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sont sauvages; celles-ci hurlent la haine, le ressentiment implacable; d'autres sont tendres, propices aux refrains d'amour, à la caresse, au murmure des mots berceurs, à l'enveloppement des câlineries; d'autres sont félines avec une articulation cruelle et coupante comme le fil d'un poignard et la pointe d'une griffe ; quelques-unes sont fourbes et sonnent la fausse bonté, la fausse franchise, la fausse pitié; certaines sont comme brisées, fêlées, et les mots qu'elles laissent tomber résonnent ainsi que des glas tintés par des cloches de douleur et de misère; ces voix-là sont aussi sûres révélatrices des maux soufferts, des grandes passions vécues et mortes que les rides précoces sur les fronts ou que la buée de larmes lentement amassée sur de pauvres yeux sans lumière; il en est qui sont àpres, sèches, celles des ambitieux; beaucoup d'autres sont froides, monotones, incapables de passion, aucune âme ne parle en elles; ce sont les voix des faibles, des peureux, des timides, des oppressés : chacune de ces voix isolées n'a aucune chaleur, aucun timbre; mais groupées, réunies en faisceau dans le choeur innombrable des foules, elles renforcent les hurlements de la haine, la clameur des prières désespérées, elles éclatent comme des tonnerres...

Oui, en vérité, la voix humaine est un magnifique organe; il s'adapte merveilleusement à sa difficile fonction, car il a pour fonction de traduire la gamme toujours nouvelle, toujours imprévue, toujours croissante des mouvements de l'âme, de cette âme moderne dont les principales, dont les plus grossières sensations peuvent s'exprimer en des mots, mais qui a besoin des fugitives, des impondérables nuances de la voix pour traduire l'inexprimé que les mots laissent en elle.

Chacun de nous a une voix, elle est plus ou moins souple, plus ou moins sonore, plus ou moins complète. Un grand avantage pour un diseur est d'avoir naturellement, sans étude, une voix sonore, souple et complète. Quelquefois cependant, c'est une cause d'échec et d'avortement. Le diseur et l'acteur qui ont dû leurs premiers succès à la pureté et à la richesse de leur organe, souvent n'en ont pas cherché d'autres et sont restés sur le seuil même de l'art, sans rêver d'en franchir la porte. Souvent, au contraire, des gens que la nature a mal dotés, qui ne possèdent qu'une voix médiocre et voilée, compensent de telle sorte par l'étude ces désavantages qu'ils surpassent rapidement leurs rivaux plus heureux au début.

L'exemple le plus célèbre de l'étude victorieuse d'un physique ingrat et des difficultés accumulées pour empècher la réussite est sans doute Monvel, à qui Talma dut beaucoup et aux talents duquel il rendit publiquement justice.

Lisez cette lettre de Grimm sur Monvel, écrite en octobre 1772.

<< Monvel n'est pas un acteur sans talent; il a de l'intelligence, de la chaleur; mais, malheureusement, la nature lui a d'ailleurs tout refusé. Il est petit, mesquin, grêle; il a la voix fèlée; il est d'une maigreur à faire pitié ; c'est un amant à qui on a toujours envie de faire donner à manger. Voilà l'espèce de gens qu'il faudrait absolument écarter de la profession du théâtre; plus ils montrent de talent, moins ils doivent être admis. Une belle voix, un physique agréable et noble sont des conditions si essentielles qu'elles remplacent le talent et que le talent ne les remplacera jamais. >>

Le jugement de Grimm sur l'opportunité d'un beau physique a par son absolutisme le mérite de nous renseigner sur les exigences ridiculement exagérées du public lettré de ce temps. Il est intéressant de rapprocher de cette lettre un jugement de Geoffroy, l'impitoyable critique dont la sévérité poussa à bout l'illustre Talma.

Voici ce que Geoffroy1 écrit dans un de ses feuilletons, sur Monvel:

<«< Comme acteur, Monvel laissera un long souvenir aux amateurs. Il avait une manière à lui, et cette manière était simple et naturelle. Il a possédé au plus haut degré la qualité, peut-être la plus rare dans un acteur, la véritable sensibilité, la véritable chaleur de l'ame; c'est dans son àme qu'il puisait ses effets et la magie de son débit; il n'avait point d'autre prestige qu'un sentiment vif et juste, qui prêtait à tout ce qu'il disait un charme particulier, qui gravait ses paroles dans l'esprit et dans le cœur de ceux qui l'écoutaient.

