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LA FONTAINE

NOUVELLE EDITION

Ornée de Vignettes.

La Morale de chaque Fable est séparée du texte.

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DOOL LIBR
12 FEB 1917
OXFORD

Paris.Typ. Gaittet, rue Git-le-Cœur, 7

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PRÉFACE

DE LA FONTAINE.

L'indulgence que l'on a eue pour quelques-unes de mes fables me donne lieu d'espérer la même grâcs pour ce recueil. Ce n'est pas qu'un des maîtres (1) de notre éloquence n'ait désapprouvé le dessein de les mettre en vers: il a cru que leur principal ornement est de n'en avoir aucun; que ailleurs la contrainte de la poésie, jointe à la sévérité de notre langue, m'embarrasserait en beaucoup d'endroits, et bannirait de la plupart de ces récits la brièveté qu'on peut fort bien appeler l'âme du conte, puisque sans elle il faut nécessairement qu'il languisse. Cette opinien ne saurait partir que d'un homme d'excellent goût; je demanderais seulement qu'il en relâchât quelque peu, et qu'il crût que les grâces lacédémoniennes ne sont pas tellement ennemies des muses françaises, que l'on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie.

Après tout, je n'ai entrepris la chose que sur l'exemple, je ne veux pas dire des anciens, qui ne tire point à conséquence pour moi, mais sur celui des modernes. C'est de tout temps, et chez tous les peuples qui font profession de poésie, que le Parnasse a jugé ceci de son apanage. A peine les fables qu'on attribue à Esope virent le jour, que Socrate trouva à propos de les habiller des livrées des muses. Ce que Platon en rapporte est si agréable, que je ne puis m'empêcher d'en faire un des ornements de cette préface. Il dit que Socrate étant condamné au dernier supplice, l'on remit l'exécution de l'arrêt à cause de

(1) Patru, célèbre avoent au parlament de Paris, et membre de l'Académia francaise.

certaines fêtes. Cébès l'alla voir le jour de sa mort Socrate lui dit que les dieux l'avaient averti plusieurs ois, pendant son sommeil, qu'il devait s'appliquer à ta musique avant qu'il mourût. Il n'avait pas entendu d'abord ce que ce songe signifiait: car comme la musique ne rend pas l'homme meilleur, à quoi bon s'y attacher? fallait qu'il y eût du mystère là-dessous, d'autant plus que les dieux ne se lassaient point de lui envoyer la même inspiration. Elle lui était encore venue, une de ces fêtes. Si bien qu'en songeant'aux choses que le ciel pouvait viger de lui, il s'était avisé que la musique et la poésie ont tant de rapport, que possible était-ce de la dernière qu'il s'agissait. Il n'y a point de bonne poésie sans harmonie: mais il n'y en a point non plus sans fictions; et Socrate ne savait que dire la vérité. Enfin il avait trouvé un tempérament: c'était de choisir des fables qui continssent quelque chose de véritable, telles que celles d'Esope. Il employa donc à les mettre en vers les

derniers moments de sa vie.

Socrate n'est pas le seul qui ait considéré comme sœurs la poésie et nos fables. Phèdre a témoigné qu'il était de ce sentiment; et par l'excellence de son ouvrage nous ne pouvons juger de celui du prince des philosophes. Après Phèdre, Aviénus a traité le même sujet. Enfin les modernes les ont suivis: nous en avons des exemples non-seulement chez les étrangers, mais chez nous. Il est vrai que lorsque nos gens y ont travaillé, la langue était si différente de ce qu'elle est, qu'on ne les doit considérer que comme étrangers. Cela ne m'a point détourné de mon entreprise; au contraire, je me suis flaité de l'espérance que si je ne courais dans cette carrière avec succès, on me donnerait au moins la gloire de l'avoir ouverte.

Il arrivera possible que mon travail fera naître à d'autres personnes l'envie de porter la chose plus loin. Tant s'en faut que cette matière soit épuisée, qu'il reste encore plus de fables à mettre en vers que

Jen en ai mis. J'ai choisi véritablement les meilleures, c'est-à-dire celles qui m'ont semblé telles mais outre que je puis m'être trompé dans mon choix, it ne sera pas bien difficile de donner un autre tour à celles-là même que j'ai choisies; et si ce tour est moins long, i sera sans doute plus approuvé. Quoi qu'il en arrive, on m'aura toujours obligation, soit que ma témérité ait été heureuse, et que je ne me sois point trop écarté du chemin qu'il fallait tenir, soit que j'aie seulement excité les autres à mieux faire.

Je pense avoir justifié suffisamment mon dessein : quant à l'exécution, le public en sera juge. On ne trouvera pas ici l'élégance ni l'extrême brièveté qui rendent Phèdre recommandable: ce sont qualités audessus de ma portée. Comme il m'était impossible de l'imiter en cela, j'ai cru qu'il fallait en récompense égayer l'ouvrage plus qu'il n'a fait. Non que je le blâme d'en être demeuré dans ces termes : la langue Jatine n'en demandait pas davantage; et si l'on veut prendre garde, on reconnaîtra dans cet auteur le vrai caractère et le vrai génie de Térence. La simplice est magnifique chez ces grands hommes: moi, qui n'ai pas les perfections du langage comme ils les ont eues, je ne la puis élever à un si haut point. Il a donc fallu se récompenser d'ailleurs: c'est ce que j'ai fait avec d'antant plus de hardiesse, que Quintilien dit qu'on ne saurait trop égayer les narrations. Il ne s'agit pas ici d'en apporter une raison: c'est assez que Quintilien l'ai dit. J'ai pourtant considéré que ces fables étant snes de tout le monde, je ne ferais rien 31 e ne les rendais nouvelles par quelques traits qui en relevassent le goût. C'est ce qu'on demande aujourd'hui: on veut de la nouveauté et de la galté. Je n'appelle pas galté ce qui excite le rire; mais un certain charme, un air agréable qu'on peut donnerà toutes sortes de sujets, même les plus sérieux.

Mais ce n'est pas tant par la forme que j'ai donnée

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