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que les lecteurs intelligents et de bonne foi, et les juges à l'opinion desquels j'attache le plus de prix, sentiront que toutes ont été dictées par ma conscience.

Dévouement désintéressé à la vérité littéraire, comme à la vérité morale, à la vérité religieuse, à la vérité sociale; invariable impartialité en tout et à l'égard de tous: telle est la devise que j'ai adoptée pour toute ma vie, bien que je sache que, dans la lutte continuelle des opinions et des partis, vouloir être strictement impartial est un rôle assez chanceux. Mais l'impartialité, comme je l'entends, est fort éloignée de l'indifférence et du scepticisme. Elle n'exclut pas la chaleur des convictions et la passion pour ce qu'on croit le vrai et le bien.

HISTOIRE

DE LA

LITTÉRATURE FRANÇAISE

DEPUIS LE XVI SIÈCLE JUSQU'A NOS JOURS.

ÉTUDES ET MODÈLES DE STYLE

DIX-HUITIÈME SIÈCLE

PREMIÈRE PARTIE

TABLEAU DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE (PROSE)

AU XVIII SIÈCLE.

I

Aperçu général.

Le grand courant de l'opinion n'appartient plus au dix-huitième siècle. On a trop goûté les fruits de ce culte idolâtrique de la raison que la philosophie et la révolution avaient légué à notre époque pour toute doctrine. On a trop eu le temps d'apprécier tout ce qu'avaient d'utile, de bon, de nécessaire, tant d'institutions que la moquerie décrédita, que la violence renversa. On est revenu à un jugement plus sain sur le bien et le mal que renfermait l'ancienne société, sur les avantages et les désavantages qui sont résultés de sa destruction. Cependant l'ère de Voltaire reçoit encore parfois des éloges excessifs et complaisants. Des hommes trèsdistingués, et même des hommes très-religieux vont encore, sinon jusqu'à la préférer, au moins jusqu'à la comparer pour la puissance du talent à l'ère immortelle de Louis XIV. Récemment un célèbre orateur chrétien, dont la robe de dominicain brille maintenant des palmes académiques, disait, après avoir accordé de justes éloges au siècle des grands génies chrétiens : « Le siècle suivant dégénéra du christianisme, mais non pas du génie 1.» Nous osons croire que l'illustre religieux n'a pas envisagé toute la portée de ses expressions. Il est inutile, pensons-nous, pour un

1 Le P. Lacordaire, Disc. de réception à l'Académie.

catholique, d'étabi'r qué. Devement arecen de mounts tans une société, le gínie ne peut pas demeurer at mice Day Lassant boue je priacipe de côté, et ons teralt selement les ås. Dous demandervas qui Ion pourra, au dis-cleme sece, comparer i s pads bommes du dix-septième que leur génie o come els vertas ini teraDés de gloire. Combien pea cloings d. ti-orteme sede réclameroot un éternel souvenir de la poster £. Et miele Espanto en de les écrivains les plus marquants des deux époquest 0: sect, aans Tere philosophique, ces rares génies qui panent sur les secies! Les trois esprits les plus forts ou les plus org ca.1 de cette époque, Micksqllen, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, peuventus ère mis en particle avec les Descartes, les Pascal, les Cornelle, les M: ere, les Bussoet? li fandrait être exorbitamment préven en faveur de ces pretend as philosophes qui s'entre-appelaient horumes au-dessus de leur siècle et de leur pays1, pour voir en eux les égaux par le génie des seuls bommes qui, dans notre pays, aient égalé ou surpassé les plus fameux des anciens. « l'entre dans une sainte colere quand on veut rapprocher les auteurs du da-huttleme siecle des écrivains du dix-septième,» disalt M. de Chateaubrand écrivant à Fontanes. Tous ceux qui connaissent bien les deux époques, et qui sont capables d'en apprécier les différences, éprouveront le même sentiment. Il y eut assurément une prodigieuse activité de travail dans « ce siècle penseur même lorsqu'il était mauvais penseur; dars ce siècle cù chaque homme avait sur tout son jugement et son mɔt; cù le lieu commun avait au moins l'excuse et l'habillement du paradoxe.» Mais la plupart de ces ouvrages, qui firent alors plus ou moins de truit, n'ircut pas à une postérité fort reculée. Ils sont encore, à certains égards, dignes de quelque étude, ils ont une originalité particulière; mais gênéralement ils ne s'élèvent pas au-dessus du médiocre. « Jamais la raison n'a eu plus d'esprit, et jamais il n'y eut moins de grands talents, disat Voltaire lui-même 3.

