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ce personnage et se rappeler les bienfaits dont il combla son diocésain sans lui demander d'autres services que ses travaux. D'ailleurs, pour comprendre le prestige qu'exerça sur ses contemporains ce prélat organisateur, on doit se souvenir qu'il était de la race et qu'il eut quelque chose du génie de Louvois, comme il en eut l'orgueil et le faste. Ni ses erreurs théologiques, ni les pamphlets qui assaillirent sa mémoire ne pourront lui enlever le mérite d'avoir reconstitué le diocèse ruiné par les vacances du siége et par les guerres de la Fronde : pour apprécier sa mission restauratrice, la parole de Mabillon suffit, car elle est appuyée de preuves (1).

Au moment où se poursuivait la série des Annales de l'Ordre de Saint-Benoit, une dernière polémique vint s'offrir à son auteur de plus en plus dégagé du monde. Il s'agissait des attaques du P. Germon contre la Diplomatique, ouvrage paru depuis vingt ans et soutenu des suffrages de tous les savants. Au lieu de répondre directement à cette agression peu mesurée, Mabillon publia un Supplément, prélude d'une nouvelle édition, et de la sorte il évita un différend personnel qui eût rejailli sur les deux congrégations, sans profit pour la science.

(1) V. sur M. Le Tellier une Etude de M. Jules de Vroil, dans la Revue de Champagne, 1878, T. III et IV. — Quanta Remensi Ecclesiæ ac toti diœcesi contuleris, vigilantissime Pontifex, efficacius quavis oratione prædicant octingentæ minimum Ecclesiæ per te ad rectum ordinem et ad bonos mores reformatæ ac ritè administratæ, » Dėdic. Annal. Bened.

IV

Caractère, vertus et mort.

Zèle pour l'instruction.

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Prestige moral de Mabillon: billets de Fénelon et de Mme de la Vallière.-Amour des pauvres.. · Dévouement à l'Eglise, son rôle dans les querelles religieuses, son obéisSes souffrances et maladies, piété de ses derniers jours.

sance.

1. ESTIME GÉNÉRALE POUR MABILLON,

A certains égards, la biographie de Mabillon ressemble à un éloge parce qu'elle fait voir tour à tour en lui l'activité du savant, la piété du religieux et les vertus de l'homme moral.

Le trait saillant de son caractère fut la simplicité, cette qualité naturelle qui n'est pas la crédule naïveté mais une heureuse rencontre de candeur, de franchise et d'humilité. Il y joignait la douceur et une inaltérable bonté : « Jamais, raconte Thierry Ruinart, on ne l'a vu dissipé, jamais de mauvaise humeur ni en colère; et quoiqu'il fut d'un naturel extrêmement vif, il ne luy est jamais échappé un seul mot par lequel il témoignât la moindre émotion. Si quelquefois on remarquoit en luy de l'altération, c'est qu'il s'appercevoit de quelque dérangement

dans la régularité (1). On ne luy a jamais entendu dire une parole picquante ou de raillerie, il se donnoit mème de garde de faire aucun geste qui fit paroître du mépris pour qui que ce soit (2). » De même, sans négliger les devoirs de la bienséance ni ceux de la reconnaissance, Mabillon avait en horreur la flatterie : il manifestait une égale répulsion pour les éloges adressés aux grands sans de justes motifs et pour ceux qu'on lui réservait sans qu'il crût les mériter. C'est ainsi qu'il ne publia que contraint et forcé les approbations louangeuses dont les censeurs de la Sorbonne firent précéder ses écrits sur les Etudes Monastiques. Lorsqu'un hôte illustre venait à l'abbaye, soit le duc de Bourgogne, le roi d'Angleterre, le cardinal de Noailles ou le duc d'Orléans, et demandait à voir Mabillon « il falloit le découvrir dans la foule des religieux, car il se cachoit toûjours dans la presse en ces rencontres (3). »

Humble à ce point, le grand érudit retrouvait une fierté généreuse pour défendre l'honneur de sa patrie ou de sa congrégation. A Benedictbayrn, abbaye de Bavière, le bibliothécaire vomissait des injures contre la France tandis que Mabillon feuilletait à la hâte les manuscrits; il tomba sur un passage relatif aux fondateurs de ce monastère dont l'origine était française, et en prit occasion pour confondre l'insolence du

(1) Il écrivait dans la Préface du t. VI des Actes des Saints : « Regularis disciplina quæ cæteris omnibus præferenda......, • p. xxii. (2) D. Ruinart, p. 143.

