Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

« Un roi de France, leur répondit-il, ne venge point les injures d'un duc d'Orléans.» D'où vient que ce mot frappe d'abord? N'est-il pas aisé de voir que c'est parcequ'il présente aux yeux une vérité que tout le monde sent, et qu'il dit, mieux que tous les plus beaux discours de morale, « qu'un grand prince, lorsqu'il « est une fois sur le trône, ne doit plus agir par « des mouvements particuliers, ni avoir d'autre << vue que la gloire et le bien général de son « état?

Veut-on voir, au contraire, combien une pensée fausse est froide et puérile? Je ne saurois rapporter un exemple qui le fasse mieux sentir

pris des plus célébres auteurs de l'antiquité, dont ils se font l'application tout seuls. En un mot, il les supplie de faire réflexion que, si leurs ouvrages sont mauvais, ils méritent d'être censurés; et que, s'ils sont bons, tout ce qu'on dira contre eux ne les fera pas trouver mauvais (a). Au reste, comme la malignité de ses ennemis s'efforce depuis peu de donner un sens coupable à ses pensées même les plus innocentes, il prie les honnêtes gens de ne se pas laisser surprendre aux subtilités raffinées de ces petits esprits qui ne savent se venger que par des voies lâches, et qui lui veulent souvent faire un crime affreux d'une élégance poétique.

(a) Ici finit la préface de l'édition de 1666. Ce qui suit fut ajouté dans celle de 1668.

[ocr errors]

que deux vers du poëte Théophile, dans sa tragédie intitulée Pyrame et Thisbé, lorsque cette malheureuse amante, ayant ramassé le poignard encore tout sanglant dont Pyrame s'étoit tué, elle querelle ainsi ce poignard:

Ah! voici le poignard qui du sang de son maître
S'est souillé lâchement. Il en rougit, le traître!

Toutes les glaces du nord ensemble ne sont pas, à mon sens, plus froides que cette pensée. Quelle extravagance, bon Dieu! de vouloir que la rougeur du sang dont est teint le poignard d'un homme qui vient de s'en tuer lui-même soit un effet de la honte qu'a ce poignard de

J'ai charge encore d'avertir ceux qui voudront faire des satires contre les satires de ne se point cacher. Je leur réponds que l'auteur ne les citera point devant d'autre tribunal que celui des muses; parceque, si ce sont des injures grossières, les beurrières lui en feront raison; et, si c'est une raillerie délicate, il n'est pas assez ignorant dans les lois pour ne pas savoir qu'il doit porter la peine du talion. Qu'ils écrivent donc librement:comme ils contribueront, sans doute, à rendre l'auteur plus illustre, ils feront le profit du libraire; et cela me regarde. Quelque intérêt pourtant que j'y trouve, je leur conseille d'attendre quelque temps, et de laisser mûrir leur mauvaise humeur. On ne fait rien qui vaille dans la colère. Vous avez beau vomir des injures sales et odieuses,

l'avoir tué! Voici encore une pensée qui n'est pas moins fausse, ni par conséquent moins froide. Elle est de Benserade, dans ses Métamorphoses en rondeaux, où, parlant du déluge envoyé par les dieux pour châtier l'insolence de l'homme, il s'exprime ainsi :

Dieu lava bien la tête à son image.

Peut-on, à propos d'une aussi grande chose que le déluge, dire rien de plus petit ni de plus ridicule que ce quolibet, dont la pensée est d'autant plus fausse en toutes manières, que le dieu dont il s'agit en cet endroit c'est Jupiter, qui n'a jamais passé chez les païens pour avoir fait

cela marque la bassesse de votre ame, sans rabaisser la gloire de celui que vous attaquez; et le lecteur qui est de sang froid n'épouse point les sottes passions d'un rimeur emporté. Il y auroit aussi plusieurs choses à dire touchant le reproche qu'on fait à l'auteur, d'avoir pris ses pensées dans Juvénal et dans Horace: mais, tout bien considéré, il trouve l'objection si honorable pour lui, qu'il croiroit se faire tort d'y répondre.

II. PRÉFACE pour l'édition de 1674, in-4°.

AU LECTEUR.

J'avois médité une assez longue préface, où, suivant

l'homme à son image, l'homme, dans la fable, étant, comme tout le monde sait, l'ouvrage de Prométhée?

Puisqu'une pensée n'est belle qu'en ce qu'elle est vraie, et que l'effet infaillible du vrai, quand il est bien énoncé, c'est de frapper les hommes, il s'ensuit que ce qui ne frappe point les hommes n'est ni beau ni vrai, ou qu'il est mal énoncé, et que par conséquent un ouvrage qui n'est point goûté du public est un très méchant ouvrage. Le gros des hommes peut bien, durant quelque temps, prendre le faux pour le vrai, et admirer de méchantes choses: mais il n'est pas possible qu'à la longue une bonne chose ne

la coutume reçue parmi les écrivains de ce temps, j'espérois rendre un compte fort exact de mes ouvrages et justifier les libertés que j'y ai prises; mais, depuis, j'ai fait réflexion que ces sortes d'avant-propos ne servoient ordinairement qu'à mettre en jour la vanité de l'auteur, et, au lieu d'excuser ses fautes, fournissoient souvent de nouvelles armes contre lui. D'ailleurs je ne crois point mes ouvrages assez bons pour mériter des éloges, ni assez criminels pour avoir besoin d'apologie. Je ne me louerai donc ici, ni ne me justifierai de rien. Le lecteur saura seulement que je lui donne une édition de mes satires plus correcte que les précédentes, deux épîtres nouvelles (a), l'Art poétique en vers, et quatre

(a) Les épîtres II et III.

lui plaise; et je défie tous les auteurs les plus mécontents du public de me citer un bon livre que le public ait jamais rebuté, à moins qu'ils ne mettent en ce rang leurs écrits, de la bonté desquels eux seuls sont persuadés. J'avoue néanmoins, et on ne le sauroit nier, que, quelquefois, lorsque d'excellents ouvrages viennent à paroître, la cabale et l'envie trouvent moyen de les rabaisser, et d'en rendre en apparence le succès douteux: mais cela ne dure guère; et il en arrive de ces ouvrages comme d'un morceau de bois qu'on enfonce dans l'eau avec la main: il demeure au fond tant qu'on l'y retient; mais bientôt, la main venant à se lasser, il se

chants du Lutrin (a). J'y ai ajouté aussi la traduction du traité que le rhéteur Longin a composé du sublime ou du merveilleux dans le discours. J'ai fait originairement cette traduction pour m'instruire, plutôt que dans le dessein de la donner au public; mais j'ai cru qu'on ne seroit pas fâché de la voir ici à la suite de la Poétique, avec laquelle ce traité a quelque rapport, et où j'ai même inséré plusieurs préceptes qui en sont tirés. J'avois dessein d'y joindre aussi quelques dialogues en prose que j'ai composés; mais des considérations particulières m'en ont empêché. J'espère en donner quelque jour un volume à part. Voilà tout ce que j'ai à dire

(a) Les deux derniers chants de ce poëme n'ont pas été imprimés avant 1683.

« PreviousContinue »