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Il doit régner par-tout, et même dans la fable:
De toute fiction l'adroite fausseté

Ne tend qu'à faire aux yeux briller la vérité.

Sais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces, Sont recherchés du peuple, et reçus chez les princes? Ce n'est pas que leurs sons, agréables, nombreux, Soient toujours à l'oreille également heureux; Qu'en plus d'un lieu le sens n'y gêne la mesure, Et qu'un mot quelquefois n'y brave la césure: Mais c'est qu'en eux le vrai, du mensonge vainqueur, Par-tout se montre aux yeux, et va saisir le cœur; Que le bien et le mal y sont prisés au juste;

Que jamais un faquin n'y tint un rang auguste;

Et

que mon cœur, toujours conduisant mon esprit, Ne dit rien aux lecteurs qu'à soi-même il n'ait dit. Ma pensée au grand jour par-tout s'offre et s'expose; Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose. C'est par là quelquefois que ma rime surprend : C'est là ce que n'ont point Jonas ni Childebrand, Ni tous ces vains amas de frivoles sornettes, Montre, Miroir d'amours, Amitiés, Amourettes, Dont le titre souvent est l'unique soutien, Et qui, parlant beaucoup, ne disent jamais rien. Mais peut-être, enivré des vapeurs de ma muse, Moi-même en ma faveur, Seignelay, je m'abuse. Cessons de nous flatter. Il n'est esprit si droit Qui ne soit imposteur et faux par quelque endroit : Sans cesse on prend le masque, et, quittant la nature,

On craint de se montrer sous sa propre figure. ́.

Par là le plus sincère assez souvent déplaît.
Rarement un esprit ose être ce qu'il est.

Vois-tu cet importun que tout le monde évite;

Cet homme à toujours fuir, qui jamais ne vous quitte?

Il n'est pas sans esprit : mais, né triste et pesant,
Il veut être folâtre, évaporé, plaisant;

Il s'est fait de sa joie une loi nécessaire,

Et ne déplaît enfin que pour vouloir trop plaire.
La simplicité plaît sans étude et sans art.

Tout charme en un enfant dont la langue sans fard,
À peine du filet encor débarrassée,

Sait d'un air innocent bégayer sa pensée.

Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant:
Mais la nature est vraie, et d'abord on la sent;
C'est elle seule en tout qu'on admire et qu'on aime.
Un esprit né chagrin plaît par son chagrin même.*
Chacun pris dans son air est agréable en soi :

Ce n'est que l'air d'autrui qui peut déplaire en moi.
Ce marquis étoit né doux, commode, agréable:
On vantoit en tous lieux son ignorance aimable.
Mais, depuis quelques mois devenu grand docteur,
Il a pris un faux air, une sotte hauteur:

Il ne veut plus parler que de rime et de prose;
Des auteurs décriés il prend en main la cause;
Il rit du mauvais goût de tant d'hommes divers,
Et va voir l'opéra seulement pour les vers.
Voulant se redresser, soi-même on s'estropie,

Et d'un original on fait une copie.

L'ignorance vaut mieux qu'un savoir affecté.

Rien n'est beau, je reviens, que par la vérité :
C'est par elle qu'on plaît, et qu'on peut long-temps plaire.
L'esprit lasse aisément, si le cœur n'est sincère.

En vain par sa grimace un bouffon odieux

À table nous fait rire, et divertit nos yeux :
Ses bons mots ont besoin de farine et de plâtre.
Prenez-le tête à tête, ôtez-lui son théâtre;

Ce n'est plus qu'un cœur bas, un coquin ténébreux :
Son visage essuyé n'a plus rien que d'affreux.
J'aime un esprit aisé qui se montre, qui s'ouvre,
Et qui plaît d'autant plus, que plus il se découvre.
Mais la seule vertu peut souffrir la clarté :
Le vice, toujours sombre, aime l'obscurité;
Pour paroître au grand jour il faut qu'il se déguise:
C'est lui qui de nos mœurs a banni la franchise.
Jadis l'homme vivoit au travail occupé,
Et, ne trompant jamais, n'étoit jamais trompé :
On ne connoissoit point la ruse et l'imposture;
Le Normand même alors ignoroit le parjure:
Aucun rhéteur encore, arrangeant le discours,
N'avoit d'un art menteur enseigné les détours.
Mais sitôt qu'aux humains, faciles à séduire,
L'abondance eut donné le loisir de se nuire,
La mollesse amena la fausse vanité.

Chacun chercha pour plaire un visage emprunté :
. Pour éblouir les yeux, la fortune arrogante

Affecta d'étaler une pompe insolente;
L'or éclata par-tout sur les riches habits;
On polit l'émeraude, on tailla le rubis;
Et la laine et la soie, en cent façons nouvelles,
Apprirent à quitter leurs couleurs naturelles :
La trop courte beauté monta sur des patins :
La coquette tendit ses lacs tous les matins;
Et, mettant la céruse et le plâtre en usage,
Composa de sa main les fleurs de son visage:
L'ardeur de s'enrichir chassa la bonne-foi:
Le courtisan n'eut plus de sentiments à soi.
Tout ne fut plus que fard, qu'erreur, que tromperie:
On vit par-tout régner la basse flatterie.

Le Parnasse sur-tout, fécond en imposteurs,
Diffama le papier par ses propos menteurs.
De là vint cet amas d'ouvrages mercenaires,
Stances, odes, sonnets, épîtres liminaires,
Où toujours le héros passe pour sans pareil,
Et, fût-il louche et borgne, est réputé soleil.

Ne crois pas toutefois, sur ce discours bizarre,
Que, d'un frivole encens malignement avare,
J'en veuille sans raison frustrer tout l'univers.
La louange agréable est l'ame des beaux vers:
Mais je tiens, comme toi, qu'il faut qu'elle soit vraie,
Et que son tour adroit n'ait rien qui nous effraie.
Alors, comme j'ai dit, tu la sais écouter,

Et sans crainte à tes yeux on pourroit t'exalter.
Mais, sans t'aller chercher des vertus dans les nues,

Il faudroit peindre en toi des vérités connues:
Décrire ton esprit ami de la raison;

Ton ardeur pour ton roi puisée en ta maison;
À servir ses desseins ta vigilance heureuse;
Ta' probité sincère, utile, officieuse.

Tel, qui hait à se voir peint en de faux portraits,
Sans chagrin voit tracer ses véritables traits.
Condé même ('), Condé, ce héros formidable,
Et, non moins qu'aux Flamands, aux flatteurs redoutable,
Ne s'offenseroit pas si quelque adroit pinceau
Traçoit de ses exploits le fidéle tableau;
Et, dans Senef (2) en feu contemplant sa peinture,
Ne désavoueroit pas Malherbe ni Voiture.
Mais malheur au poëte insipide, odieux,
Qui viendroit le glacer d'un éloge ennuyeux!
Il auroit beau crier : « Premier prince du monde!
« Courage sans pareil! lumière sans seconde (3)! »
Ses vers, jetés d'abord sans tourner le feuillet,
Iroient dans l'antichambre amuser Pacolet (4).

(1) Louis de Bourbon, prince de Condé, mort en 1686.
(2) Combat fameux de monseigneur le prince.
(3) Commencement du poëme de Charlemagne.
(4) Fameux valet de pied de monseigneur le prince.

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