« Sans cris, sans effort, sans aucune espèce de charlatanisme, il avait le secret d'attacher et d'intéresser; la nature, qui avait si bien soigné son âme, avait négligé son extérieur. Il avait peu d'avantages du côté de la taille et de la figure, mais seulement des yeux très expressifs. Son organe était fort net, mais un peu faible, et nous l'avons vu, dans les dernières années qui ont précédé sa retraite, faire encore sensation dans de grands rôles presque sans le secours de la parole. »

Ce que ne dit pas Geoffroy, c'est que le malheureux

1. Geoffroy (Julien-Louis), critique littéraire, né à Rennes en 1743, mort à Paris en 1814. Grand ennemi des Encyclopédistes en général et de Voltaire, « sa bête noire ».

Monvel, vers le milieu de sa carrière, perdit la plupart de ses dents de devant, qu'il n'eut jamais de råtelier et que, privé de l'aide qu'apportent les dents à l'articulation, il sut cependant remédier de telle sorte à cette lacune que sa prononciation n'en souffrit jamais.

Imaginez encore que Monvel, malingre, édenté, malgré sa voix sourde et son être ratatiné, osa aborder le terrible rôle d'Auguste dans Cinna, que cet homme petit, mesquin et grêle, pour parler comme Grimm, y montra tant de grandeur, de dignité et de naturel que Talma, chargé de lui donner la réplique dans le rôle de Cinna, stupéfait de tant de science unie à tant de vérité, à la fin de la fameuse tirade: «Soyons amis, Cinna », oublia sa réplique et s'en excusa auprès du public en lui expliquant les motifs de son silence et de sa stupéfaction.

Ainsi, avec de l'étude, de la persévérance et une certaine sensibilité, on peut arriver à vaincre de grands obstacles; avec de grandes qualités naturelles, on peut ou demeurer stationnaire ou faire fausse route.

Du reste, les gens qui ont reçu de la nature cet organe complet dont nous parlions plus haut sont généralement assez rares. Presque tous nous arrivons à l'âge adulte avec une voix légèrement ou gravement compromise par le mauvais usage que nous en avons fait. Le premier soin d'un diseur sera de connaître tous les défauts et toutes les ressources de sa voix, pour combattre les uns et accroître les autres.

L'étendue de la voix est généralement divisée par les spécialistes en trois registres : registre grave, registre médium, registre aigu. De ces trois, le plus précieux est le médium, parce qu'il est d'un usage journalier, indis

pensable et facile : c'est celui qu'il faut d'abord conquérir. Si vous parlez constamment dans le registre aigu, vous vous fatiguez vous-même, ce qui est grave; mais ce qui est plus grave, vous fatiguez ceux qui vous écoutent, car votre voix criarde, perçante par nature, devient forcément rauque par moments, dès que vous voulez lui imposer une intensité plus haute encore. Si vous possédez une voix pareille, n'hésitez pas, commencez par la faire descendre au moyen d'exercices répétés de la tête dans la poitrine. Habituez-vous à parler sur une note musicale peu élevée : le premier degré de la gamme d'ut en clef de fa pour un adulte homme, le premier degré de la gamme d'ut en clef de sol pour une adulte femme. Et n'objectez pas que vous êtes ténor ou soprano. La voix parlée n'est plus du tout la voix chantée. Tel artiste bien connu de l'Opéra a, quand il parle, une voix fluette, flûtée; quand il chante, il fait entendre une voix d'un grave étendu, puissant et sonore.

Probablement cet artiste, lorsqu'il s'exprime dans un petit cercle de conversation, trouve dans son registre élevé les quelques notes d'ampleur très faible dont il a besoin; quand il chante, c'est dans son médium et dans son grave qu'il doit chercher la force et la sonorité nécessaires pour se faire entendre d'un public nombreux. Du reste, nous avons pu constater par de nombreux exemples que la voix parlée et la voix chantée sont en antagonisme et que l'une s'accroît toujours aux dépens de l'autre. Même avec de très jolis timbres, les diseurs n'arrivent qu'à chanter médiocrement. Ils ont du goût, du style, mais presque point de sonorité. Mme Marie Laurent, avait, avant de jouer le drame, une voix de

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