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VOYAGE HISTORIQUE, littéraire et pittoresque dans les iles et possessions ci-devant Vénitiennes du Levant, savoir: Corfou, Paxo, Bucintro, Parga, Prevesa, Vonizza, Sainte-Maure, Thiaqui, Céphalonie, Zante Strophades, Cérigo et Cérigotte ; contenant la description de chacune de ces iles et possessions, l'histoire et les monumens anciens, le gouvernement, les forces navales et terrestres que les Vénitiens y entretenaient, la' reli— gion, les mœurs, les usages, les productions locales, l'industrie, la navigation, le commerce; le commerce; un aperçu sur celui des états maritimes de Venise et de l'Albanie relativement aux intérêts de la France; accompagné d'un Atlas de trente planches, composé de la carte générale, des mouillages, des vues, des costumes et monumens anciens, et des médailles et inscriptions grecques et romaines. Par A. GRASSET-SAINT-SAUVEUR (1) jeune, ancien Consul de France, résidant à Corfou, Zante, Sainte-Maure, etc., depuis 1781 jusqu'en l'an VI de la République française, actuellement Commissaire des Relations commerciales à Majorque. Trois vol. in-8°. et atlas in-4°. Prix, 21, fr. et 26 fr. par la poste. Le même ouvrage sur papier vélin tiré seulement à 60 exemplaires, 36 fr. et 41 fr. par la poste. Paris, Tavernier, libraire, rue du Bacq, n°. 937.

Il me semble que ce que tout lecteur doit désirer de trouver dans un Voyage, est la narration simple, ingénue, des observations, des réflexions que le voyageur a faites en parcourant un pays. Que si l'on veut au contraire faire

(1) L. C. Grasset-Saint-Sauveur, auteur de cet ouvrage, n'est pas le même que celui d'un ouvrage ayant pour titre Encyclopédie des Voyages.

connaître dans un livre un pays dans toutes ses parties son histoire, ses révolutions physiques et morales, ses produits, ses institutions, son commerce, je crois qu'il faudrait donner à un tel livre un autre nom que celui de

voyage.

C'est dans cette dernière classe que peut se ranger l'ouvrage qui fait le sujet de cet article: car il n'apprend ni d'où vient l'auteur, ni où il va, ni quels sont les lieux qu'il a parcourus. Les deux premiers chapitres renferment la description de l'ile de Corfou; les soixante-neuf suivans contiennent l'histoire de cette île, depuis les tems fabuleux de la Grèce jusqu'à nos jours. Le lecteur se deman→ dera peut-être comment il est possible d'écrire 69 chapitres sur l'histoire d'nne île collée aux côtes d'Albanie, et qui n'a jamais joué qu'un rôle fort secondaire dans les annales du monde; son étonnement cessera lorsqu'il saura que cette histoire de Corfou est celle de tous les pays desquels cette íle a successivement dépendu; or, comme elle a appartenu aux Grecs, aux Romains, aux Empereurs d'Orient et à plusieurs puissances modernes, il en résulte que l'histoire de Corfou, selon notre auteur, est à peu de chose près, l'histoire universelle. C'est ainsi qu'on y raconte et les fameuses guerres de Xerxès contre les Grecs, et la bataille de Pharsale, et l'invasion de l'Empire romain par les barbares, et toute l'histoire du bas empire, et toutes les guerres des Turcs contre les Chrétiens, etc., etc. toutes choses fort bonnes à connaître en elles-mêmes, mais qu'on va chercher ailleurs que dans un voyage aux îles du Levant.

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Et lorsqu'à la suite de tout cet étalage historique l'auteur vous dit ingénuement (tom. II, pag. 2) que « c'est » pour ainsi dire, depuis le dernier siége de Corfou par » les Ottomans, que commence l'histoire de ces insulaires.» On est tenté de lui demander pourquoi si l'histoire de Corfou commence depuis le dernier siége des Turcs, il s'est donné la peine d'écrire presque un volume, pour nous apprendre ce qui s'est passé dans le monde avant cette époque.

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Enfin, au second volume on arrive à ce qu'on souhaite véritablement de connaître. L'auteur parle de la religion, des usages, des mœurs, du caractère de ces insulaires, de la culture et de la production des terres, de l'industrie, de la navigation, du commerce, de la société, des plaisirs, etc. Encore aurais - je désiré que relativement à tous ces objets, l'auteur eût distingué ce qui était le fruit de ses propres observations, de ce qu'il avait puisé dans les livres, afin de régler le degré de confiance que méritent les différentes informations qu'il offre à son lecteur. Il aurait été, par exemple, à propos que notre voyageur affirmât qu'il avait vu pratiquer les cérémonies du mariage des Corfiotes (1), telles qu'il les dépeint, pour que le lecteur ajoutât une foi entière à tous leurs moindres détails.