Si les écrivains du dix-huitième siècle eurent du génie, ce ne fut guère que celui de la contradiction et de la destruction. Ils mirent en question tout ce qui avait été utilement mis en fait depuis un temps immémorial. Ils eurent autant de passion à s'éloigner du gros de l'arbre qu'on en avait auparavant à s'y tenir attaché. Pour détruire certains abus, ils sapèrent par la base les plus respectables institutions, au risque d'être écrasés sous leurs ruines. Ils n'abordèrent aucune branche de la connaissance humaine qu'avec un esprit de négation et de renversement.

Dans la physique, ils n'ont trouvé que des cheetos contre l'Auteur de la nature; dans la métaphysique, que doute et subtilités; la morale et la logique ne leur ont fourni que des déclamations contre l'ordre politique, contre les idees

1 Lettre de Voltaire à d'Alembert, 7 mars 1758.

Franz de Champagny, Bullet. bibliog., dans le Correspondant, t. XXXIII, p. 634.

Lettre à M. de Chabanon, 18 janv. 176%.

religieuses et contre les lois de la propriété ; ils n'ont pas aspiré à moins qu'à la reconstruction du tout, par la révolte contre tout; et, sans songer qu'ils étaient eux-mêmes dans le monde, ils ont renversé les colonnes du monde...

1 »

Lorsqu'on ne s'arrête pas aux surfaces, on voit que ce siècle qui essaya tant de choses en produisit peu de neuves, et que s'il a beaucoup détruit, il n'a presque rien construit. La faiblesse relative apparaît surtout frappante sous le rapport littéraire.

Nous ne sommes pas de ces engoués du dix-septième siècle qui en adorent tous les noms et toutes les productions, toutes les idées et toutes les formes. Nous reconnaissons tout ce qui a manqué à un grand nombre d'écrivains de cette époque; mais nous y saluons quelques maîtres comme des modèles incomparables. Un caractère du dix-septième siècle, non reproduit depuis, a été de préférer à tout la raison mise dans son jour, d'avoir eu le scrupule du beau et de l'achevé, tout en évitant l'excès et la recherche. Un bon écrivain ne doit jamais passer sur un scrupule de style, non plus qu'un homme vertueux sur un scrupule de morale. Dès qu'on a passé sur un scrupule de style ou de morale, on est sur la pente du mal. Les grands hommes du dix-septième siècle seuls eurent, par instinct, cette délicatesse littéraire parfaite.

Dès la fin du siècle de Louis XIV, la langue, par des déclins insensibles, se gâtait, tout en acquérant certaines qualités plus achevées. A l'époque suivante, nombre d'hommes possédèrent le don de penser et de s'exprimer, mais ils n'ont plus dans la forme la perfection serrée du siècle des modèles. Ils dégénèrent de cette simplicité savante, de cette originalité naïve, de cette force maîtresse d'elle-même, dont les grands génies du dix-septième siècle avaient dérobé le secret aux anciens.

Plusieurs écrivains placés, pour ainsi dire, sur les confins des deux grandes périodes du dix-septième et du dix-huitième siècle, d'Aguesseau, Rollin, Vertot, Lesage, demeurent des modèles classiques au même titre, à très-peu près, que ceux qui appartiennent complétement au dix-septième. Ils gardent une expression presque constamment correcte, vive et contenue. Ils s'en tiennent à cette éloquence de bon aloi qui consiste essentiellement dans la simplicité naturelle de la vérité.

Avec Fontenelle, un écrivain cependant qui avait longtemps vécu sous Louis XIV, l'affectation et la manière compliquée de vulgarité voulue menacent d'envahir la langue. Voltaire empêche cette école de s'établir. Mais lui-même, dans ses meilleurs ouvrages, sacrifie au bel esprit et à la manie de l'éclat et de la pointe; il cherche l'effet dans chaque phrase, quelquefois dans chaque membre de phrase, au lieu de l'attendre de l'ensemble.

Le style perdit l'aisance, la grâce, la naïveté qui n'étaient jamais absentes des écrits même des auteurs les plus solennels ou les plus didactiques du dix-septième siècle. La roideur et l'emphase philosophiques dénaturèrent la langue. Vers le milieu du siècle, l'abus et l'accumulation

1 Rivarol, Disc. prélim. d'un nouv. dictionn. franç.

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