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Introduire un; peut-être aussi

Que quelqu'un trouvera que j'aurai réussi.

Un rieur était à la table

D'un financier, et n'avait en son coin

Que de petits poissons: tous les gros étaient loin.
Il prend donc les menus, puis leur parle à l'oreille;
Et puis il feint, à la pareille,
D'écouter leur réponse. On demeura surpris :
Cela suspendit les esprits.

Le rieur alors, d'un ton sage,
Dit qu'il craignait qu'un sien ami,
Pour les Grandes Indes parti,

N'eût depuis un an fait naufrage.

Il s'en informait donc à ce menu fretin:

Mais tous lui répondaient qu'ils n'étaient pas d'un âge A savoir au vrai son destin;

Les gros en sauraient davantage.

N'en puis-je donc, messieurs, un gros interroger?
De dire si la compagnie

Prit goût à sa plaisanterie,

J'en doute; mais enfin, il les sut engager

A lui servir d'un monstre 1 assez vieux pour lui dire
Tous les noms des chercheurs 2 de mondes inconnus
Qui n'en étaient pas revenus,

Et que depuis cent ans sous l'abîme 3 avaient vus
Les anciens du vaste empire.

FABLE IX.

LE RAT ET L'HUÎTRE.

UN rat, hôte d'un champ, rat de peu de cervelle,
Des lares paternels un jour se trouva sou.4
Il laisse là le champ, le grain et la javelle,

(1) C'est-à-dire d'un très-gros poisson.

(2) Les voyageurs.

(3) Dans la mer. - (4) Pour soul, saoul; lic. poet, ennuyé, rebuté,

Va courir le pays, abandonne son trou.
Sitôt qu'il fut hors de la case:

Que le monde, dit-il, est grand et spacieux!
Voilà les Apennins,1 et voici le Caucase!
La moindre taupinée 2 était mont à ses yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Thétis 3 sur la rive
Avait laissé mainte huître; et notre rat d'abord
Crut voir, en les voyant, des vaisseaux de haut-bord.4
Certes, dit-il, mon père était un pauvre sire!
Il n'osait voyager, craintif au dernier point.
Pour moi, j'ai déjà vu le maritime empire :
J'ai passé les déserts; mais nous n'y bûmes point.
D'un certain magister le rat tenait ces choses,
Et les disait à travers champs; 5
N'étant pas de ces rats qui, les livres rongeant,
Se font savants jusques aux dents.
Parmi tant d'huîtres toutes closes
Une s'était ouverte; et, bâillant au soleil,
Par un doux zéphyr réjouie,

Humait l'air, respirait, était épanouie,

Blanche, grasse, et d'un goût, à la voir, nonpareil.
D'aussi loin que le rat voit cette huître qui bâille:
Qu'aperçois-je? dit-il; c'est quelque victuaille ! 6
Et, si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd'hui bonne chère, ou jamais.
Là-dessus maître rat, plein de belle espérance,
Approche de l'écaille, allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs; car l'huître tout d'un coup
Se referme. Et voilà ce que fait l'ignorance.

Cette fable contient plus d'un enseignement :
Nous y voyons premièrement

Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience

(1) Hautes montagnes d'Italie. (2) Pour taupinière. (3) Pour la mer. - (4) Navires marchands; à présent bâtiments de guerre avec plusieurs ponts. (5) Sans jugement. (6) Vivres et munitions de bouche: Il est peu usité.

Sont, aux moindres objets, frappés d'étonnement;
Et puis nous y pouvons apprendre
Que tel est pris qui croyait prendre.

FABLE X.

L'OURS ET L'AMATEUR DES JARDINS.

CERTAIN ours montagnard, ours à demi léché,1
Confiné par le sort dans un bois solitaire,
Nouveau Bellerophon,2 vivait seul et caché.
Il fût devenu fou; la raison d'ordinaire
N'habite pas long-temps chez les gens séquestrés.
Il est bon de parler, et meilleur de se taire;
Mais tous deux sont mauvais alors qu'ils sont outrés.
Nul animal n'avait affaire

Dans les lieux que l'ours habitait;
Si bien que, tout ours qu'il était,
Il vint à s'ennuyer de cette triste vie.
Pendant qu'il se livrait à la mélancolie,
Non loin de là certain vieillard
S'ennuyait aussi de sa part.3

Il aimait les jardins, était prêtre de Flore,4
Il l'était de Pomone 5 encore.

