Quoi! sur le nez du roi ?-Du roi même en personne. Il n'avait donc alors ni sceptre ni couronne? Quand il en aurait eu, c'aurait été tout un : Le nez royal fut pris comme un nez du commun. Dire des courtisans les clameurs et la peine Serait se consumer en efforts impuissants. Le roi n'éclata point : les cris sont indécents A la majesté souveraine.
L'oiseau garda son poste: on ne put seulement Hâter son départ d'un moment.
Son maître le rappelle, et crie, et se tourmente, Lui présente le leurre,1 et le poing,2 mais en vain. On crut que jusqu'au lendemain
Le maudit animal à la serre insolente Nicherait là malgré le bruit,
Et sur le nez sacré voudrait passer la nuit. Tâcher de l'en tirer irritait son caprice. Il quitte enfin le roi, qui dit: Laissez aller Ce milan, et celui qui m'a cru régaler. Ils se sont acquittés tous deux de leur office, L'un en milan, et l'autre en citoyen des bois : Pour moi, qui sais comment doivent agir les rois, Je les affranchis du supplice.
Et la cour d'admirer. Les courtisans ravis Élèvent de tels faits, par eux si mal suivis : Bien peu, même des rois, prendraient un tel modèle. Et le veneur l'échappa belle ; Coupables seulement, tant lui que l'animal D'ignorer le danger d'approcher trop du maître ; Ils n'avaient appris à connaître
Que les hôtes des bois; était-ce un si grand mal.
Pilpay fait près du Gange arriver l'aventure. Là, nulle humaine créature
Ne touche aux animaux pour leur sang épancher: Le roi même ferait scrupule d'y toucher.
(1) L'appât. — (2) Pour qu'il vienne se placer dessus.
Il avait trop de jugement. Le corbeau donc vole et revole. Sur son rapport les trois amis Tiennent conseil. Deux sont d'avis De se transporter sans remise
Aux lieux où la gazelle est prise. L'autre, dit le corbeau, gardera le logis: Avec son marcher lent, quand arriverait-elle ? Après la mort de la gazelle.
Ces mots à peine dits, ils s'en vont secourir Leur chère et fidèle compagne, Pauvre chevrette1 de montagne. La tortue y voulut courir :
La voilà comme eux en campagne, Maudissant ses pieds courts avec juste raison, Et la nécessité de porter sa maison.
Rongemaille (le rat eut à bon droit ce nom) Coupe les nœuds du lacs: on peut penser la joie. Le chasseur vient, et dit : Qui m'a ravi ma proie? Rongemaille, à ces mots, se retire en un trou, Le corbeau sur un arbre, en un bois la gazelle: Et le chasseur, à demi-fou
De n'en avoir nulle nouvelle, Aperçoit la tortue, et retient son courroux. D'où vient, dit-il, que je m'effraie?
Je veux qu'à mon souper celle-ci me défraie. Il la mit dans son sac. Elle eût payé pour tous, Si le corbeau n'en eût averti la chevrette.
Celle-ci, quittant sa retraite, Contrefait la boiteuse, et vient se présenter. L'homme 2 de suivre, et de jeter
Tout ce qui lui pesait : si bien que Rongemaille Autour des nœuds du sac tant opère et travaille, Qu'il délivre encor l'autre sœur,
Sur qui s'était fondé le souper du chasseur. Pilpay conte qu'ainsi la chose s'est passée.
(1) La gazelle. —(2) Commence. Éllipse.
Il en fit des éclats,1 à ce que dit l'histoire, Quand Vulcain, clopinant, lui vint donner à boire. Que le peuple immortel se montrât sage, ou non, J'ai changé mon sujet avec juste raison;
Car, puisqu'il s'agit de morale,
Que nous eût du chasseur l'aventure fatale Enseigné de nouveau? L'on a vu de tout temps Plus de sots fauconniers que de rois indulgents.
LE RENARD, LES MOUCHES ET LE HÉRISSON.
Aux traces de son sang un vieux hôte des bois, Renard fin, subtil et matois,
Blessé par des chasseurs, et tombé dans la fange, Autrefois attira ce parasite ailé
Que nous avons mouche appelé.
11 accusait les dieux, et trouvait fort étrange Que le sort à tel point le voulût affliger, Et le fît aux mouches manger.
Quoi! se jeter sur moi, sur moi le plus habile De tous les hôtes des forêts!
Depuis quand les renards sont-ils un si bon mets? Et que me sert ma queue? est-ce un poids inutile ? Va, le ciel te confonde, animal importun!
Que ne vis-tu sur le commun!
Un hérisson du voisinage,
Dans mes vers nouveau personnage,
Voulut le délivrer de l'importunité
Du peuple plein d'avidité :
Je les vais de mes dards enfiler par centaines, Voisin renard, dit-il, et terminer tes peines. Garde-t'en bien, dit l'autre ; ami, ne le fais pas : Laisse-les, je te prie, achever leur repas.
Ces animaux sont soûls; 1 une troupe nouvelle Viendrait fondre sur moi, plus âpre et plus cruelle.
Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas: Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats. Aristote appliquait cet apologue aux hommes. Les exemples en sont communs,
Surtout au pays où nous sommes.
Plus telles gens sont pleins,2 moins ils sont importuns.
Tour est mystère dans l'Amour, Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance; Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour
Que d'épuiser cette science.
Je ne prétends donc point tout expliquer ici : Mon but est seulement de dire, à ma manière, Comment l'aveugle que voici
(C'est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière, Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien; J'en fais juge un amant, et ne décide rien.
La Folie et l'Amour jouaient un jour ensemble : Celui-ci n'était pas encor privé des yeux. Une dispute vint: l'Amour veut qu'on assemble Là-dessus le conseil des dieux : L'autre n'eut pas la patience; Elle lui donne un coup si furieux, Qu'il en perd la clarté des cieux. Vénus en demande vengeance.
Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris: Les dieux en furent étourdis,
(1) Pour saouls, rassasiés. —(2) Se sont enrichis.
Et Jupiter, et Némésis,1
Et les juges d'enfer, enfin toute la bande. Elle représenta l'énormité du cas;
Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas: Nulle peine n'était pour ce crime assez grande : Le dommage devait être aussi réparé. Quand on eut bien considéré L'intérêt du public, celui de la partie, Le résultat enfin de la suprême cour Fut de condamner la Folie A servir de guide à l'Amour.
LE CORBEAU, LA GAZELLE, LA TORTUE ET LE Rat. A Madame De La Sablière.2
JE vous gardais un temple dans mes vers: Il n'eût fini qu'avecque l'univers. Déjà ma main en fondait la durée
Sur ce bel art3 qu'ont les dieux inventé, Et sur le nom de la divinité
Que dans ce temple on aurait adoré. Sur le portail j'aurais ces mots écrits : PALAIS SACRÉ DE LA DÉESSE IRIS: Non celle-là qu'a Junon à ses gages; Car Junon même et le maître des dieux Serviraient l'autre, et seraient glorieux Du seul honneur de porter ses messages. L'apothéose à la voûte eût paru : Là, tout l'Olympe en pompe eût été vu Plaçant Iris sous un dais de lumière.
(1) Déesse de la Vengeance. - (2) Célèbre par son esprit ; elle recueillit La Fontaine chez elle. (3) La poésie. (4) Iris, messagère de Junon, métamorphosée en l'arc-en-ciel. — (5) On eût vu son entrée au ciel.
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