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de là quelque chose de prétentieux, ou, comme d'autres disent, de romantique, surtout dans les préambules où l'auteur parle en son nom, plusieurs fois même dans le dialogue; lorsque Cinq-Mars et Marie de Gonzague s'entretiennent, on s'aperçoit trop que M. de Vigny est en tiers avec eux. (Sainte-Beuve in le Globe, July 8th, 1826. Portraits, Vol. II., p. 537.)

III.

Cinq-Mars, par son intérêt dramatique, par la grandeur ou la grâce des personnages, par ses vives et curieuses couleurs, eut un beau succès, contre lequel les critiques minutieuses ne purent rien. . . . Le public, les femmes surtout, lisaient, étaient émues, pleuraient. "Oh! faites-nous des Cinq-Mars, disait-on de toutes parts à l'auteur, c'est là votre genre." Succès injurieux! enthousiasme des salons! (Sainte-Beuve: Portraits Contemporains, 1835.)

M. de Vigny remarked then: "En faisant CinqMars, je dis à mes amis: 'C'est un ouvrage à public. Celui-là fera lire les autres.' Je ne me trompais pas." (Sainte-Beuve: Portraits Contemporains, Vol. II., p. 79.)

IV.

Le roman de Cinq-Mars, qui parut en 1826, fit plus que tous les poèmes pour la réputation de M. de Vigny : très-lu dans le monde du faubourg Saint-Germain et dans la jeunesse aristocratique, ce roman eut une vogue élégante qui ne fut pourtant pas confirmée par des suffrages plus difficiles. L'école historique des Thierry, des Thiers, des Guizot et de leurs amis, n'y reconnut en rien le véritable esprit du genre. Dois-je le rappeler ici? écrivant dans le Globe à cette date, une censure sévère du roman de M. de Vigny, censure qui affaiblis

sait encore et adoucissait sur quelques points ce que j'entendais dire autour de moi, fut un de mes premiers faits d'armes en critique (see § II. above). Quoique bien novice et inexpérimenté alors en matière d'histoire et en jugement politique, quoique mal édifié sur la vraie grandeur de Richelieu, j'en savais assez déjà pour relever dans cet ingénieux roman la fausseté de la couleur, le travestissement des caractères, les anachronismes de ton perpétuels non, quoi que de complaisants amis pussent dire, non, ce n'était pas là du Walter Scott français; M. de Vigny n'eut jamais, pour réussir à pareil rôle, la première des conditions, le sentiment et la vue de la réalité, j'entends aussi cette seconde vue qui s'applique au passé. Il n'avait que de l'imagination et de la poésie, et aussi, tout en blâmant beaucoup, je louai de grand cœur à ce dernier titre le début du XXIII livre, Absence, dont le mouvement est si heureux et qui ressemble à un motif d'élégie. Hors de là, et à part ces scènes délicates, le roman de Cinq-Mars est tout à fait manqué en tant qu'histoire, et pour tout esprit ami de la vérité il ne saurait se relire aujourd'hui. (Sainte-Beuve in the Revue des Deux-Mondes, April 15th, 1864. Nouveaux Lundis, Vol. VI., p. 413.) M. Buloz remarked on this article: "Vous placez de Vigny trop haut comme poète, et vous ne lui accordez pas assez comme romancier." VICTOR OGER.

University College, Liverpool,

October 1, 1883.

VOL. I.

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PREMIER

LES ADIEUX

Fare thee well, and if for ever,

Still for ever fare thee well.

LORD BYRON.

Adieu! et si c'est pour toujours,

pour toujours encore adieu...

