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dans divers journaux spéciaux. Son livre De l'exportation et de l'importation des grains, imprimé en 1764, est le plus remarquable de ceux qu'il publia avant la révolution. Envoyé aux états-généraux par le bailliage de Nemours, il n'interrompit pas ses études économiques, et donna, en 1789 même, une Analyse historique de la législation des grains depuis 1692, sous la forme d'un rapport à l'assemblée nationale. A la tribune, comme dans ses livres, il soutint avec une conviction ardente et naïve les principes d'une science dont il attendait le retour de l'âge d'or.

Tous les écrits de Dupont portent un cachet de moralité et de générosité qui intéresse et attache, malgré les défauts de sa diction, l'exubé rance et l'emphase, qu'il tenait de ses maîtres, Quesnay et le marquis de Mirabeau.

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quence académique. —L'éloquence du barreau. — L'éloquence politique.

§ I.

L'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE.

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MASSILLON, SEGAUD, NEUVILLE, BOISMONT, ELYSÉE, L'ABBÉ poule, l'abbé de BEAUVAIS, L'ABBÉ LENFANT, L'ABBÉ MAURY, LE P. BRIDAINE, LE P. BEAUREGARD.

C'est dans les chaires des prédicateurs que l'éloquence avait longtemps tenu le siége de son empire; mais, au dix-huitième siècle, la chaire est vide de ces grands orateurs qui l'avaient tant honorée dans l'époque précédente. Le bel esprit, qui avait ravagé presque toutes les parties de l'empire littéraire, porta la plus funeste atteinte à l'éloquence sacrée. Des traits, des saillies d'imagination, des portraits ingénieux, des allusions recherchées, un entassement d'antithèses et d'épigrammes, voilà ce qui remplaça la force des raisonnements et le pathétique des mouvements. Les Bossuet, les Bourdaloue, et même les Massillon n'eurent que des successeurs dégénérés, lesquels, au lieu des foudres de l'éloquence religieuse, ne lançaient plus que des traits faibles qui se perdaient dans les airs. La décadence était si profonde que les meilleurs prédicateurs de cette époque étaient eux-mêmes obligés de l'avouer en public.

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Ne le dissimulons pas, mes très-chers frères, disait l'abbé Poule, nos instructions ont dégénéré; elles se ressentent de la corruption des mœurs qu'elles combattent; elles ont perdu de leur première onction en perdant de leur ancienne simplicité1. »

La plupart des prédicateurs faisaient des sacrifices plus ou moins malheureux et coupables à l'esprit du temps. Leur éloquence était devenue toute mondaine et séculière. Ils ne savaient plus, comme au dix-septième siècle, faire un usage heureux et substantiel de l'Écriture et des Pères. Ils évitaient le nom de Jésus-Christ et ne parlaient que du législateur des chrétiens. Ils abandonnaient le dogme pour des thèmes de morale banale, pour les lieux communs les plus fanés, et associaient les maximes de la philosophie aux préceptes de la religion.

Serm. pour la profess. de madame de Rupelmonde.

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Les grands sujets de cette belle et solide instruction chrétienne, si bien indiqués par l'Église dans l'ordre annuel et la distribution des Évangiles, di-ait l'abbé Maury dans son Essai sur l'éloquence de la chaire, ces sujets si importants, si féconds, si riches pour l'éloquence, et sans lesquels la morale, dépourvue de l'appui d'une sanction divine et déshéritée de l'autorité vengeresse d'un Juge suprème, n'est plus qu'une théorie idéale et un système purement arbitraire qu'on adopte ou qu'on rejette à son gré; ces sujets magnifiques, dis-je, furent plus ou moins mis à l'écart par les orateurs chrétiens qui composèrent malheureusement avec ce mauvais goût, et qui, en s'égarant dans ces nouvelles régions, renoncerent d'eux-mêmes aux plus grands avantages et aux droits les plus légitimes de leur ministère. Tout fut bientôt mêlé en ce genre, et dès lors tout fut corrompu. On ne put sanctifier la philosophie: on sécularisa, pour ainsi dire, la religion. »

Les philosophes voyaient ou feignaient de voir un progrès dans cette transformation de l'éloquence de la chaire, et ils se félicitaient de ce que l'impulsion donnée aux esprits vers le milieu du dix-huitième siècle s'était ainsi fait sentir dans les temples 1. Ceux qui entendaient ces sermons philosophiques pouvaient les admirer, mais ils n'en devenaient pas plus chrétiens, et, après les avoir entendus, ne pensaient guère à rien changer de leur conduite ordinaire.

