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D'en douter un moment après ce que je dis.
Faut-il que vous trouviez étrange
Que les chats-huants d'un pays

Où le quintal de fer par un seul rat se mange
Enlèvent un garçon pesant un demi-cent?
L'autre vit où tendait cette feinte aventure:
Il rendit le fer au marchand,
Qui lui rendit sa géniture.

Même dispute advint entre deux voyageurs.
L'un d'eux était de ces conteurs

Qui n'ont jamais rien vu qu'avec un m'croscope:
Tout est géant chez eux écoutez-les, l'Europe
Comme l'Afrique aura des monstres à foison.
Celui-ci se croyait l'hyperbole permise:

J'ai vu, dit-il, un chou plus grand qu'une maison.
Et moi, dit l'autre, un pot aussi grand qu'une église.
Le premier se moquant, l'autre reprit : Tout doux :
On le fit pour cuire vos choux.

L'homme au pot fut plaisant : l'homme au fer fut habile.
Quand l'absurde est outré, l'on lui fait trop d'honneur
De vouloir, par raison, combattre son erreur :
Enchérir est plus court, sans s'échauffer la bile.

FABLE II.

Le Gland et la Citrouille.

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve En tout cet univers, et l'aller parcourant,

Dans les citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menne,
A quoi songeait, dit-il, l'auteur de tout cela?
Il a bien mal placé cette citrouille-là:

Hé parbleu! je l'aurais pendue

A l'un des chênes que voilà;
C'eût été justement l'affaire:

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.
C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré
Au conseil de celui que prêche ton curé;

Tout en eût été mieux: car pourquoi, par exemple, Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt, Ne pend-il pas en cet endroit?

Dieu s'est mépris: plus je contemple

Ces fruits ainsi placés, plus il sèmble à Garo,
Que l'on a fait un quiproquo

Cette réflexion embarrassant notre homme :
On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit.
Sous une chène aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe: le nez du dormeur en pâtit.
Il s'éveille; et portant la main sur son visage,
Il trouve encore gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage:
Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que serait-ce Conc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde?

Dieu ne l'a pas voulu: sans doute il eut raison,
J'en vois bien à présent la cause.
En louant Dieu de toute chose

་་་་་

Garo retourne à la maison.

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FABLE III.

L'Huître et les Plaideurs.

Un jour deux pélerins sur le sable rencontrent
Une huitre que le flot y venait d'apporier:
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent;
A l'égard de la dent il fallut contester.

L'un se baissait déjà pour ramasser la prole;
Tautre le pousse, et dit: Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.

elui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur; l'autre le verra faire.
Si par-là l'on juge l'a faire,

Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
Je ne l'ai pas mauvais aussi,

Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
Eb bien! vous l'avez vue; et moi jó l'ai sentio.
Pendant tout ce bel incident,

Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge. Perrin, fort gravement, ouvre l'huitre, et la gruge, Nos deux messieurs le regardant.

Le repas fait, il dit, d'un ton de président :
Tenez, la Cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui,
Comptez ce qu'il cu reste à beaucoup de famille:
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

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Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos cœurs,
Tous viennent à la file, il ne s'en manque guères ;
J'entends de ceux qui, n'étant pas contraires,
Peuvent loger sous même toit.

A l'égard des vertus, rarement on les voit
Toutes en un sujet éminemment placées
Se tenir par la main sans être dispersées.

L'un est vaillant, mais prompt: l'autre est prudent, maisfrold.
Parmi les animaux, le chien se pique d'être
Soigneux, et fidèle à son maître;

Mais il est sot, il est gourmand:

Témoin ces deux mâtins qui, dans l'éloignement,
Virent un âne mort qui flottait sur les ondes.
Le vent de plus en plus l'éloignait de nos chiens.
Ami, dit l'un, tes yeux sont meilleurs que les miens;
Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes,
J'y crois voir quelque chose. Est-ce un boeuf, un cheval?
Hé! qu'importe quel animal,

Dit l'un de ces matins, voilà toujours curée.
Le point est de l'avoir: car le trajet est grand;
Et de plus il nous faut nager contre le vent.
Buvons toute cette ean; notre gorge altérée
En viendra bien à bout: ce corps demeurera
Bientôt à sec; et ce sera
Provision pour la semaine.

Voilà mes chiens à boire: ils perdirent l'haleine,
Et puis la vie; ils firent tant

Qu'on les vit crever à l'instant.

L'homme est ainsi bâti: quand un sujet l'enflamme,
L'impossibilité disparaît à son âme.

Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas,
S'outrant pour acquérir des biens ou de la gloire.

2

Si j'arrondissais mes états!

Sije pouvais remplir mes coffres de ducats!

Si j'apprenais l'hébreu, les sciences, l'histoire!
Tout cela c'est la mer à boire :

Mais rien à l'homme ne suffit.

Pour fournir aux projets que forme un seul esprit,
U faudrait quatre corps; encore, loin d'y suffire,

A mi- chemin je crois que tous demeureraient
Quatre Mathusalem bout à bout ne pourraient
Mettre à fin ce qu'un seul désire.

་་་་་་་

FABLE V.

L'Ecolier, le Pédant et le Maître d'un jardin.
Certain enfant qui sentait son college,
Doublement sot et doublement fripon
Par le jeune âge et par le privilége
Qu'ont les pédants de gâter la raison,
Chez un voisin dérobait, ce dit-on,
Et fleurs et fruits. Ce voisin en automne
Des plus beaux dons que nous offre Pomone
Avait la fleur, les autres le rebut.

Chaque saison apportait son tribnt ·

Car au printemps 11 jouissaI EUÇOTE

Des plus beaux dons que nous présente Flore.
Un jour dans son jardin il vit notre écolier,
Qui, grimpant sans égard sur un arbre fruitier,
Gåtait jusqu'aux boutons, douce et frèle espérance,
Avant-coureurs des biens que promet l'abondance:
Même il ébranchait l'arbre; et fit taut à la fin
Que le possesseur du jardin

Envoya faire plainte au maître de la classe.
Celui-ci vint suivi d'un cortège d'enfants:
Voilà le verger plein de gens

Pires que le premier. Le pédant, de sa grace,
Accrut le mal en amenant

Cette jeunesse mal instruite :

Le tout, à ce qu'il dit, pour faire un châtiment
Qui pût servir d'exemple, et dont toute sa suite
Se souvint à jamais comme d'une leçon.
Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,

Avec force traits de science.

Son discours dura tant, que la maudite engeance
Eut le temps de gåter en cent lieux le jardin.
Je hais les pièces d'éloquence

Hors de leur place, et qui n'ont point de fa;

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