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« Suivant un usage sacré, dit-il, la mariée pleurait dans » le moment qui changeait son état : était-ce pour témoigner sa douleur d'être séparée de celle qui lui avait » donné le jour, ou ces larmes étaient-elles l'expression » de la joie qu'inspire l'hymenée ? J'aime à croire ces >> deux sentimens réunis. La mère et les parentes répon>> daient aux larmes de l'épousée par des pleurs..., etc.»> Ces larmes et ces pleurs que l'épousée et ses parentes répandaient à l'époque du mariage, avant que les Français eussent fait la conquête de Corfou, sont assurément des choses fort touchantes, mais elles ne peuvent guères entrer dans la description des cérémonies d'un peuple. L'auteur poursuit.

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« La mariée arrivée enfin à sa nouvelle habitation, » était introduite par son époux, à la tête de toute sa » famille. Là se renouvelaient les pleurs, (encore les pleurs ) les complimens, les exhortations. Après avoir

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(1) Pourquoi emploie -t-on des noms de nation tels que les Corfiotes, les Céphaloniotes, les Paxinotes, les Cérigotes, pour exprimer les habitans de Corfou ou Corcyre, de Céphalonie, lorsqu'on pourrait se servir des expressions moins barbares de Céphalo¬ niens, de Corcyréens, etc,?

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pris les rafraîchissemens d'usage, on passait dans la » chambre où était préparé, avec tout le soin possible, » le lit nuptial. Chacun ne manquait pas d'en examiner toutes les pièces en détail ; les uns s'exténuaient eu » bénédictions, d'autres jouant le bel esprit " se per» mettaient les plaisanteries les plus plattes et les plus » grossières. On se retirait enfin, et les époux avaient » assurément besoin de repos. Le mariage consommé, le » marié annonçait son triomphe en tirant un pistolet qu'il » avait placé sous le chevet de son lit; et le tambour célébrait aussi-tôt le bonheur et la gloire de l'époux. Certes le coup de pistolet est aussi plaisant que les larmes sont attendrissantes; mais il offre un motif de plus de désirer que l'auteur nous eût dit positivement si cet usage existait anciennement ou bien de son tems, s'il était d'observation rigoureuse ou bien si ces farces et quelques-autres qu'il décrit, n'avaient été, dans quelques occasions, que le fruit d'une gaieté passagère et sans conséquence.

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Les habitans indigènes de Corfou professent tous la religion grecqne qu'ils ont conservée depuis le tems qu'ils fesaient partie de l'Empire de Constantinople. Mais la religion des agens du Gouvernement et de la garnison était, avant l'invasion des Français, celle de Venise, c'està-dire la religion romaine. En conséquence, l'Archevêque et ses suppôts étaient de riches bénéficiers, avaient de beaux palais, de grandes églises, et peu de chose à faire, et les papas grecs étaient les véritables pasteurs, les pasteurs ayant charge d'ame. Le C. Grasset-St.-Sauveur les peint comme étant pour la plupart d'une ignorance extrême. Les plus instruits savaient au plus lire et écrire leur langue; et ils se soutenaient en fesant commerce de mauvaises images de Saints, qu'ils peignaient euxmêmes, et qu'ils vendaient aux fidelles. Comme l'art ne brillait pas dans ces saintes peintures, lesquelles ne présentaient guères que des chairs noirâtres sur un fond doré, les Prêtres y ajoutaient le mérite de leur bénédiction; c'est ce qui en procurait le débit.

Il faut voir dans l'ouvrage même quelle espèce d'administration la République de Venise avait établie dans ces possessions. Elle était détestable comme toutes celles, de provinces détachées, éloignées, soit qu'elles appartiennent à un Monarque, soit qu'elles fassent partie d'une République.

L'auteur consacre un seul chapitre à l'Agriculture, à l'industrie, au commerce de Corfou: c'est bien peu pour un homme qui a exercé pendant dix-sept ans dans cette fle les fonctions de Commissaire du Commerce. Quelque resserrée qu'elle soit, cette partie de l'ouvrage doit, par cette raison même, inspirer plus de confiance au lecteur; c'est aussi celle à laquelle nous nous attacherons principalement.

Corfou, la principale des îles Vénitiennes qui nous étaient échues par le traité de Campo-Formio, est située à l'entrée du golfe Adriatique, et n'est séparée de la côte d'Epire que par un canal d'environ deux lieues de large; la longueur de l'île est d'environ vingt lieues, sa largeur de dix. Sa population se monte au plus à soixante mille ames, dont un cinquième habite la ville. Autrefois cette ile quoique plus populeuse, suffisait à la subsistance de ses habitans. Aujourd'hui elle est, pour presque tous ses besoins de première nécessité, à la discrétion des peuples d'Albanie, qui l'avoisinent. Le sol n'a point changé de nature. Sa fertilité, la douceur du climat n'ont pu être détruites, mais la terre a perdu les bras qui provoquaient sa fécondité. Des secours, des encouragemens n'ont pas, ou ont trop faiblement secondé l'industrie. Le Gouvernement vénitien donnait la propriété d'un terrain demeuré en friche pendant cinq ans à celui qui dénoncerait cet abandon; cette loi est restée sans nul effet, parce que celui à qui on voulait donner la propriété, n'avait pas plus de moyens de la mettre en valeur, que celui à qui on l'arrachait. Il faut que le propriétaire trouve son compte à cultiver, et alors il n'est pas nécessaire de le lui ordonner.

Corfou ne fournit à ses habitans du grain et du vin que

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