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ACTE DEUXIÈME.

SCÈNE PREMIÈRE.

CLAUDINE, LUBIN.

CLAUDINE. Oui, j'ai bien deviné qu'il falloit que cela vînt de toi, et que tu l'eusses dit à quelqu'un qui l'ait rapporté à notre maître. LUBIN. Par ma foi, je n'en ai touché qu'un petit mot en passant à un homme, afin qu'il ne dît point qu'il m'avoit vu sortir, et il faut que les gens en ce pays-ci soient de grands babillards!

CLAUDINE. Vraiment, ce monsieur le vicomte a bien choisi son monde, que de te prendre pour son ambassadeur, et il s'est allé servir là d'un homme bien chanceux.

LUBIN. Va, une autre fois je serai plus fin, et je prendrai mieux garde à

moi.

CLAUDINE. Oui, oui, il sera temps!

LUBIN. Ne parlons plus de cela. Écoute.

CLAUDINE. Que veux-tu que j'écoute?

LUBIN. Tourne un peu ton visage devers moi.

CLAUDINE. Eh bien! qu'est-ce?

LUBIN. Claudine.

CLAUDINE. Quoi ?

LUBIN. Hé! là! ne sais-tu pas bien ce que je veux dire?

CLAUDINE. Non.

LUBIN. Morgué! je t'aime.

CLAUDINE. Tout de bon?

LUBIN. Oui, le diable m'emporte! tu me peux croire, puisque j'en jure. CLAUDINE. A la bonne heure.

LUBIN. Je me sens tout tribouiller le cœur quand je te regarde.

CLAUDINE. Je m'en réjouis.

LUBIN. Comment est-ce que tu fais pour être si jolie?

CLAUDINE. Je fais comme font les autres.

Lubin. Vois-tu, il ne faut point tant de beurre pour faire un quarteron :

si tu veux, tu seras ma femme, je serai ton mari, et nous serons tous deux mari et femme.

CLAUDINE. Tu sérois peut-être jaloux comme notre maître.

LUBIN. Point.

CLAUDINE. Pour moi, je hais les maris soupçonneux, et j'en veux un qui ne s'épouvante de rien, un si plein de confiance et si sûr de ma chasteté, qu'il me vît sans inquiétude au milieu de trente hommes. LUBIN. Eh bien! je serai tout comme cela.

CLAUDINE. C'est la plus sotte chose du monde que de se défier d'une

femme et de la tourmenter. La vérité de l'affaire est qu'on n'y gagne rien de bon : cela nous fait songer à mal, et ce sont souvent les maris qui, avec leurs vacarmes, se font eux-mêmes ce qu'ils sont. LUBIN. Eh bien! je te donnerai la liberté de faire tout ce qu'il te plaira. CLAUDINE. Voilà comme il faut faire pour n'être point trompé. Lorsqu'un

mari se met à notre discrétion, nous ne prenons de liberté que ce qu'il nous en faut, et il en est comme avec ceux qui nous ouvrent leur bourse et nous disent: Prenez. Nous en usons honnêtement, et nous nous contentons de la raison. Mais ceux qui nous chicanent, nous nous efforçons de les tondre, et nous ne les épargnons point. LUBIN. Va, je serai de ceux qui ouvrent leur bourse, et tu n'as qu'à te marier avec moi.

CLAUDINE. Eh bien! bien, nous verrons.

LUBIN. Viens donc ici, Claudine.

CLAUDINE. Que veux-tu?

LUBIN. Viens, te dis-je.

CLAUDINE. Ah! doucement. Je n'aime point les patineurs.

LUBIN. Hé! un petit brin d'amitié.

CLAUDINE. Laisse-moi, là, te dis-je; je n'entends pas raillerie.
LUBIN. Claudine !

CLAUDINE, repoussant Lubin. Hai!

LUBIN. Ah! que tu es rude à pauvres gens! Fi! que cela est malhonnête de

refuser les personnes! N'as-tu point de honte d'ètre belle, et de ne vouloir pas qu'on te caresse? Hé! là!

CLAUDINE. Je te donnerai sur le nez.

LUBIN. Oh, la farouche! la sauvage! Fi! pouas! la vilaine, qui est cruelle!

CLAUDINE. Tu t'émancipes trop.

LUBIN. Qu'est-ce que cela te coûteroit de me laisser un peu faire?

CLAUDINE. Il faut que tu te donnes patience.

LUBIN. Un petit baiser sculement, en rabattant sur notre mariage.
CLAUDINE. Je suis votre servante.

LUBIN. Claudine, je t'en prie, sur l'et-tant-moins.

CLAUDINE. Hé! que nenni! J'y ai déjà été attrapée. Adicu. Va-t'en, et dis à monsieur le vicomte que j'aurai soin de rendre son billet.

LUBIN. Adieu, beauté rude ânière.

CLAUDINE. Le mot est amoureux.

LUBIN. Adieu, rocher, caillou, pierre de taille, et tout ce qu'il y a de plus dur au monde.

