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Et faisant mainte place nette.
L'ennemi vient sur l'entrefaite.
Fuyons, dit alors le vieillard.

Pourquoi? répondit le paillard:

Me fera-t-on porter double bât, double charge?
Non pas, dit le vieillard, qui prit d'abord le large.
Et que m'importe donc, dit l'âne, à qui je sois?
Sauvez-vous, et me laissez paître.
Notre ennemi, c'est notre maître :
Je vous le dis er bon français.

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Rien ne sert de courir: il faut partir à point.
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but. Sitôt ! êtes-vous sage?
Repartit l'animal léger:

Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore.
Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait; et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'out convint.

Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire;

J'entends de ceux qu'il fait lorsque, pres d'être at

[teint,]

s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,
Et leur fait arpenter les landes.

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de sénateur.

Ele part, elle s'évertue :

Elle se hâte avec lenteur.

cependant méprise une telle victoire
Tient la gageure à peu de gloire,

Croit qu'il y va de son honneur De partir tard. Il broute, il se repose, Il s'amuse à tout autre chose

Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit

Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait. Mais les élans qu'il fit
Furent vains: la tortue arriva la première.
Hé bien! lui cria-t-elle, avais-je pas raison?
De quoi vous sert votre vitesse?

Moi l'emporter! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ?

FABLE XI.

L'Ane et ses Maîtres.

L'âne d'un jardinier se plaignait au Destin
De ce qu'on le faisait lever devant l'aurore.
Les coqs, lui disait-il, ont beau chanter matin,
Je suis plus matineux encore.

Et pourquoi? pour porter des herbes au marché !
Belle nécessité d'interrompre mon somme!

Le Sort, de sa plainte touché,

Lui donne un autre maître; et l'animal de somme
Passe du jardinier aux mains d'un corroyeur.
La pesanteur des peaux et leur mauvaise odeur
Eurent bientôt choqué l'impertinente bête.
J'ai regret, disait-il, à mon premier seigneur :
Encor, quand il tournait la tête,
J'attrapais, s'il m'en souvient bien,

Quelque morceau de chou qui ne me coûtait rien:
Mais ici point d'aubaine; ou, si j'en ai quelqu'une,
C'est de coups. Il obtint changement de fortune;
Et sur l'état d'un charbonnier
Il fut couché tout le dernier.

Antre plainte. Quoi donc! dit le Sort en colère,
Ce baudet-ci m'occupe autant

Que cent monarques pourraient faire !
Croit-il être le seul qui ne soit pas content!
N'ai-je en l'esprit que son affaire?

Le Sori avait raison. Tous gens sont ainsi faits:
Notre condition jamais ne nous contente;

La pire est toujours la présente.
Neas fatiguons le ciel à force de placets.
Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête,
Nous lui romprons encor la tête.

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Le Cerf et la Vigne.

Un cerf, à la faveur d'une vigne fort haute,
Et telle qu'on en voit en de certains climats,
S'étant mis à couvert et sauvé du trépas, [faute.]
Les veneurs, pour ce coup, croyaient leurs chiens en
ils les rappellent dono. Le cerf, hors de danger,
Broute sa bienfaitrice: ingratitude extrême!
Ou l'entend; on retourne, on le fait déloger:
Il vient mourir en ce lieu même.

J'ai mérité, dit-il, ce juste châtiment :
Profitez-en, ingrats, Il tombe en ce moment.
La meute en fait curée: il lui fut inutile
De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés.

Vraie image de ceux qui profanent l'asile

Qui les a conservés.

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Un certain loup, dans la saison
Que les tiedes zéphirs ont l'herbe rajeunie,
Et que les animaux quittent tous la maison
Pour s'en aller chercher leur vie ;
Un loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l'hiver,
Aperçut un cheval qu'on avait mis au verd.
Je laisse à penser quelle joie.

Bonne chasse, dit-il, qui l'aurait à son croc!
Eh! que n'es-tu mouton' car tu me serais hoc :
Au lieu qu'il faut ruser pour avoir cette proie.
Rusons done. Ainsi dit, il vient à pas comptés,
Se dit écolier d'Hippocrate;

Qu'il connait les vertus et les propriétés
De tots les simples de ces prés;

Qu'il sait guérir, sans qu'il se fatte,
Toutes sortes de maux. Si don coursier voulait
Ne point céler sa maladie,
Lui, loup, gratis le guérirait:
Car, le voir en cette prairie
Paître ainsi sans être lié,

Témoiguait quelque mal, selon la médecine.
J'ai, dit la bête chevaline,

Une apostume sous le pied.

Mon fils, dit le docteur, il n'est point de partie
Susceptible de tant de maux.

J'ai l'honneur de servir nosseigneurs les chevaux,
Et fais aussi la chirurgie.

Mon galant ne songeait qu'à bien prendre son temps,
Afin de happer son malade.

L'autre, qui s'en doutait, lui lâche une ruade
Qui vous lui met en marmelade

Les mandibules et les dents.

C'est bien fait, dit le loup en soi-même, fort triste;

Chacun à son métier doit toujours s'attacher.
Tu veux faire ici l'herboriste,
Et ne fus jamais que boucher.

FABLE XIV.

Le Soleil et les Grenouilles.

Aux nocés d'un tyran tout le peuple en liesKO
Noyait son souci dans les pots.
Esope seul trouvait que les gens étaient sots
De témoigner tant d'allégresse.

Le Soleil, disait-il, eut dessein autrefois
De songer à l'hyménée.
Aussitôt on ouït, d'une commune voix,
Se plaindre de leur destinée

Les citoyennes des étangs.

Que ferons-nous s'il lui vient des enfants ?
Dirent-elles au Sort: un seul Soleil à peine
Se peut souffrir; une demi-douzaine
Mettra la mer à sec et tous ces habitants.
Adieu joncs et marais: notre race est détruite ;
Bientôt on la verra réduite

A l'eau du Styx. Pour un pauvre animal, Grenouilles, à mon sens, në raisonnaient pas mal.

FABLE XV.

Le Villageois et le Serpent.

Loope conte qu'un manant,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d'hiver se promenant
A l'entour de son héritage,
Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
N'ayant pas à vivre un quart d'heure.
Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure;
Et, sans considerer quel sera le loyer
D'une action de ce mérite,

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