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du monde, et honoré des plus intimes confidences.

Son humilité l'empêcha de conserver tant de témoignages de vénération, mais on en peut juger par ces deux billets heureusement survivants et qui émanent, l'un de Fénelon et l'autre de Mme de la Vallière (1). L'archevêque de Cambray consultait Mabillon sur beaucoup de points délicats; il répondit avec une grâce charmante · à une lettre du bénédictin, très-ferme sur le chapitre de la résidence: « Vous ne sauriez, mon Révérend Père, me parler avec trop de liberté et de confiance; je suis charmé de voir dans vos lettres votre amour pour l'Eglise et votre amitié pour moi. Je résiderai neuf mois à Cambray et je donnerai trois mois en divers petits voyages à ma fonction de précepteur. C'est pour obéir au roi et n'user pas de toute la liberté que le concile de Trente me pourrait donner..... Voilà, mon cher Père, un compte que je vous rends avec confiance. Priez pour moi et aimez toujours l'homme du monde qui est, avec le plus de vénération, votre très-humble et très-obéissant serviteur. Quant à la sœur Louise de la Miséricorde, elle envoyait de son cloître à Mabillon un billet qui se terminait de la sorte : « .... Nous vous supplions aussi de nous obtenir de la patience de J.-C., sa divine grâce dont j'ai fait un si mauvais usage jusqu'ici, afin que

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(1) Hist. de Mabillon par Chavin de Malan, p. 286, 288. Cet auteur donne ces lettres comme tirées des manuscrits d'un cabinet particulier qu'il n'indique pas.

marchant avec ferveur dans la pénitence que je suis obligée de faire, je n'aie pas à répondre au dernier jour sur mes crimes passés et sur mon infidélité présente à suivre les lumières qui me condamneront, si je ne commence à les mettre en œuvre. Je suis en N.-S. votre humble fille.

Mabillon eut cette rare bonne fortune de gagner l'estime des grands et de conserver l'affection de ceux qui vivaient dans les rangs dont il était issu. Les papes, les cardinaux, les princes et les évêques recherchaient sa correspondance et s'honoraient de la dédicace de ses œuvres; Louis XIV, le duc de Bourgogne, le duc d'Orléans, la famille des Stuart, Colbert et les autres ministres lui donnaient à l'envi des marques de respect et de considération (1); les Académies sollicitaient ses avis. Au lieu de tirer de ces honneurs la moindre gloire mondaine, on voyait le savant religieux se rapprocher plus volontiers des petits et des humbles. Thierry Ruinart nous a laissé des preuves de sa charité pour eux :

Il n'aimoit pas moins les pauvres que la pauvreté, et il disoit souvent que s'il y avoit quelque raison qui pût luy faire souhaiter d'avoir de l'argent en sa disposition, c'étoit quand il leur falloit faire du bien. Il avoit une tendresse inconcevable pour eux et s'emploioit toujours trèsvolontiers pour leur procurer du soulagement.

(1) Dom Ruinart, p. 197, 226. - En 1706, Clément XI fit remettre à Mabillon une médaille d'argent avec son portrait et une autre médaille d'or, pour le remercier des éditions des Saints-Pères, Dom Tassin, p. 458.

De temps en temps, il demandoit à ses Supérieurs quelque chose en aumône pour ce sujet (1).»

Sa sollicitude n'était pas moindre pour l'instruction de la jeunesse : « Il aimoit particulièrement à instruire les enfants qu'il rencontroit, leur demandant leur croïance, et les excitant à la crainte et à l'amour de Dieu. Ce qu'il faisoit avec tant de douceur et de manières si modestes, que l'on ne pouvoit pas l'entendre sans en être touché (2). » Mabillon aimait les fortes études : « C'étoit une de ses plus agréables occupations, quand il pouvoit se dérober à ses travaux, d'assister aux exercices que l'on a introduits dans plusieurs colléges de l'Université de Paris. Il a contribué autant qu'il a pu à faire passer l'usage de ces exercices dans les colléges de province. Car rien n'échapoit à sa vigilance de tout ce qu'il croioit pouvoir être de quelque utilité pour établir ou pour étendre le bien; et il a toujours regardé les bonnes instructions comme le meilleur et le plus seur moyen de le rendre solide. Son attention alloit jusque dans les villages où rien ne le consoloit tant que d'y trouver de bons curez. Il embrassoit avec joïe toutes les occasions de leur témoigner son estime, les considérant comme ceux qui portent tout le poids du travail, qui est attaché à leur charge, sans en avoir les douceurs. Ceux des villes, disoit-il, semblent être en quelque manière dédommagez de leurs peines, par les honneurs

(1) D. Ruinart, p. 93.

