Page images
PDF
EPUB

Il a une manière particulière d'établir l'excellence de la religion catholique.

De toutes les religions, dit-il, la catholique me parait la meilleure à suivre. Il y a une marche, il y a des pratiques qui occupent; il y a des preuves pour ceux qui les trouvent, de la foi pour ceux qui ne les trouvent pas, et des consolations pour les uns et les autres 1. »>

Tous les maux dont il voit la France et l'Europe accablée ou menacée au commencement de la révolution, il les attribue à la liberté laissée à la propagande du philosophisme, et à la persécution exercée contre ses plus vaillants ennemis, les jésuites. Il écrit à l'impératrice Catherine, en 1790 :

Moi indigne, moi qui ne suis pas prophète dans mon pays, et pas grand sorcier dans les autres, j'ai dit, il y a longtemps, que si l'on n'avait pas chassé les jésuites, l'on ne verrait pas ce maudit esprit d'indépendance, de chicane, de définition, de sécheresse, se répandre comme un torrent qui renverse ou menace les trônes de toute l'Europe, excepté la Russie. »

Le prince de Ligne a dit, avec une aimable franchise, en parlant de ses écrits:

Ai-je quelque chose à regretter de tant de pauvres mauvais ouvrages, auxquels j'ai passé tant de soirées dans onze ou douze quartiers d'hiver des trois ou quatre guerres que j'ai faites? Peut-être que non 2. »

On ne regrettera pas non plus, nous l'espérons, que nous ayons donné place dans ce tableau de la littérature française au dix-huitième siècle à un écrivain dont les ouvrages, même les plus légers, renferment des choses pensées fortement 3, et généralement écrites du style le plus original, le plus piquant, le plus semblable au ton d'une spirituelle conversation. Le prince ne se piquait pas de style; cependant celui de beaucoup d'auteurs de profession et de renom pâlit auprès du sien. Il tire un peu, quelquefois, à la manière et au précieux, nous l'avouons; mais le coloris, l'entrain, l'abandon, le trait, le tour de pensée et d'expression le plus français et le plus parisien, tant de qualités exquises rachètent bien, chez le célèbre Belge, ce qu'on peut lui reprocher de recherche, de manque de goût, ou d'incorrections; de même que tant de pensées justes, de vues neuves et profondes, d'appréciations solides et fines, enfin tant de saillies d'esprit doivent faire pardonner les idées erronées, les opinions bizarres, les paradoxes soutenus du ton le plus tranchant, enfin les contradictions en tous genres qui échappent à l'esprit mobile et aven

1 Mélanges, t. XXII, p. 135.

Mélanges, etc. Mes écarts ou ma tête en liberté, t. XIII, p. 93.

3 Voir, en particulier, dans ses Lettres à Eulalie (t. XI), quantité d'observations fines et de remarques sérieuses sur les choses du théâtre.

tureux de l'auteur des Mélanges littéraires, politiques, militaires et sentimentaires1.

1 Les Mélanges du prince de Ligne sont divisés en deux parties. La première, composée de 14 volumes, comprend les œuvres mêlées en vers et en prose, et contient les ouvrages suivants :

Coup d'œil sur Bel-ŒEil, et sur une grande partie des jardins de l'Europe; Dialogues des morts; Discours; Lettres; Lettres à Eulalie sur le théâtre; Mes écarts, ou Ma tête en liberté, et Mélanges de poésies; Pièces de théâtre; Mes écarts (supplément), et Portraits, Lettres et Poésies; Contes et Poésies; Poésies et Pièces de théâtre; Mémoires sur le comte de Bonneval, et Pièces détachées sur la Correspondance littéraire adressée au grand-duc de Russie, par M. La Harpe, etc.

La seconde partie, sous le titre d'OEuvres militaires, se compose aussi de 14 volumes, et contient :

Préjugés et fantaisies militaires; Mémoires sur les campagnes du prince Louis de Baden, en Hongrie et sur le Rhin; Mémoires sur les campagnes faites en Hongrie, au service de l'empereur, par le comte Bussy-Rabutin, avec des notes; Mémoires sur la guerre des Turcs, depuis 1716 à 1729, et sur les deux maréchaux de Lascy, et Mémoires sur le roi de Prusse Frédéric II; Instructions de S. M. le roi de Prusse à ses officiers en 1778, avec des notes; et Lettres sur la dernière guerre des Turcs; Mon journal de la guerre de Sept ans, en 3 volumes; Mon journal de la guerre de sept mois, ou de Bavière, en 1778, et celle de sept jours aux Pays-Bas en 1784; Mémoires sur les grands généraux de la guerre de Trente ans; Relations de ma campagne de 1788 et 1789, contre les Turcs; Catalogue raisonné des livres militaires de ma bibliothèque.

