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Par son caractère doux et social il s'était fait de nombreux amis. Il allait souvent composer dans des asiles champêtres que plusieurs d'entre eux possèdent près de Paris. Combien de jours heureux ne passa-t-il pas, en travaillant loin du bruit et des importuns, dans une Villa située sur le penchant de la montagne du Calvaire (1), et dans un jardin délicieux de Neuilly (2), et sous un bosquet mystérieux de Sèvres (1). Que de regrets sa perte aura causés à tous les hôtes de ces lieux romantiques!

Et moi aussi je lui avais préparé une modeste retraite. J'y plantais l'acacia, le sorbier, le platane. Notre projet le plus doux était d'y venir, dès ce printems, méditer et composer ensemble... Mes jeunes bosquets fleuriront, et mon ami ne les verra point!... Eh bien! là je placerai, ô malheureux jeune homme, un monument à ta mémoire. Une pierre portera ton nom, le sombre cyprès ne la couvrira point de son ombre; mais je l'environnerai de quelques arbustes à fleurs douces et tendres, emblêmes de ton talent et de ton ame.

POÉSI E.

ÉPITRE A UN A M I.

Écrite de Meaux dans le mois de Fructidor.

Sur le bord de la Marne, au penchant d'un coteau,
Assis sous des tilleuls arrondis en berceau,

Du bout de mon crayon, sans table ni pupitre,

Ton ami nonchalant te griffonne une épître.

Ne me demande point quel en sera l'objet,

Je l'ignore, j'écris sans avoir de projet :

Ma muse dans sa marche aura l'indépendance
D'un oiseau qui ne sait, quand du nid il s'élance,

(1) Chez le C. d'Epinay, son ami.

(2) Chez Madame Hainguerlot, qui cultive et honore les Arts.

(3) Dans la maison Erard où l'on avait pour lui le plus tendre attachement.

Les endroits, l'horison qu'il pourra pārcourir,
Ni l'instant ni le terme où sen vol doit finir.

Ainsi m'affranchissant du cercle méthodique,
Où marche, à pas comptés, la muse didactique,
Je vais, pour commencer, des lieux d'où je t'écris
En vers mal ébauchés te donner un croquis.

Devant moi, comme un cirque, est une vaste plaine
Qu'environne d'un bois la verdure lointaine;
Et des dons de Cérès ce domaine enrichi
Par la Marne qu'il borde cst toujours rafraîchi.

Ce théâtre, plus beau que tous ceux de Lutèce, Rassemble des acteurs dont le jeu m'intéresse; Et ma muse voudrait dans ces vers faits pour toi, Les groupper sous tes yeux comme ils sont devant moi. Contre un arbre appuyé, tandis que je m'escrime A mesurer des mots escortés d'une rime, Un maudit batelier, comme s'il m'entendait, Me régale, en passant du bruit de son sifflet.

Promené dans un champ, le fauchet entortillo Le reste des épis coupés par la faucille; L'agneau paît, le bœuf dort. Ici l'actif chasseur, Au bruit du plomb sifflaut, réveille le pêcheur, Qui, dirigeant un dard caché sous la pâture, Dans l'eau, pour son souper, cherche un plat de friture; Plus loin un jeune pâtre en un clos descendu Y mange, Adam nouveau, plus d'un fruit défendu. J'entends l'hymne de guerre et la chanson naïve : La Marne cependant voit sur sa double rive Des hommes fléchissant sous le poids des fardeaux, Déposer les trésors apportés par ses eaux. De dix moulins tournans le cri frappe l'oreille; Le meunier sur un sac s'étend, bâille, sommeille, Attendant que la cloche annonce par son bruit, Que le grain par la meule en farine est réduit, Et qu'ayant épuisé, digéré sa pâture,

Le moulin affamé veut de la nourriture.

Mais quel joyeux tumulte a frappé les échos?
Que vois-je ? C'est Bacchus promené sur les flots!
Des côteaux de Champagne aux rives de la Seine,
Il porte le nectar, trésor de son domaine.

Il a laissé son char et ses tigres fougueux :
Plus modeste aujourd'hui, mais tout aussi joyeux,

Il a, pour voyager, le flottant équipage,

Où l'oiseau de Gresset fit son pélérinage;

Dans un coche en un mot, le Dieu de la gaité,

Sur des tonneaux assis, de buveurs escorté

Vogue, et sa main prodigue épanchant son breuvage En humecte les lieux semés sur son passage.