(2) Ibid., p. 139, 215, 231.

qu'on leur rend, et par les commoditez dont ils peuvent jouïr (1). » Mais ceux de la campagne, quand ils ont du zèle et de la piété, n'ont guère que la fatigue en partage », et par là ils doivent être respectables à tout le monde, s'ils s'occupent de Dieu et de leur ministère.

8 2, dévouement a l'église.

Dom Mabillon eut l'occasion plusieurs fois en sa vie de protester hautement de son inviolable attachement à l'Eglise. Au retour d'un voyage en Alsace, en 1696, le bruit se répandit en Allemagne et en Hollande que le célèbre bénédictin s'était joint aux protestants. Cette incroyable calomnie avait pris naissance à l'occasion d'un apostat, Gabillon, dont le nom ressemblait au sien. Mabillon prit sujet de cette fausse nouvelle pour écrire aux catholiques anglais, parmi lesquels il était en haute estime, une lettre des plus touchantes, « monument prétieux de son attachement sincère à l'Eglise catholique, preuve con. vaincante de la pureté de sa foi et marque sensible de la charité de son cœur pour le salut et la consolation de ses frères. » De même, au milieu de l'année 1707, dans la Préface du IV volume des Annales Bénédictines, il éprouva le besoin de soumettre une dernière fois sa science au contrôle de ses supérieurs : « Qu'à

(1) L'oncle de Mabillon fut curé de Neuville et Montgon; sa triste fin impressionna son neveu, le tourna vers le cloître et lui inspira un vif désir de perfection. V. Appendice, p. 176 à 179, lettre de Fr. de la Haye, curé de Saint-Pierremont en 1708.

Dieu ne plaise (1), écrit-il, que je me départe jamais de cette règle de la vérité, je veux dire de l'Eglise notre mère, au jugement et à la censure de laquelle je soûmets de tout mon cœur tout ce que j'ay jamais écrit, et tout ce que je pourray écrire dans la suite: ayant toujours vécu dans son sein et dans sa foy, et souhaitant ardemment avec la grâce de Notre-Seigneur d'y finir mes jours (2). »

Ce langage suprême était bien conforme aux actes de la vie entière de Mabillon: il resta en effet constamment en dehors et au-dessus des polémiques irritantes engagées au sujet du Jansénisme ou de la Déclaration de 1682; il fut fort attaché à la France, à son roi et à ses évêques, mais il n'en témoigna que plus sincèrement une soumission personnelle au Siége apostolique. Le P. Noris ayant suspecté ses sentiments, il écrivit à Magliabechi le 30 Juillet 1686: « Je sais que l'on a écrit de moi à Rome d'une manière fort désobligeante, comme si j'étois déclaré contre le Saint-Siége. On l'a écrit de Florence; je sais celui qui l'a fait sans que je lui en aie donné aucune occasion. Dieu lui pardonne ! » (3) Mabillon est un moine savant: il ne faut pas lui

(1) « Absit enim, ut ab hac regula veritatis, matre inquam Ecclesia, umquam dissentiam, cujus judicio ac censuræ quæcumque hactenus scripsi, vel posthac scripturus sum, lubens, volens et ex animo submitto, in cujus sinu et fide semper vixi et constanter, adjuvante Deo, emori exopto. »

(2) D. Ruinart, p. 324.

(3) Corresp. inéd., T. I, lettre XXXIII. On lit dans le même récueil ce passage d'une lettre de Sergardi en 1689 : « Excepit Sanctitas Sua constantem tuam caritatem et filialem erga S. Sedem observantiam. »

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