Plusieurs s'attachaient à combattre les oracles du jour, mais ils le faisaient sans logique, sans suite, sans chaleur et sans style. On lit dans un Mémoire sur les moyens d'arrêter l'incrédulité en France, présenté au Clergé assemblé à Paris, en 1785, par l'archevêque d'Arles, l'illustre martyr de septembre:

« Les prédicateurs de Paris se bornent à quelques sarcasmes, qui n'aboutissent à rien, contre les philosophes ; ils réfutent avec un ton de triomphe quelques-unes de leurs opinions bizarres, que leurs partisans ne croient même pas...

« Tout se tait, tout sommeille, tout dort profondément. Plusieurs années s'écoulent, et à peine entend-on dans toutes les chaires d'un diocèse un seul discours qui prouve directement la vérité de la religion. Contents d'assurer qu'elle est vrae, nos prédicateurs attestent sur leur parole que les opinions philosophiques sont fausses. Telles sont à peu près les bornes où expire leur zèle. »

Un homme sincèrement religieux exprimait les sentiments pénibles que lui faisait éprouver la vue de ces « orateurs de cour qui vont prêcher devant le roi, en cheveux bien peignés, en rochet bien blanc, avec des gestes élégants et bien mesurés, en style soigné, poli, bien tondu, comme les beaux gazons des jardins anglais 2. »>

Faire admirer leur joli style et leurs belles manières, c'était là toute l'ambition d'un grand nombre de ces successeurs des apôtres.

Au milieu de cet amollissement et de ce dépérissement général de l'éloquence de la chaire, quelques hommes de foi et de talent s'efforcèrent de la ranimer et de la régénérer. Mais leurs efforts tout individuels produisirent peu de résultats.

1 Voir Boissy-d'Anglas, les Études litt. et poet. d'un vieillard, t. IV, p. 351. 2 Thomas, Correspondance, p. 342.

A défaut d'orateurs de génie, faisons connaître ceux qui se distinguèrent le plus, et qui, par quelques qualités au moins, rappelèrent les modèles. MASSILLON, après le succès de son Petit Carême, s'était retiré pour toujours dans son diocèse. Plusieurs prédicateurs aspirèrent au difficile honneur de le remplacer à Paris. De ce nombre furent Segaud et Neuville.

SEGAUD (1674-1748) eut de la douceur dans l'élocution, de l'imagination, des idées et des tours agréables, de l'onction et de la sensibilité. Mais il est prolixe, redondant à satiété, et son style est souvent lâche et négligé. De tant de sermons qu'il prêcha toujours avec succès, dans les capitales et les principales villes des provinces, et à Versailles, devant le roi, son discours sur le pardon des injures est presque le seul qui puisse faire vivre sa mémoire.

Le jésuite NEUVILLE (1693-1774), imitateur de Fléchier plutôt que de Massillon, sut allier à la force des raisonnements, à la méthode et à l'art dans la composition, le nombre et la richesse du style, la pompe et le pittoresque des images. Il se montra véritable orateur dans plusieurs de ses discours, en particulier dans celui sur le jugement dernier. Mais ses qualités sont trop souvent gâtées par les défauts de l'époque.

Il prodigue les antithèses et les oppositions, et affecte la forme de l'énumération qui devient monotone et fatigante quand elle est fréquemment répétée; ses périodes sont trop symétriques et ses figures trop peu variées; enfiu son style est souvent lâche et incorrect.

Où il est le plus soutenu, c'est dans ses oraisons funèbres, notamment dans celle du cardinal de Fleury. Ce genre solennel et fastueux parait avoir été le plus conforme au talent de l'abbé Neuville.

Ajoutons que ce jésuite se montra plus estimable encore par sa vertu que par son talent: il était de ces prêtres qui savent pratiquer l'Evangile au pied de la lettre. Son ordre était détruit depuis quatorze ans quand il mourut plus qu'octogénaire, mais il lui resta fidèlement attaché, et, en expirant, il déclara qu'il était très-soumis au pape et au roi, mais qu'il devait à la vérité de jurer qu'il n'avait jamais vu ni connu dans la société dont il avait l'honneur d'être membre rien qui méritât les imputations dont on l'avait chargée.