Les derniers volumes sont plus littéraires que militaires ou historiques. Le tome XXIX contient la suite des remarques sur le Lycée, Fragment sur Casanova, etc.; le tome XXX, Mélanges sur l'ordre de la Toison d'or et sur l'ordre militaire de Marie-Thérèse; le tome XXXI, l'Art de voyager, Réflexions sur les deux Condé, Écarts, les Délices de Vienne, etc.; le tome XXXII, Don Carlos, tragédie en cinq actes; Poëmes; le tome XXXIII, Petit Plutarque de toutes les nations, première partie; enfin le tome XXXIV, Petit Plutarque, deuxième partie. La plupart de ces productions sont postérieures à la Révolution.

Les romanciers.

VII

Le Sage, Marivaux, madame de Fontaine, madame de Tencin, mademoiselle de Lussan, madame de Graffigny, Prévost, madame Riccoboni, Jean-Jacques Rousseau, Diderot, Voltaire, Marmontel, Crébillon fils, Rétif de la Bretonne, La Clos, Louvet, De Sade, Florian, le comte de Tressan, madame Le Prince de Beaumont, la comtesse de Flahaut, madame de Charrière, madame Cottin, madame de Genlis, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, Sénancourt.

L'histoire et le roman sont des genres qui se touchent par plus d'un endroit. Qu'un roman puisse être une bonne lecture, c'est une exception bien rare. De la peinture de mours simplement agréable et divertissante à la peinture dangereuse et immorale, le pas est trop glissant. Le roman est un genre presque toujours pernicieux; mais, considéré uniquement au point de vue de l'art et de l'histoire, il a une grande importance.

Le dix-huitième siècle, où se produisirent quelques romans d'un mérite durable, a donné naissance à un genre très-ambitieux, très-faux et trèsennuyeux, le roman philosophique. Il eut la prétention nouvelle et étrange de se servir du roman pour avancer les progrès de l'esprit humain. Métaphysique, politique, économie, agriculture, sciences et arts, tout y entra. Le sagace Horace Walpole, écrivant, en septembre 1770, à madame du Deffand, lui disait :

On est venu à bout, chez vous, de rendre la raison aussi absurde que l'ancien galimatias des écoles, et la morale aussi fatigante que les controverses sur la religion. On prêche dans l'opéra-comique, et les romans parlent agriculture. On fait regretter l'ennuyeux Calprenède.

D

Si l'on s'était contenté d'ennuyer! Mais on dépravait.

Le caractère général des mœurs du dix-huitième siècle, c'est l'affranchissement de toute pudeur.

< Ainsi donc à présent, s'écriait une femme témoin de désordres auxquels elle ne sut pas elle-même se soustraire complétement, ainsi donc à présent on convient simplement qu'on a un amant, et cette effronterie passe pour de la franchise, de la bonne foi! Autrefois la décence faisait tolérer une faiblesse; et maintenant l'impudence fait excuser le vice... 1. »

Ces mœurs se reflètent avec toute leur laideur dans les romans du temps, qui, la plupart, nous offrent la peinture de ce libertinage systé

1 Madame de Genlis. Adèle et Théod., t. III, me lettre.

[ocr errors][merged small]

matique où la vanité a plus de part que les sens mêmes. Dans ces œuvres corruptrices, parmi lesquelles les romans dans le goût du Sopha, de Misapouf, de Tanzaï, ne sont pas les plus détestables, on ne songe plus à conserver au moins la décence dans l'expression, et à assaisonner d'un sel fin des choses grossières. On y peint avec complaisance les plus révoltantes infamies, les horreurs les plus monstrueuses, même ce que Chateaubriand, par une périphrase pudique, appelle quelque part « l'immoralité des goûts de la dixième muse 1. » Rien de sain dans ces productions qui sont la boue de la littérature; tout y est corrompu jusque dans les moelles. Et cependant les romanciers philosophiques se piquaient spécialement de morale, les plus dévergondés comme ceux qui sont relativement réservés. Vous trouverez dans les Crébillon fils, dans les Chevrier, dans les La Morlière, dans les d'Aucourt, dans les Rétif de la Bretonne, dans les La Clos, dans les Louvet, dans les de Sade, dans les PigaultLebrun, des tirades de morale guindée mêlées aux peintures les plus lascives. La morale de ces messieurs, d'habitude, s'écarte fort de la morale de l'Évangile; c'est une morale qui permet tout. Les héroïnes agissent d'après cette doctrine sentimentale et commode, ce qui ne les empêche pas de disserter avec emphase sur les devoirs qu'elles trahissent journellement et sur les vertus dont elles n'ont jamais connu les obligations. Ces dames, d'ailleurs, sont touchantes de philanthropisme. Si elles ne savent pas aimer avec dévouement leur mari, leurs enfants, leur père, leur mère, ce qui était bon dans les temps gothiques, par compensation elles aiment en gros tout l'univers.

