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Elle reçoit et donne, et la chose est égale.
Tout travaille pour elle, et, réciproquement,
Tout tire d'elle l'aliment.

Elle fait subsister l'artisan de ses peines,
Enrichit le marchand, gage le magistrat,
Maintient le laboureur, donne paie au soldat,
Distribue en cent lieux ses grâces souveraines,
Entretient seule tout l'État.

Ménénius le sut bien dira.

La commune s'allait séparer du sénat.

Les mécontents disaient qu'il avait tout l'empire,
Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la dignité :
Au lieu que tout le mal était de leur côté,
Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre.
Le peuple hors des murs était déjà posté,
La plupart s'en allaient chercher une autre terre.
Quand Ménénius leur fit voir

Qu'ils étaient aux membres semblables,
Et par cet apologue, insigne entre les fables,
Les ramena dans leur devoir.

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Un loup qui commençait d'avoir petite part
Aux brebis de son voisinage,

Crut qu'il fallait s'aider de la peau du renard,
Et faire un nouveau personnage.
Il s'habille en berger, endosse un hoqueton,
Fait sa houlette d'un bâton,

Sans oublier la cornemuse.

Pour pousser jusqu'au bout la ruse,

Il aurait volontiers écrit sur son chapeau :
. C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau. »
Sa personne étant ainsi faite,

Et ses pieds de devant posés sur sa houlette,
Guillot le sycophante approche doucement.
Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l'herbette,
Dormait alors profondément;

Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette,
La plupart des brebis dormaient parcillement.
L'hypocrite les laissa faire;

Et, pour pouvoir mener vers son fort les brebis,
Il voulut ajouter la parole aux habits,
Chose qu'il croyait nécessaire.
Mais cela gâta son affaire :

Il ne put du pasteur contrefaire la voix.
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
Et découvrit tout le mystère.
Chacun se réveille à ce son,
Les brebis, o chien, le garçon.
Le pauvre loup dans cette esclandre,
Empêché par son hoqueton,

Ne put ni fuir ni se défendre.

Toujours par quelque endroit fourbes se laissent

prendre.

Quiconque est loup, agisse en loup :
C'est le plus certain de beaucoup.

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L'invention des arts étant un droit d'afnesse,
Nous devons l'apologue à l'ancienne Grèce :
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner,
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
La feinte est un pays plein de terres désertes:
Tous les jours nos auteurs y font des découvertes.
Je t'en veux dire un trait assez bien inventé:/
Autrefois à Racan, Malherbe l'a conté.

Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre,
Disciples d'Apollon, nos maltres, pour mieux dire,
Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins,
(Comme ils se confiaient leurs pensers et leurs soins
Racan commence ainsi : Dites-moi, je vous prie,
Vous que devez savoir les choses de la vie,
Qui par tous ses degrés avez déjà passé,
Et que Flen ne doit fuir en cet age avance;

A quoi me résoudrai-je ? Il est temps que j'y pense

Vous connaissez mon bien, mon talent, ma naissance:
Dois-je dans la province établir mon séjour?
Prendre emploi dans l'armée, ou bien charge à la cour?
Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes :
La guerre a ses douceurs, l'hymen a ses alarmes.
Si je suivais mon goût, je saurais où buter;
Mais j'ai les miens, la cour, le peuple à contenter.
Malherbe là-dessus : Contentez tout le monde!
Ecoutez ce récit avant que je réponde.

J'ai lu dans quelque endroit qu'un meunier et son fils,
L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits,
Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire,
Allaient vendre leur âne un certain jour de foire.
Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit,
On lui lia les pieds, on vous le suspendit;

Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre.
Pauvres gens! idiots! couple ignorant et rustre!
Le premier qui les vit de rire s'éclata :
Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là?
Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense.
Le meunier, à ces mots, connait son ignorance:
Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler.
L'âne, qui goûtait fort l'autre façon d'aller,
Se plaint en son patois. Le meunier n'en a cure;
Il fait monter son fils, il suit et d'aventure,
Passent trois bons marchands. Cet objet leur déplut.
Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put:
Oh là! oh! descendez que l'on ne vous le dise,
Jeune homme, qui menez laquais à barbe grise!
C'était à vous de suivre. vieillard de monter.
Messieurs, dit le meunier, il vous faut contenter.
L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte.
Quaud trois filles passant, l'une dit : C'est grand'honte
Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils,
Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis,
Fait le veau sur son åne, et pense être bien sage.
Il n'est, dit le meunier, plus de veaux à mon âge:
Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez.
Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,

ay

L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe. Au bout de trente pas, une troisième troupe Trouve encore à gloser. L'un dit: Ces gens sont fous! Le bandet n'en peut plus; il mourra sous leurs coups. Hé quoi charger ainsi cette pauvre bourrique! N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique! Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau. Parbleu dit le meunier, est bien fou du cerveau Qui prétend contenter tout le monde et son père. Essayons toutefois si, par quelque manière, Nous en viendrons à bout. Ils descendent tous deux : L'ane se prélassant marche seul devant eux. Un quidam les rencontre, et dit: Est-ce la mode Que baudet aille à l'aise, et meunier s'incommode? Qui de l'âne ou du maltre est fait pour se lasser? Je conseille à ces gens de le faire enchâsser. Ils usent leurs souliers, et conservent leur âne! Nicolas au rebours: ca, quand il va voir Jeanne, Il monte sur sa bête; et la chanson le dit : Beau trio de baudets! Le meunier repartit Je suis âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue; Mais que dorénavant on me blâme, o me loue, Qu'on dise quelque chose, ou qu'on ne dise rien, J'en veux faire à ma tête. Il ie fit, et fit bien. Quant à vous, suivez Mars ou l'amour, ou le prince, Allez, venez, courez, demeurez en province; Prenez femme, abbaye, empioi, gouvernement: Les gens en parleront, n'en doutez nullement.

FABLE IV

Les Grenouilles qui demandent un Roi.

Les grenouilles, se lassant

De l'état démocratique,

Par leurs clameurs firent tant,
Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique :
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marégeuse,

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