par le réveil des notions acquises. Ces notions peuvent être, soit des notions sensibles, soit des notions intelligentes, comme nous l'avons prouvé page 150.

Les notions sensibles sont généralement associées à des rapports significatifs, à des noms qui favorisent singulièrement le rappel de ces notions dans le champ du souvenir. Les notions intelligentes sont également associées à des noms, mais pour elles cette association est incomparablement plus importante que pour les notions sen

sibles. Il nous paraît indispensable de mettre en relief cette utilité.

Les notions intelligentes sont constituées par des rapports, chose essentiellement idéale, non tangible, et dont il serait par conséquent fort difficile de conserver les caractères dans le souvenir. En se revêtant du mot, le rapport prend une forme sensible capable d'impressionner un de nos sens et dont le souvenir se conserve facilement dans la mémoire de ce sens. Telle est l'immense utilité de l'association de la notion intelligente avec les signes du langage donner à l'élément qui sert de fondement à toutes nos connaissances la forme concrète et sensible qu'il n'a pas.

Troisième élément. Le réveil des notions acquises sous l'influence de la perception actuelle est suivi d'une série d'actes qui portent le nom de comparaison, raisonnement, jugement. En considérant simultanément la perception actuelle et la notion de souvenir, l'intelligence établit un lien intelligent, un rapport entre ces deux manières de sentir: elle compare. En répétant cette opération sur plusieurs notions qu'elle évoque dans le souvenir, elle établit une série de rapports dans un ordre déterminé: elle raisonne. Enfin elle accepte un nouveau rapport comme étant la judicieuse conclusion de ses diverses opérations: elle juge. Telle est en vérité l'essence de la comparaison, du raisonnement et du jugement. On comprendra mieux à présent pourquoi nous manifestons une si vive répugnance toutes les fois que, faute de mieux, nous nous voyons forcé d'appliquer ces dénominations aux actes psychiques des animaux.

Tandis que, chez l'être sensible, c'est le sentiment agréable ou désagréable qui détermine en dernier ressort la nature du mouvement à exécuter, chez l'être intelligent ces sentiments sont remplacés par un jugement, c'est-à-dire par un rapport intelligent; chez l'homme, le jugement indique le but à atteindre et le mouvement à exécuter, c'est-dire que celui-ci est voulu, calculé, déter

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