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Menaient avec eux en voyage
Singes et chiens de bateleurs.
Un navire en cet équipage
Non loin d'Athènes fit naufrage,
Sans les dauphins tout eût péri.
"Cet animal est fort ami

De notre espèce: en son histoire
Pline le dit; il le faut croire.
Il sauva donc tout ce qu'il put.
Même un singe en cette occurrence,
Profitant de ia ressemblance,
Lui pensa devoir con salut:
Un dauphin le prit pour un homme;
Et sur son dos le fit asseoir
Si gravement, qu'on eût crut voir
Ce chanteur que tant on renomme.
Le dauphin l'allait mettre à bord,
Quand, par hasard, il lui demande :
Etes-vous d'Athènes la grande ?
Oui, dit l'autre; on m'y connaît fort:
S'il vous y survient quelque affaire,
Employez-moi, car mes parents
Y tiennent tous les premiers rangs.
Un mien cousin est juge-maire.
Le dauphin dit: Bien grand merci :
Et le Pirée a part aussi

A l'honneur de votre présence?
Vous le voyez souvent, je pense!

Tous les jours: il est mon ami;
C'est une vieille connaissance.
Notre magot prit, pour ce coup,
Le nom d'un port pour un nom d'homme.
De telles gens il est beaucoup,

Qui prendraient Vaugirard pour Rome,
Et qui, caquetant au plus dru,
Parlent de tout, et n'ont rien vu.

Le dauphin rit, tourne la tête;
Et, le magot considéré,
Ts'aperçoit qu'il n'a tiré

Du fond des eaux rien qu'une bête:
Illy replonge, et va trouver
Quelque homme afin de le sauver.

FABLE VI.

L'Homme et l'Idole de bois.

Certain palen chez lui gardait un dieu de bois,
De ces dieux qui sont sourds, bien qu'ayant des oreilles;
Le paien cependant s'en promettait merveilles,
Il lui coûtait autant que trois :

Ce n'était que vœux et qu'offrandes,
Sacrifices de bœufs couronnés de guirlandes.
Jamais idole, quel qu'il fût,

N'avait eu cuisine si grasse;

Sans que, pour tout ce culte, à son hôte il échứt
Succession, trésor, gain au jeu, nulle grâce.
Bien plus, si pour un sou d'orage en quelque endroit
S'amassait d'une ou d'autre sorte,

L'homme en avait sa part; et sa bourse en souffrait :
La pitance du dieu n'en était pas moins forte.
A la fin, se fachant de n'en obtenir rien,

Il vous prend un levier, met en pièces l'idole,
Le trouve rempli d'or. Quand je t'ai fait du bien,
M'as-tu valu, dit-il, seulement une obole!
Va, sors de mon logis, cherche d'autres autels.
Tu ressembles aux naturels
Malheureux, grossiers et stupides:

On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton;
Plus je te remplissais, plus mes mains étaient vides:
J'ai bien fait de changer de ton

FABLE VII.

Le Geai paré des plumes du Paon.

Un paon muait: un geai prit son plumage;
Puis après se l'accommoda;

Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoud, a. Berné, sifflé, moqué, joué,

Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte: Même vers ses pareils s'étant réfugié,

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Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lul,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.

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Le Chameau et les Bâtons flottants.

Le premier qui vit un chameau
S'enfuit à cet objet nouveau;

Le second approcha; le troisième osa faire
Un licou pour le dromadaire.
L'accoutumance ainsi nous rend tout familier:
Ce qui nous paraissait terrible et singulier
S'apprivoise avec notre vue

Quand ce vient à la continue.

Et puisque nous voici tombés sur ce sujet :
On avait mis des gens au guet,
Qui voyant sur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s'empêcher de dire

Que c'était un puissant navire.
Quelques moments après, l'objet devint brûlot,
Et puis nacelle, et puis ballot,
Enfin bâtons flottant sur l'onde.

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J'en sais beaucoup de par le monde

A qui ceci conviendrait bien :

De loin, c'est quelque chose ; et de près, ce n'est rien,

FABLE IX.

La Grenouille et le Rat.

Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,

Qui souvent s'engeigne soi-même.

J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui :
Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.
Mais afin d'en venir au dessein que j'ai pris :
Un rat plein d'embonpoint, gras, et des mieux nourris.
Et qui ne connaissait l'avent ni le carême,
Sur le bord d'un marais égayait ses esprits.
Une grenouille approche, et lui dit en sa langue
Verez me voir chez moi, je vous ferai festin.
Messire rat promit soudain :

Il n'était pas besoin de plus longue harangue.

Elle allégua pourtant les délices du bain,

La curiosité, le plaisir du voyage,

Gent raretés à voir le long du marécage:

Un jour il conterait à ses petits-enfants

Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitants, Et le gouvernement de la chose publique

Aquatique.

Un point sans plus tenait le galant empêché :
Il nageait quelque peu, mais il fallait de l'aide.
La grenouille à cela trouve un très bon remèda :
Le rat fut à son pied par la patte attaché;
Uu brin de jonc en fit l'affaire.

Dans le marais entrés, notre bonne commère
S'efforce de tirer son hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée;
Prétend qu'elle en fera gorge-chaude et curée:
C'était, à son avis, un excellent morceau.
Déjà dans son esprit la galande le croque:
Il atteste les dieux; la perfide s'en moque:
Il résiste; elle tire. En ce combat nouveau,
Un milan, qui dans l'air planait, faisait la ronde,
Voit d'en haut le pauvret se débattant sur l'onde.
Il fond dessus, l'enlève, et, par même moyen,
La grenouille et le lien,

Tout en fut, tant et si bien,
Que de cette double proie
L'oise" se donne au cœur joie,

Ayant, de cette façon,

A souper chair et poisson.

La ruse la mieux ourdie
Pent nuire à son inventenr;
Et souvent la perfidie

Retourne sur son auteur.

FABLE X.

Tribut envoyé par les animaux à Alexandre.

Une fable avait cours parmi l'antiquité;
Et la raison ne m'en est pas connue.
Que le lecteur en tire une moralité :
Voici la fable toute nue.

La Renommée ayant dit en cent lieux
Qu'un fils de Jupiter, un certain Alexandre,
Ne voulant rien laisser de libre sous les cieux,
Commandait que, sans plus attendre,
Tout peuple à ses pieds s'allât rendre :
Quadrupèdes, humains, éléphants, vermisseaux,
Les républiques des oiseaux;

La déesse aux cent bouches, dis-je,
Ayant mis partout la terreur

En publiant l'édit du nouvel empereur,
Les animaux, et toute espèce lige

De son seul appétit, crurent que cette fois
Il fallait subir. d'autres lois.

On s'assemble au désert. Tous quittent leur taufere. Après divers avis, on résout, on conclut

D'envoyer hommage et tribut.

Pour l'hommage et pour la manière,

Le singe en fut chargé: l'on lui mit par écrit
Ce que l'on voulait qui fût dit.

Le seul tribut les tint en peine :
Car que donner? il fallait de l'argent.
On en prit d'un prince obligeant,
Qui, possédant dans son domaine
Des mines d'or, fournit ce qu'on voulut.
Comme il fut question de porter ce tribut,
Le mulet et l'âne s'offrirent,

Assistés du cheval ainsi que du chameau

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