Ces deux emplois sont beaux; mais je voudrais parmi
Quelque doux et discret ami.

Des jardins parlent peu, si ce n'est dans mon livre :
De façon que, lassé de vivre

Avec des gens muets, notre homme, un beau matin,
Va chercher compagnie, et se met en campagne.6
L'ours, porté d'un même dessein,
Venait de quitter sa montagne.
Tous deux, par un cas surprenant,
Se rencontrent en un tournant.7

(1) A demi léché pour ébauché. - (2) Prince valeureux qui se retira dans un désert. Il fut vainqueur de la Chimère. (3) De son côté. -- (4) Déesse des fleurs. - (5) Déesse des fruits. (6) Cherche pour en découvrir. — (7) Coin.

L'homme eut peur: mais comment esquiver ? et que faire ?
Se tirer en Gascon d'une semblable affaire
Est le mieux: il sut donc dissimuler sa peur.
L'ours, très-mauvais complimenteur,

Lui dit Viens-t'en me voir. L'autre reprit: Seigneur,
Vous voyez mon logis; si vous me vouliez faire
Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas,
J'ai des fruits, j'ai du lait : ce n'est peut-être pas
De nosseigneurs les ours1 le manger ordinaire;
Mais j'offre ce que j'ai. L'ours l'accepte; et 2 d'aller.
Les voilà bons amis avant que d'arriver:
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble :
Et bien qu'on soit, à ce qu'il semble,
Beaucoup mieux seul qu'avec des sots,
Comme l'ours en un jour ne disait pas deux mots,
L'homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage.
L'ours allait à la chasse, apportait du gibier;
Faisait son principal métier
D'être bon émoucheur; 3 écartait du visage
De son ami dormant ce parasite ailé

Que nous avons mouche appelé.

Un jour que le vieillard dormait d'un profond somme,
Sur le bout de son nez une 4 allant se placer
Mit l'ours au désespoir; il eut beau la chasser.
Je t'attraperai bien, dit-il; et voici comme.5
Aussitôt fait que dit : le fidèle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec raideur,
Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche;
Et, non moins bon archer que mauvais raisonneur,
Raide mort étendu sur la place il le couche.

Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami;
Mieux vaudrait un sage ennemi.

(1) L'ours commun est frugivore. - (2) Commencent. Ellipse. (3) Celui qui chasse les mouches.

(5) Pour comment.

16*

(4) Une mouche.

FABLE XI.

LES DEUX AMIS.

DEUX vrais amis vivaient au Monomotapa; 1
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre.
Les amis de ce pays-là

Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.

Une nuit que chacun s'occupait au sommeil,
Et mettait à profit l'absence du soleil,

Un de nos deux amis sort du lit en alarme:
Il court chez son intime, éveille les valets:
Morphée 2 avait touché le seuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne: il prend sa bourse, il s'arme,
Vient trouver l'autre, et dit: Il vous arrive peu
De courir quand on dort: vous me paraissiez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme :
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée; allons. Vous 2 ennuyez-vous point
De coucher toujours seul? une esclave assez belle
Était à mes côtés; voulez-vous qu'on l'appelle ?
Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point:
Je vous rends grâce de ce zèle.

Vous m'êtes, en dormant, un peu triste apparu :
J'ai craint qu'il ne fût vrai; je suis vite accouru.
Ce maudit songe en est la cause.

Qui d'eux aimait le mieux? Que t'en semble, lecteur?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.

Qu'un ami véritable est une douce chose!

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;

(1) Royaume de la Cafrerie, en Afrique.—(2) Dieu du sommeil: c'est-à-dire, tout le monde dormait dans le palais. — (3) Ne vous, &c. Ellipse.

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