Connaissez-vous cette contrée que l'on a surnommée e jardin de la France, ce pays où l'on respire un air si pur dans les plaines verdoyantes arrosées par un grand fleuve? Si vous avez traversé, dans les mois d'été, la belle Touraine, vous aurez longtemps suivi la Loire paisible avec enchantement, vous aurez regretté de ne pouvoir déterminer, entre les deux rives, celle où vous choisirez votre demeure, pour y oublier les hommes auprès d'un être aimé. Lorsque l'on accompagne le flot jaune et lent du beau fleuve, on ne cesse de perdre ses regards dans 10 les riants détails de la rive droite. Des vallons peuplés de jolies maisons blanches qu'entourent des bosquets, des coteaux jaunis par les vignes ou blanchis par les fleurs du cerisier, de vieux murs couverts de chèvrefeuilles naissants, des jardins de roses d'où sort tout à coup une

tour élanceé, tout rapelle la fécondité de la terre ou l'ancienneté de ses monuments, et tout intéresse dans les œuvres de ses habitants industrieux. Rien ne leur a été inutile: il semble que, dans leur amour d'une aussi belle patrie, seule province de France que n'occupa jamais l'étranger, ils n'aient pas voulu perdre le moindre espace de son terrain, le plus léger grain de son sable. Vous croyez que cette vieille tour démolie n'est habitée que par des oiseaux hideux de la nuit? Non. Au bruit de Io vos chevaux, la tête riante d'une jeune fille sort du lierre poudreux, blanchi sous la poussière de la grande route; si vous gravissez un coteau hérissé de raisins, une petite fumée vous avertit tout à coup qu'une cheminée est à vos pieds; c'est que le rocher même est habité, et que des familles de vignerons respirent dans ses profonds souterrains, abritées dans la nuit par la terre nourricière qu'elles cultivent laborieusement pendant le jour. Les bons Tourangeaux sont simples comme leur vie, doux comme l'air qu'ils respirent, et forts comme le sol puis20 sant qu'ils fertilisent. On ne voit sur leurs traits bruns ni la froide immobilité du Nord, ni la vivacité grimacière du Midi; leur visage a, comme leur caractère, quelque chose de la candeur du vrai peuple de saint Louis; leurs cheveux châtains sont encore longs et arrondis autour des oreilles comme les statues de pierre de nos vieux rois; leur langage est le plus pur français, sans lenteur, sans vitesse, sans accent; le berceau de la langue est là, près du berceau de la monarchie.

Mais la rive gauche de la Loire se montre plus sérieuse 30 dans ses aspects: ici c'est Chambord que l'on aperçoit de loin, et qui, avec ses dômes bleus et ses petites coupoles, ressemble à une grande ville de l'Orient; là c'est Chanteloup, suspendant au millieu de l'air son élégante pagode. Non loin de ces palais un bâtiment plus simple

attire les yeux du voyageur par sa position magnifique et sa masse imposante; c'est le château de Chaumont. Construit sur la colline la plus élevée du rivage de la Loire, il encadre ce large sommet avec ses hautes murailles et ses énormes tours; de longs clochers d'ardoise les élèvent aux yeux, et donnent à l'édifice cet air de couvent, cette forme religieuse de tous nos vieux châteaux, qui imprime un caractère plus grave aux paysages de la plupart de nos provinces. Des arbres noirs et touffus entourent de tous côtés cet ancien manoir, et de loin 10 ressemblent à ces plumes qui environnaient le chapeau du roi Henri; un joli village s'étend au pied du mont, sur le bord de la rivière, et l'on dirait que ses maisons blanches sortent du sable doré; il est lié au château qui le protège par un étroit sentier qui circule dans le rocher; une chapelle est au milieu de la colline; les seigneurs. descendaient et les villageois montaient à son autel: terrain d'égalité, placé comme une ville neutre entre la misère et la grandeur, qui se sont trop souvent fait la guerre.

20

Ce fut là que, dans une matinée du mois de juin 1639, la cloche du château ayant sonné à midi, selon l'usage, le dîner de la famille qui l'habitait, il se passa dans cette antique demeure des choses qui n'étaient pas habituelles. Les nombreux domestiques remarquèrent qu'en disant la prière du matin à toute la maison assemblée, la maréchale d'Effiat avait parlé d'une voix moins assurée et les larmes dans les yeux, qu'elle avait paru vêtue d'un deuil plus austère que de coutume. Les gens de la maison et les Italiens de la duchesse de Mantoue, qui s'était alors 30 retirée momentanément à Chaumont, virent avec surprise des préparatifs de départ se faire tout à coup. vieux domestique du maréchal d'Effiat, mort depuis six mois, avait repris ses bottes, qu'il avait juré précédem

Le

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