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FABLE XII.
L'Homme et son Image.

POUR M. LE DUC DE LAROCHEFOUCAULD. Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux, Passait, dans son esprit, pour le plus beau du monde: Il accusait toujours les miroirs d'être faux, Vivant plus que content dans son erreur profonde. Afin de le guérir, le sort officieux

Présentait partout à ses yeux

Les conseillers muets dont se servent nos dames : Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands, Miroirs aux poches des gaiants,

Miroirs aux ceintures des femmes.

Que fait notre Narcisse? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés :

Il s'y voit, il se fâche; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau :
Mais quoi! le canal est si beau,

Qu'il ne le quitte qu'avec peine.

On voit bien où je veux venir.

Je parle à tous; et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plait d'entretenir. Notre âme, c'est un homme amoureux de lui-même; Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui. Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes y Et quant au canal, c'est celui

Que chacun sait, le livre des Maximes.

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Le Dragon à plusieurs têtes, et le Dragon à plusieurs

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Préférait, dit l'histoire, un jour chez l'empereur
Les forces de son maître à celles de l'empire.
Un Allemand se mit à dire .

Notre prince a des dépendants

Qui de leur chef sont si puissants,
Que chacun d'eux pourrait soudoyer une armée.
Le chiaoux, homme de sens,

Lui dit: Je sais par renommée

Ce que chaque électeur peut de monde fournir;
Et cela me fait souvenir

D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.
J'étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent tètes d'une hydre au travers d'une bale.
Mon sang commence à se glacer :

Et je crois qu'à moins on s'effraie.

Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal;
Jamais le corps de l'animal

Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.
Je rêvais à cette aven-ure,

Quand un autre dragon, qui n'avait qu'un seul chef,
Et bien plus d'une queue, à passer se présente.
Me voilà saisi de rechef
D'étonnement et d'épouvante!

Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi :
Rien ne les empêcha, l'un fit chemin à l'autre.
Je soutiens qu'il en est ainsi
De votre empereur et du nôtre.

FABLE XIV.

Les Voleurs et l'Ane.

Pour un ane enlevé deux voleurs se battaient :
L'un voulait le garder l'autre le voulait vendre.
Tandis que coups de poing trottaient,
Et que nos champions songealent à se défendre,
Arrive un troisième larron,

Qui saisit maltre aliboron.

L'al¿, c'est quélquefois une pauvre province :

Les voleurs sont tel et tel prince,
Comme le Transilvain, le Turc et le Hongrois.
Au lieu de deux, j'en ai rencontré trois :
Il est assez de cette marchandise.

De nul d'eux n'est souvent la province conquise:
Un quart voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du baudet.

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FABLE XV.

Simonide préservé par les dieux.

On ne peut trop louer trois sortes de personnes :
Les dieux, sa maîtresse et son roi.
Malherbe le disait : J'y souscris quant à moi ;
Ce sont maximes toujours bonnes.

La louange chatouille et gagne les esprits:
Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix.
Voyons comme les dieux l'ont quelquefois payée.
Simonide avait entrepris

L'éloge d'un athlète; et, la chose essayée,
Il trouva son sujet plein de récits tout nus:
Les parents de l'athlète étaient gens inconnus;
Son père, un bon bourgeois; lui, sans autre mérite :
Matière infertile et petite.
Le poète d'abord parla de son héros.
Après en avoir dit ce qu'il en pouvait dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos
De Castor et Pollux; ne manque pas d'écrire
Que leur exemple était aux lutteurs glorieux;
Elève leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s'étaient signalés davantage.
Enfin, l'éloge de ces dieux

Faisait les deux tiers de l'ouvrage.
L'athlète avait promis d'en payer un talent;
Mais quand il le vit, le galant

N'en donna que le tiers, et dit fort franchement
Que Castor at Pollux acquittassent le reste :
Faites-vous contenter par ce couple céleste.
Je vous veux traiter cependant;

Venez souper chez moi : nous ferons bonne vie
Les conviés sont gens choisis;

Mes parents, mes meilleurs amis.
Soyez donc de la compagnie.

Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.
Il vient l'on festine, l'on mange.
Chacun étant en belle bumeur,

Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte
Deux hommes demandaient à le voir promptement.
Il sort de table; et la cohorte

N'en perd pas un seul coup de dent.

Ces deux hommes étaient les gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent grâce; et, pour prix de ses vers,
Ils l'avertissent qu'il déloge,
Et que cette maison va tomber à l'envers.
La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque, et le plafond,
Ne trouvant plus rien qui l'étaie,

Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
N'en fait pas moins aux échansons.

Ce ne fut pas le pis: car, pour rendre complète
La vengeance due au poète,

Une poutre cassa les jambes à l'athlète,
Et renvoya les conviés

Pour la plupart estropiés!

La renommée eut soin de publier l'affaire :
Chacun cria miracle! On doubla le salaire
Que méritaient les vers d'un homme aimé des dieux.
Il n'était fils de bonne mère,

Qui, les payant à qui mieux mieux,
Pour ses ancêtres n'en fit faire.

Je reviens à mon texte, et dis premièrement
Qu'on ne saurait manquer de louer largement
Les dieux et leurs pareils; de plus, que Melpomène
Souvent, sans déroger, trafique de sa peine;
Enfin, qu'on doit tenir notre art en quelque prix.
Les grands se font honneur, dès lors qu'ils nous font

Igrâce:]

Jadis l'Olympe et le Parnasse
Étaient frères et bons amis.

FABLE XVI.

La Mort et le Malheureux.

Un malheureux appelait tous les jours
La Mort à son secours.

:

O Mort! lui disait-il, que tu me sembles belle!
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle !
La Mort crut, cn venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je! cria-t-il; ôtez-moi cet objet!
Qu'il est hideux ! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi !
N'approche pas, & Mort! 6 Mort! retire-toil

Mécénas fut un galant homme.

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Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive: c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, o Mort! on t'en dit tout autant.

FABLE XVII.

La Mort et le Bucheron.

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tachait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'efforts ct de douleur,
I met bas son fagot: il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos :
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort: elle vien sans tarder,

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