CLAUDINE, seule. Je vais remettre aux mains de ma maîtresse.... Mais la voici avec son mari : éloignons-nous, et attendons qu'elle soit seule.

SCÈNE II.

GEORGE DANDIN, ANGÉLIQUE.

GEORGE DANDIN. Non, non; on ne m'abuse pas avec tant de facilité, et je ne suis que trop certain que le rapport qu'on m'a fait est véritable. J'ai de meilleurs yeux qu'on ne pense, et votre galimatias ne m'a point tantôt ébloui.

SCENE III.

CLITANDRE, ANGÉLIQUE, GEORGE DANDIN.

CLITANDRE, à part, dans le fond du théatre. Ah! la voilà; mais le mari est avec elle.

George Dandin, sans voir Clitandre. Au travers de toutes vos grimaces, j'ai vu la vérité de ce que l'on m'a dit, et le peu de respect que vous avez pour le nœud qui nous joint. (Clitandre et Angélique se saluent.) Mon Dieu! laissez là votre révérence; ce n'est pas de ces sortes de respect dont je vous parle, et vous n'avez que faire de vous moquer. ANGÉLIQUE. Moi! me moquer! en aucune façon. George dandin. Je sais votre pensée, et connois... (Clitandre et Angélique se saluent encore.) Encore! Ah! ne raillons point davantage. Je n'ignore pas qu'à cause de votre noblesse, vous me tenez fort au-dessous de vous; et le respect que je veux dire ne regarde point ma personne.

J'entends parler de celui que vous devez à des nœuds aussi vénérables que le sont ceux du mariage. (Angélique fait signe à Clitandre.) Il ne faut point lever les épaules, et je ne dis point de sottises. ANGELIQUE. Qui songe à lever les épaules?

GEORGE DANDIN. Mon Dieu! nous voyons clair. Je vous dis encore une fois

que le mariage est une chaîne à laquelle on doit porter toute sorte de respect, et que c'est fort mal fait à vous d'en user comme vous faites. (Angélique fait signe de la tête à Clitandre.) Oui, oui, mal fait à vous; et vous n'avez que faire de hocher la tête et de me faire la grimace.

ANGÉLIQUE. Moi? je ne sais ce que vous voulez dire.

GEORGE DANDIN. Je le sais fort bien, moi; et vos mépris me sont connus. Si je ne suis pas né noble, au moins suis-je d'une race où il n'y a point de reproche; et la famille des Dandins....

CLITANDRE, derrière Angélique, sans être aperçu de George Dandin. Un moment d'entretien.

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George DanDIN, sans voir Clitandre. He?

ANGÉLIQUE. Quoi? je ne dis mot.

(George Dandin tourne autour de sa femme, et Clitandre se retire en faisant une grande révérence à George Dandin.)

SCÈNE IV.

GEORGE DANDIN, ANGÉLIQUE.

George dandin. Le voilà qui vient rôder autour de vous.

ANGÉLIQUE. Hé bien! est-ce ma fante? Que voulez-vous que j'y fasse ? george dandin. Je veux que vous y fassiez ce que fait une femme qui ne veut plaire qu'à son mari. Quoi qu'on en puisse dire, les galants n'obsèdent jamais que quand on le veut bien. Il y a un certain air doucereux qui les attire, ainsi que le miel fait les mouches; et les honnêtes femmes ont des manières qui les savent chasser d'abord. ANGÉLIQUE. Moi, les chasser! et par quelle raison? Je ne me scandalise point qu'on me trouve bien faite; et cela me fait du plaisir.

GEORGE DANDIN. Oui! Mais quel personnage voulez-vous que joue un mari pendant cette galanterie?

ANGÉLIQUE. Le personnage d'un honnête homme, qui est bien aise de voir sa femme considérée.

George Dandin. Je suis votre valet. Ce n'est pas là mon compte; et les Dandins ne sont point accoutumés à cette mode-là.

ANGÉLIQUE. Oh! les Dandins s'y accoutumeront s'ils veulent; car, pour moi, je vous déclare que mon dessein n'est pas de renoncer au monde et de m'enterrer toute vive dans un mari. Comment! parce qu'un homme s'avise de nous épouser, il faut d'abord que toutes choses soient finies pour nous, et que nous rompions tout commerce avec les vivants! C'est une chose merveilleuse que cette tyrannie de messieurs les maris; et je les trouve bons de vouloir qu'on soit morte à tous les divertissements et qu'on ne vive que pour eux! Je me moque de cela, et ne veux point mourir si jeune.

George Dandin. C'est ainsi que vous satisfaites aux engagements de la foi que vous m'avez donnée publiquement?

ANGÉLIQUE. Moi? je ne vous l'ai point donnée de bon cœur, et vous me l'avez arrachée. M'avez-vous, avant le mariage, demandé mon consentement, et si je voulois bien de vous? Vous n'avez consulté pour cela que mon père et ma mère : ce sont eux, proprement, qui vous ont épousé, et c'est pourquoi vous ferez bien de vous plaindre tou

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