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J'espérais, cria-t-il, expirer à vos yeux;
Mais je vous suis trop odieux,

Et ne m'étonne pas qu'ainsi que tout le reste
Vous me refusiez même un plaisir si funeste.
Mon père, après ma mort, et je l'en ai chargé
Doit mettre à vos pieds l'héritage

Que votre cœur a négligé.

Je veux que l'on y joigne aussi le pâturage,
Tous mes troupeaux, avec mon chien;
Et que du reste de mon bien

Mes compagnons fondent un temple,
Où votre image se contemple,
Renouvelant de fleurs l'autel à tout moment.
J'aurai près de ce temple un simple monument:
On gravera sur la bordure:

Daphnis mourut d'amour: passant, arrête-toi,
Pleure, et dis: Celui-ci succomba sous la loi
De la cruelle Alcimadure. »

A ces mots, par la Parque il se sentit atteint;
Il aurait poursuivi: la douleur le prévint.
Son ingrate sortit triomphante et parée...
On voulut, mais en vain, l'arrêter un moment
Pour donner quelques pleurs au sort de son amant:
Elle insulta toujours au fils de Cythérée,

Menant dès ce soir même, au mépris de ses lois,
Ses compagnes danser autour de sa statue.
Le dieu tomba sur elle, et l'accabla du poids:
Une voix sortit de la nue,

Echo redit ces mots dans les airs épandus:

Que tout aime à présent: l'insensible n'est plus. Cependant de Daphnis l'ombre au Styx descendue Fremit et s'étonna, la voyant accourir.

Tout l'Erèbe entendit cette belle homicide
S'excuser au berger, qui ne daigna l'ouir,
Nou plus qu'Ajax Ulysse, et Didon son perfide.

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En pays plein de cerfs un cerf tomba malade.
Incontinent maint camarade

Accourt à son grabat le voir, le secourir,
Le consoler du moins: multitude importune.
Eh! messieurs, laissez-moi mourir :
Permettez qu'en forme commune

La Parque m'expédie, et finissez vos pleurs.
Point du tout les consolateurs
De ce triste devoir tout au long s'acquittèrent,
Quand il plut à Dieu s'en allerent:0
Ce ne fut pas sans boire un coup,
C'est-à-dire sans prendre un droit de pâturage.
Tout se mit à brouter les bois du voisinage.

La pitance du cerf en déchut de beaucoup.
Il ne trouva plus rien à frice :
•D un mal i tomba dans un pire,
Et se vit réduit à la n

A jeûner et mourir de faim.

Il en coûte à qui vous réclame,
Médecins du corps et de l'ame!
O temps! mœurs! j'ai beau crier,
Tout le monde se fait payer.

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FABLE XXXI.

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Le Juge arbitre, l'Hospitalier et le Solitaire.
Trois saints, également jaloux de leur salut,
Portés d'un même esprit, tendaient à même but.
Ils s'y prirent tous trois par des routes diverses :
Tous chemins vont à Rome; ainsi nos concurrents
Crurent pouvoir choisir des sentiers différents.
L'un, touché des soucis, des longueurs, des traverses,
Qu'en apanage on voit aux procès attachés,
S'offrit de les juger sans récompense aucune,
Peu soigneux d'établir ici-bas sa fortune.
Depuis qu'il est des lois, l'homme, pour ses péchés,
Se condamne à plaider la moitié de sa vie :
La moitié! les trois quarts, et bien souvent le tout.
Le conciliateur crut qu'il viendrait à bout
De guérir cette folle et détestable envie.
le second de nos saints choisit les hôpitaux.
e le loue; et le soin de soulager les maux
Est une charité que je préfère aux autres.
Les malades d'alors, étant tels que les nôtres,
Donnaient de l'exercice au pauvre hospitalier;
Chagrins, impatients, et se plaignant sans cesse:
Il a pour tels et tels un soin particulier,

Ce sont ses amis; il nous laisse.»
Ges plaintes n'étaient rien au prix de l'embarras
Où se trouva réduit l'appointeur de débats.

Aucun n'était content, la sentence arbitrale
A nul des deux ne convenait :

Jamais le juge ne tenait

A leur gré la balance égale.

De semblables discours rebutaient l'appomteur
B court aux hôpitaux, va voir leur directeur.
Tous deux ne recueillant que plainte et que murmure
Affligés, et contraints de quitter ces emplois,
Vont confier leur peine au silence des bois.
Là, sous d'âpres rochers, près d'une source pure,
Lieu respecté des verts, ignoré du soleil,
Ils trouvent l'autre saint, lui demandent conseil.
Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même.
Qui, mieux que vous, sait vos besoins?
Apprendre à se connaitre est le premier des soinE
Qu'impose a 'uus mortels la majesté suprême.
Vous êtes ous onnus dans le monde habité?
L'on ne puu'aux lieux pleins de tranquillits:
Cherches ce bien est une erreur extrême,
Troublez l'eau: vous y voyez-vous?

Agitez celle-ci. - Comment neus verrions-nous?
La vase est un épais nuage

Qu'aux effets du cristal nous venons d'opposer.
Mes frères, dit le saint, laissez-la reposer,
Vous verrez alors votre image.

Pour vous mieux contemples, demeurez an désert.
Ainsi parla le solitaire,

Il fut cru; l'on suivit ce conseil salutaire.

Ce n'est pas qu'un empfoi ne doive être souffert; Puisqu'on plaide et qu'on meurt, et qu'on devient malade Il faut des médecins, il faut des avocats.

Ces secours, grâce à Dieu, ne nous manqueront pas:
Les honneurs et le gain, tout me le persuade.
Cependant on s'oublie en c、communs besoins.

O vous, dont le public emporte tous les soins,
Magistrats, princes et ministres,

Yous que doivent troubler mille accidents sinistres,
Que le malheur abat, que le bonheur corrompt,

Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne.
Si quelque bon moment à ces pensers vous donne,
Quelque flatteur vous interrompt.

Cette leçon sera la fin de ces ouvrages:
Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir!
Je la présente aux rois, je la propose aux sages
Par où saurais-je mieux finir?

IN DES FABLES.

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