Ce spectacle m'anime, il donne à mes esprits
Une sérénité qui me fuit à Paris,

Cité tumultueuse où le Français frivole
Associe à Momus le Dieu du Capitole,

Célèbre les plaisirs et chante les combats,

Où l'on veille, où l'on dort au milieu du fracas,
Ou règnent confondus les arts et l'ignorance,
Le vice et la vertu, le luxe et l'indigence.
Là tout est fugitif, tout glisse sur le cœur ;
L'amour et l'amitié, la joie et le bonheur,

N'y sont que des éclairs; mais de cette inconstance
J'ai su de mes destins éloigner l'influence;

Et j'offre, jeune encor, dans ma chaste maison,
Auprès de ma Baucis les mœurs de Philémon,

Ensemble nous errons, sur les monts, daus la plaine,
Ensemble sous mon toit nous reprenons haleine.
Là nous ne voyons plus ces vergers, ces côteaux,
Que la Marne, en fuyant, réfléchit dans ses eaux,
Ce n'est plus la campagne, et sa scène fleurie,
C'est dans ses ateliers la féconde industrie.
Ses enfans à l'envi poursuivant leurs travaux,
Font d'un bruit discordant résonner les échos.

Dans un antre noirci du charbon qui l'enfume,
Le marteau pour Cérès retentit sur l'enclume;
Sous les coups du maillet qui frappe et qui bondit,
Le cuivre pour Momus en vase s'arrondit ;
La lime grince et mord, j'entends crier la scie
Le grès siffle en tournant sous la lame amincie,
Tandis qu'allant venant le bras du menuisier
Sous un rabot glissant polit un bois grossier.

Mon fils aussi, mon fils parcourra, je l'espère,
Ces champs où folâtrait l'enfance de son père.
Quand de ses jeunes pieds les trop frèles ressorts,
Par le tems affermis, soutiendront mieux son corps,
Quand il pourra sauter, courir, suivre ma trace,
Aux murs qui m'ont vu naître, et que la Marne embrasse
Je conduirai les pas de cet enfant chéri,

Les bras qui m'ont porté, le porteront aussi.
Mon cœur tressaillera, quand je verrai ma mère
Incliner sur son front un front sexagénaire :
Souris alors, mon fils, que tes yeux innocens
Reposent sur les sicus des regards caressans!
De la maternité rends-lui les premiers charmes :
Long-tems de la douleur elle a connu les larmes;
Et si de pleurs encor son œil doit se mouiller,
Que ce soit le plaisir qui les fasse couler!

O fortune! qu'épris de tes faveurs traîtresses,
L'ambitieux t'encense et brigue tes caresses!
Je suis époux et père, et dédaigne tes biens;
Le sourire d'un fils vaut mieux que tous les tiens.

Je plains le triste humain qui vit célibataire, C'est un arbre infécond qui surcharge la terre: Je préfère celui qui, de ses fruits orné, De rejettons nombreux s'élève environué, Et voit se déployer, sous l'ombre qu'il étale, De leurs jeunes rameaux la tige filiale.

Les voilà ces côteaux de vignes décorés, Ces vergers à Bacchus, à l'amour consacrés. La pêche se colore, et la prune sucrée Marie aux rameaux verds sa couleur azurée ; De la noix verte encor la prison s'élargit, Du raisin mûrissant le globe se rougit; Tout annonce l'instant où, mère bienfaisante, La terre, prodiguant les trésors qu'elle enfante, Aux mains de ces mortels, à la culture instruits, Va de son sein fécond livrer les derniers fruits.

M'éloignant à regret de ce beau paysage, D'un bosquet que j'aimai je vais revoir l'ombrage, L'ombrage où mes soupirs timides et confus S'exhalaient autrefois de moi seul entendus, Où d'un bien inconnu poursuivant le chimère, Je rendais au beau sexe un culte imaginaire : Ce bois était un temple où mes sens inquiets D'une idole ignorée adoraient les attraits.

Des premiers sentimens de mon adolescence, J'aime à me rappeler la douce effervescence. Sur le fleuve d'Amour mon esprit emporté, Contre un perfide écueil s'est quelquefois heurté;

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Premier objet de ma vive tendresse,
Que je voudrais à présent te hair!
Je hais du moins ce moment de faiblesse,
Qui dans tes bras m'ennivra de plaisir.

Je hais l'instant où tu me dis: je t'aime,
Je hais celui qui te fit mon vainqueur,
Je hais sur-tout, ingrat, l'amour extrême
Qui règue encor dans le fond de mon cœur.
Je hais ton air, ton esprit et tes charmes,
Je hais ton nom, ô! perfide Lindor.............
Mais, je le sens, et j'en répands des larmes,
J'aimerais tout si tu m'aimais encor.

Par Madame DURAME; ci-devant veuve
Colonna Ornano.

SPECTACLE S.

Théâtre Français de la République.

Pinto, comédie historique en cinq actes et en prose.

C'est assurément quelque chose pour un auteur que de causer un schisme d'opinion sur son ouvrage, et de pouvoir compter parmi ses défenseurs des hommes dont le suffrage fait autorité: à cet égard Pinto sort de la ligne des productions ordinaires.

Lui contester la bizarrerie, ce serait en mériter soi

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