(3) D, Ruinart, p. 167, 198,

détracteur de son pays (1). Il adressoit en 1690, avec une joie patriotique, cette lettre à Magliabecchi, qui lui avait jadis montré avec orgueil les richesses littéraires de Florence : « Quoique la guerre soit universelle contre la France, notre grand monarque ne laisse pas de faire travailler au Louvre à une magnifique bibliothèque. Il y a actuellement 500 ouvriers qui travaillent à ce bâtiment, qui sera digne de sa magnificence royale. Il faudrait que vous fissiez la débauche de venir en France pour voir cette bibliothèque lorsqu'elle sera achevée (2). »

La piété de Mabillon était conforme à la parfaite régularité de ses mœurs elle n'aimait ni l'ostentation, ni les apparences inusitées; son principal aliment se trouvait dans la prière liturgique et l'exacte observance des heures de l'office divin. Ce sont là les signes d'une conscience droite, également éloignée du rigorisme janséniste et de l'exaltation des sens: Mabillon attachait plus de prix aux sentiments intimes de la foi qu'à leur manifestation bruyante; en voyant à Turin, le Vendredi-Saint 1685, la procession des Flagellants, il disait que cette institution. n'avait pas le caractère de la véritable piété, parce qu'elle servait plutôt de spectacle que de pénitence (3). Il écrivit contre l'abus que l'on

(1) Le récit de cette scène est très-animé : « Vocatus e coenaculo bibliothecarius adfuit, incoctam bilem in Francos despumans..... Ergo, inquam, non tam male de vobis meriti sunt Franci, quibus vestram debetis originem. » Iter Germanicum, p. 72.

(2) Corresp. inéd. T. II, p. 319.

(3) « Pia institutio, si publicæ pœnitentiæ animo ex sincero dolore, et non ad spectaculum fieret. « Iter Italicum,, p. 9,

faisait des reliques des saints inconnus; il demandait qu'on ne laissât pas s'égarer dans les églises la dévotion populaire vers les images et les statues, au détriment du culte d'adoration que l'on doit rendre avant tout à l'Eucharistie (1). En résumé, il eut cette piété des grands hommes d'Eglise au XVIIe siècle, à la fois fervente et éclairée, pleine de respect pour la tradition et de réserve pour les nouveautés, piété grave et efficace, basée sur la connaissance approfondie des Livres saints, qui valut à la France ses fortes générations de chrétiens pratiquants.

En scrutant l'intimité de Mabillon, on se demande si l'érudit est plus admirable en lui que l'honnête homme : il y avait en effet dans son caractère un mélange de droiture et de modestie qui attirait tous les cœurs. La noblesse de ses sentiments apparaît à chaque page de ses œuvres avec une telle évidence qu'elle devient irrésistible; cet ascendant du savoir et de la vertu se manifesta non-seulement dans le monde des lettres, mais dans tous les rangs sociaux, à la cour, dans les colléges et jusqu'aux plus modestes presbytères. Ceux qui venaient consulter Mabillon trouvaient en lui « la sagesse et la solidité des plus habiles politiques, avec toute la piété et la religion des plus grands saints (2). » Ce religieux, qui ne consentit jamais à coucher hors de son monastère, à moins qu'il ne voyageât, n'en était pas moins connu, connu, recherché

(1) Corresp. inéd., T. III, p. 293. — Act. Sanct., T. IV, Præf. de Cultu Sacrarum Imaginum, dissertation érudite et toujours opportune. (2) D. Ruinart, p. 243.

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