L'abbé de BOISMONT (1715-1786), célèbre par son habileté à capituler avec la philosophie, se fit une réputation moins méritée que celle du P. de Neuville, dans l'oraison funèbre. Il prononça devant l'Académie française, dont il était membre, l'oraison funèbre de la reine Marie Leczinska, et celle du Dauphin, fils de Louis XV. On y goûta des peintures de mœurs, des réflexions fines et délicates, de la philosophie et de l'art, mais, dans tous ces agréables développements académiques, souvent gåtés par un style tendu, enflé, sentencieux, maniéré, précieux, rien ne sent la haute éloquence. La Harpe constate que c'est l'orateur de son temps qui s'est fait le plus de réputation dans l'oraison funèbre; mais cette réputation lui paraît usurpée.

L'abbé de Boismont, dit-il, a, dans son style, des empreintes de génie oratoire; mais, faute de connaissances, d'études et de réflexion, il s'abandonna tout

entier aux saillies d'une imagination sans règle et d'un esprit sans solidité; il ne travailla ni ses idées ni son style, et de là le défaut trop fréquent de justesse dans la pensée et de propriété dans l'expression, l'affectation, l'obscurité, le jargon précieux et entortillé, la multiplicité des exclamations gratuites, et l'embarras des constructions vicieuses 1.

Ce prédicateur du beau monde, des beaux esprits, des philosophes même fut constamment médiocre dans l'oraison funèbre; mais, dans un genre plus naturel, il a laissé une belle pièce d'éloquence, un sermon ou plutôt une exhortation évangélique pour l'établissement d'un hôpital militaire ecclésiastique, prononcée à l'âge de soixante-dix ans. Il fut, cette fois, véritablement orateur, parce qu'il fut réellement ému.

Le P. ÉLYSÉE (1726-1783), que le prince de Ligne appelait « le meilleur des modernes » prédicateurs, dut une partie du succès qu'il obtint dans la capitale à l'enthousiasme que Diderot conçut pour ce jésuite qu'il avait entendu par hasard. Le philosophe en parla avec une telle admiration que tout le monde voulut l'entendre: bientôt l'église où il prêchait ne fut plus assez vaste pour contenir la foule qui s'y pressait.

A la lecture, le P.Élysée ne produit pas une si forte impression. Cependant qu'on lise, par exemple, le sermon sur la Mort et celui sur les Affections, si l'on trouve peu d'art dans la composition, peu de figures dans le style et peu de mouvements, on sera bientôt ému par la douceur de cette éloquence sage, par l'onction et la mélancolie de cette parole convaincue, par l'aimable simplicité de ce langage naturel et pur.

L'abbé POULE (1703-1781), dans une carrière apostolique d'une courte durée, prononça un grand nombre de discours qu'il ne destinait pas à l'impression, qu'il n'avait jamais écrits, et qu'il ne consentit à dicter à son neveu qui l'en avait longtemps pressé que trois ans avant sa mort.

On regarde justement comme ses chefs-d'œuvre deux Exhortations de charité, l'une en faveur des enfants trouvés, et l'autre pour les pauvres prisonniers détenus à la Conciergerie. L'éloquent avocat des malheureux toucha tous les cœurs, et provoqua une émulation de charité telle qu'on ne se souvenait pas d'avoir rien vu de pareil. Il y a aussi beaucoup de pathétique dans plusieurs de ses sermons pour des professions religieuses, en particulier dans celui pour la profession de madame de Rupelmonde, que de grands malheurs avaient forcée de quitter la cour

et de prendre le voile.

Un défaut considérable des sermons de l'abbé Poule est de n'être guère que des discours de morale dont le dogme et la religion sont presque complétement absents. Du côté de l'art, on reproche à cet orateur de pécher fréquemment contre la propriété et la vérité des expressions, de trop multiplier les apostrophes, les énumérations, les analogies, les oppositions

1 Lyc., 3° part., I. II, c. 1, sect. II.

Sur les oraisons funèbres de l'abbé de Boismont, voir aussi M. de Boulogne, Mélanges de religion, de critique et de littérature, t. 1, p. 287. 2 Prince de Ligne, Mél., t. XXVII, p. 91.

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