C'est ainsi qu'au dix-huitième siècle le roman philosophique fut encore pire que l'histoire philosophique.

L'immoralité fatigue et rebute bientôt comme toute autre chose. Pour réveiller le goût blasé, les auteurs recoururent à des compositions où dominait une philosophie sombre, larmoyante et sentimentale.

Depuis longtemps, écrivait madame Riccoboni, grande adversaire de ce genre, depuis longtemps nos très-sensibles romanciers me fatiguent. Ils veulent émouvoir, passionner, exciter des oris, des gémissements. Ils inventent de pitoyables malheurs, les pressent, les accumulent, en surchargent, en accablent un misérable héros, et parviennent à révolter, sans avoir trouvé le moyen d'intéresser 2. >

Ils intéressaient tout au plus la foule ignorante et avide d'émotions fortes, sur laquelle les auteurs commençaient à spéculer tristement. Cette dépravation du roman atteignit son comble pendant la période révolutionnaire. Alors on ne vit plus guère que des écrivains furieux et immondes, suppléant à la stérilité de leurs idées à force d'horreurs et de scandales. Madame de Genlis, caractérisant les affreuses productions de cette époque, disait :

« Il est reçu maintenant, dans notre nouvelle poétique, que la vertu n'est pas

1 Essai sur les révol., 1re part., chap. XXII.

2 Lettres de Milady Rivers, XLIV.

dans la nature, que l'innocence est insipide, et que l'amour est fade, s'il n'est pas, même dans une femme, une passion furieuse et effrénée; aussi toutes nos héroines de roman et de théâtre sont des filles-mères, des épouses adultères et des amantes forcenées. Ce n'est plus de la tendresse qu'il nous faut, c'est de la rage 1. » La même observatrice avait déjà dit longtemps auparavant :

Jamais l'amour n'a eu moins d'influence sur la vie que de nos jours, et jamais, dans les ouvrages d'imagination, son langage n'a été si véhément, si chargé d'hyperboles outrées; tous les amants sont des énergumènes, et les amantes des pythonisses sur le trépied; elles parlent d'une manière inintelligible, elles improvisent, prophétisent; elles ont une énergie qui tient de la fureur... 2 »

Quelques-uns, sentant l'abus de cette prétention à la force, à la grandeur, à la chaleur, donnèrent dans un autre excès, le ton systématiquement moqueur, l'ironie de toutes choses. Madame de Genlis, après avoir remarqué qu'à la fin du dix-huitième siècle «< il y avait dans la société deux sectes très-distinctes, l'une prude, romanesque et sentimentale, soutenant une morale inconséquente et sans base, et affichant avec emphase les sentiments les plus héroïques et les plus exagérés à certains égards, et sur quelques points les plus dangereux, » dit que le caractère de la seconde était de parler avec légèreté des choses les plus graves, par antipathie pour l'exagération et le galimatias, de se moquer des sentiments et des principes vertueux sans les renier; de ne jamais dire une chose touchante ou sensée sans y joindre ensuite une extravagance, un sarcasme ou une moquerie, et enfin de tourner en ridicule toutes les thèses sentimentales 3. Ces deux classes d'esprits se montrent parmi les romanciers, comme ils existaient dans la société. Voltaire, et, avec beaucoup moins d'esprit, ses nombreux imitateurs, ne savent conter qu'en se moquant non-seulement de leurs personnages, mais de leurs propres principes.

Les femmes forment une grande partie des romanciers du dix-huitième siècle : madame de Fontaine, madame de Tencin, mademoiselle de Lussan, madame de Graffigny, madame Riccoboni, madame Le Prince de Beaumont, la comtesse de Flahaut, madame de Genlis, madame Cottin, madame de Charrière. Il y aurait encore bien des noms, mais moins estimables, à ajouter à cette liste, si on voulait la rendre complète. Les dames d'alors ne se contentèrent pas d'écrire chacune pour son compte : il paraît qu'elles s'associèrent pour composer des ouvrages dont la prétention était d'amuser et de moraliser, et l'on vit débiter de singulières publications avec des titres tels que celui-ci : Lectures amusantes ou Choix varié de romans, contes nouveaux et anecdotes historiques, par une société littéraire de jolies femmes.

Certains philosophes avaient conseillé, comme moyen de se soustraire à l'esclavage du sexe, de « débarrasser les femmes d'un reste de pudeur, dont le sacrifice les met en droit d'exiger le culte et l'adoration perpétuelle de leurs amants. Les romanciers, romanciers galants, volup2 Souvenirs de Félicie.

1 Les Parvenus, t. III, chap. 11. 3 Les Parvenus, t. II, chap. VI.

[blocks in formation]
« PreviousContinue »